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Nathalie Arthaud : « Je ne mets pas les footballeurs dans la catégorie des profiteurs »

Propos recueillis par Mathieu Rollinger
8 minutes
Nathalie Arthaud : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Je ne mets pas les footballeurs dans la catégorie des profiteurs<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Nathalie Arthaud mène sa deuxième campagne présidentielle. Trotskiste, anticapitaliste, internationaliste, révolutionnaire, féministe, la candidate de Lutte ouvrière est animée par des convictions qui devaient la laisser a priori insensible au football. Mais depuis quand faut-il s’en tenir aux a priori ?

Quel regard porte le professeur agrégé d’économie et de gestion que vous êtes sur l’actuelle économie du football ?Ce qui est frappant, c’est que la vie politique et économique se reflète vraiment dans le football, avec ces capitaux qui font leur marché sur celui du foot. Moi, je suis toujours impressionnée quand on parle des transferts des joueurs à la manière d’un Monopoly capitaliste. Sans être experte, j’ai bien compris que les clubs les plus fortunés sont ceux qui ont le plus de chance de gagner. Dans le foot comme dans la société : qui a l’argent tient la victoire !

Dans votre clip de campagne, vous listez plusieurs catégories de travailleurs. Les footballeurs sont-ils des travailleurs comme les autres ?Déjà, quand on dit « les footballeurs » , c’est comme quand on dit « les Français » ou « les candidats » , il ne faut pas tous les mélanger parce qu’il y en des petits et des grands. Ceux qui ne sont pas dans les grandes équipes ne gagnent pas leur vie si bien que ça. D’accord, on met toujours en avant les salaires mirobolants de quelques-uns, comme Paul Pogba avec ses 18 millions par an. Ça montre bien qu’il y a de l’argent quelque part dans cette société et qu’on est prêts à mettre des millions dans le sport. Bien sûr, ces joueurs peuvent vivre plus que confortablement. Mais eux au moins font quelque chose de leurs pieds, ils courent, ils mouillent le maillot. On ne peut pas en dire autant de la minorité capitaliste qui ne fait rien de ses dix doigts et prospère sur le travail des autres. Les footballeurs ne sont pas des travailleurs comme les autres, mais je ne les mets pas dans la catégorie des profiteurs et des exploiteurs. Ils ne font que bénéficier d’un sport devenu business.

Historiquement, le mouvement travailliste s’est toujours méfié du football comme d’un sport bourgeois. Est-ce encore aussi tranché dans votre esprit ?Dire que le foot soit pourri par l’argent est aujourd’hui une banalité.

Un de mes combats en matière de sport serait de développer le sport amateur. En tant que prof en Seine-Saint-Denis, des élèves m’ont dit qu’ils n’ont pas pu s’inscrire au foot, parce qu’ils ne pouvaient pas payer leur licence.

Mais comme la société dans son ensemble. Le foot ne peut pas échapper au fait que de grands bourgeois aient décidé d’investir là-dedans pour faire leur beurre. Après, moi, je milite pour que les travailleurs ne passent pas leur vie au boulot et qu’ils ne soient pas écrasés par l’exploitation, qu’ils aient du temps libre pour vivre leur passion. Un de mes combats en matière de sport serait de développer le sport amateur. En tant que prof en Seine-Saint-Denis, des élèves m’ont dit qu’ils n’ont pas pu s’inscrire au foot, parce qu’ils ne pouvaient pas payer leur licence. Que ça soit inaccessible à des jeunes, franchement ça me révolte. Ces sommes éhontées que l’on met dans le milieu professionnel, il faudrait qu’elles aillent aussi dans les équipements publics accessibles aux classes populaires. Moi, j’adore nager, mais regardez l’état des piscines ! Je suis pour le sport ouvert au plus grand nombre, pas seulement celui avec sa bière et sa pizza devant la télé à applaudir des stars qui font leur show. Dans les tribunes, c’est pareil. Il y a beaucoup de banlieusards et d’ouvriers qui sont prêts à faire beaucoup de sacrifices pour payer leur abonnement, parce qu’on a envie de rêver. Ce n’est pas juste.

La culture foot chez Nathalie Arthaud, ça renvoie à quelles émotions, quels souvenirs ? Moi, je suis originaire de la Drôme, pas loin de Saint-Étienne, donc supporter les Verts, c’était notre truc. Mon père nous achetait des vignettes et a réussi à transmettre l’amour des Verts à ses deux filles. Il y a des images comme les poteaux carrés de Glasgow qui me restent, mais ça reste des souvenirs assez flous.

J’imagine que Dominique Rocheteau le révolutionnaire devait vous plaire. Ça ne vous désespère pas de voir qu’il y ait si peu, sinon aucun, joueurs capables de soutenir publiquement des mouvements populaires ? J’ai regardé un documentaire qui m’avait beaucoup intéressée sur la sélection algérienne au moment de la guerre d’indépendance (Le FLN, un sacrifice pour l’histoire, sur L’Équipe, ndlr). Des joueurs algériens sélectionnés en équipe de France avaient décidé de rejoindre celle d’Algérie. C’était leur façon de prendre part au combat. Aujourd’hui, notre société ne connaît pas beaucoup de mobilisation dans la population. Mais je suis convaincue que s’il y avait davantage de contestations sociales, elles s’exprimeraient aussi dans le rang des footballeurs. Certains prendraient le parti des révoltés, se solidariseraient avec les revendications des ouvriers, parce que beaucoup sont issus de milieux populaires. Ils ont certes tiré leur épingle du jeu, mais pourraient aussi se rappeler d’où ils viennent. Je l’espère en tout cas.

