Sur la forme, rien à redire : le défenseur brésilien a fait preuve d’un sens de la répartie extraordinaire. Et totalement spontané, puisque le spectateur qui lui a lancé la banane est un abruti fini – visiblement, un éducateur des cadets Villarreal, radié du stade et licencié du club depuis -, et non un complice des publicitaires (jusqu’à preuve du contraire), comme l’aurait souhaité adversaires du grand capital et autres sympathisants de la théorie du complot. Dans l’absolu, on peut aussi se dire que la fin (lutter contre le racisme) justifie tous les moyens. Que quelles que soient les retombées pour l’agence de pub, il faut saluer la performance : il s’agit après tout peut-être de la campagne anti-raciste la plus efficace de l’histoire, avec son hashtag embouteillé et les selfies de soutien, banane à la main, qui ont bourgeonné sur la toile.
Alors où est le problème, au fond ? Le problème, c’est la manipulation, la malhonnêteté intellectuelle. Il a fallu que la presse le révèle pour que Dani Alvès et Neymar confessent que des publicitaires ont tiré les ficelles en coulisses, que les cyber-répercussions du geste n’étaient pas franchement dues au hasard. Loin de la réaction du Milan AC qui, en janvier 2013, avait décidé d’interrompre un match face à une équipe de quatrième division pour soutenir Kevin-Prince Boateng, victime d’insultes racistes. Ou de John Barnes, cible régulière de jets de banane dans les stades anglais, qui s’était débarrassé, en 1988 lors d’un match entre Liverpool et Everton, du fruit d’une talonnade gravée dans les a(n)nales du football. Bref, avoir laissé croire, dès dimanche soir, que tout ça était un immense élan d’humanisme spontané rend l’opération publicitaire plus cynique encore qu’elle ne l’est fondamentalement. Faudra-t-il désormais se méfier de chaque geste symbolique sous prétexte qu’il pourrait avoir été soufflé par des as du marketing ? Aujourd’hui, en tout cas, on l’a un peu mauvaise. Comme si, au moment de préparer un banana split, on s’apercevait qu’on n'avait plus, dans le garde-manger, que des vieilles plantains à peine encore bonnes à frire.
– Par Vincent Riou, avec Pierre Maturana
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