Les ouvriers se reconnaissent-ils dans le football actuel ? Parler de sport ouvrier ou de club de tradition ouvrière a-t-il encore du sens de nos jours ?Le football est la grande passion française. Rien qu’au boulot, faut voir le nombre de collègues qui débriefent ou jouent au sélectionneur. Alors pour les taquiner, je leur dis que si demain on parlait avec autant d’énergie des solutions pour faire augmenter nos salaires, on ne serait pas loin du but. Le foot est l’opium du monde moderne. Chez les jeunes des quartiers, il y a toujours ce mythe du football comme issue, qui est plutôt un leurre. Parmi ces millions de jeunes qui mettent toute leur passion dans le foot, il n’y aura qu’un ou deux qui arriveront à devenir pro.

L’internationalisme de Lutte ouvrière est l’antithèse de ce qui peut ressembler à du patriotisme lorsqu’on supporte une équipe nationale. Est-ce qu’on peut être communiste et supporter l’équipe de France ?C’est vrai que je ne suis pas systématiquement pour l’équipe de France.

Je ne suis pas systématiquement pour l’équipe de France.

Depuis toute petite, je suis pour l’équipe qui est annoncée perdante. J’ai toujours voulu que la situation se retourne. On parle souvent du foot comme le reflet de tout ce qu’il y a de pire dans la société : la misogynie, le racisme, le nationalisme. Et en même temps, l’équipe de France est aussi à l’image de la population française, composée de fils de travailleurs d’origines polonaise, africaine, maghrébine, antillaise… Dernièrement, j’ai fait un tweet après le décès de Raymond Kopa parce que c’était une figure forte et attachante. Je crois que c’est la force de l’équipe de France de pouvoir intégrer ces hommes venus de tous les horizons avec leur histoire et leur culture différente.

Dans votre programme, vous vous déclarez contre l’organisation des Jeux olympiques 2024 à Paris. Un événement sportif ne peut rien apporter de positif à un pays ?Parce que ça reste du sport business. Au lieu d’être une fête, ça va être une manne pour les bétonneurs, les hôteliers et les capitalistes du sport. Et puis on va le payer pendant combien d’années ? Aujourd’hui, on nous explique qu’on ne peut pas construire les logements, qu’on ne peut pas accueillir les migrants. Et pour les JO, on serait capables de faire émerger un village olympique et d’accueillir des dizaines de milliers de personnes. C’est cette disproportion-là que je veux dénoncer. Après l’Euro 2016, on nous a parlé des « retombées » . Ce serait oublier que les Grecs et les Londoniens payent encore leurs Jeux. On nous annonce un coût qui à la fin est multiplié par trois ou quatre. Il faut quand même pointer du doigt ces choix qui ne bénéficient jamais au plus grand nombre.

Dans le foot comme en politique, les affaires prennent beaucoup de place médiatiquement. Comment faire pour que le beau jeu et la démocratie prennent le dessus ?Il faudrait renverser le capitalisme, tout simplement. À partir du moment où les richesses se concentrent à un pôle, comment voulez-vous échapper à cette corruption ? Ça va de pair. Avec cet argent-là, la minorité bourgeoise peut tout s’acheter. Quand j’ai appris qu’il y avait des clubs cotés en bourse, ça ne m’a surprise qu’à moitié. Je pense que la société pourrait être gérée autrement. C’est nous, les travailleurs, qui produisons collectivement toute cette richesse, ça me paraît donc logique qu’elle serve aux intérêts de toute la population. Voilà pourquoi je suis communiste.

Pour revenir sur la campagne présidentielle, comment fait-on tactiquement pour se démarquer quand on est plusieurs à occuper l’aile gauche ?Je ne pense pas partager un même poste avec Jean-Luc Mélenchon.

Je ne pense pas partager un même poste avec Jean-Luc Mélenchon.

C’est surtout avec Philippe Poutou que j’ai des accords et des similitudes. On est deux contre neuf, ce n’est pas énorme. Il n’y aurait aucun sens qu’on se remplace l’un l’autre, parce que ça nous apporte deux fois plus de temps pour exposer nos arguments. Ensemble, c’est comme si on faisait des une-deux. Pendant le débat, on a montré qu’on était complémentaires, avec nos styles différents, avec nos attaques différentes…

Vous avez pris la succession d’Arlette Laguiller. Vous la considérez plutôt comme une idole, un mentor, un coach, une coéquipière ou une supportrice ?Une coéquipière, une camarade avec qui on mène le même combat, une amie et une militante comme moi. Un coach aussi parce qu’elle a une expérience à me transmettre. Mais pas une idole. Arlette, elle est là, avec moi, elle m’accompagne, on travaille ensemble, on partage le même bureau, et surtout on partage la même révolte.

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Propos recueillis par Mathieu Rollinger

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