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Naples, du gâchis et des hommes
Club italien le plus emballant de la dernière décennie du temps des années Sarri, le Napoli est en train de dangereusement se banaliser, sous la houlette d'un Gennaro Gattuso fragilisé par des résultats insuffisants et une politique sportive discutable. Une régression stylistique regrettable, pour une équipe qui ne semble plus savoir quel type de football elle veut jouer.
Dans vingt ans, on en parlera sans doute encore à Naples. De ces trois années érotiques : 2015-2018. Après tout, c’est une histoire facile à raconter. D’abord, c’est l’histoire d’un mec. Un mec qui avait l’air normal, avec son jogging délavé et sa clope au bec, mais dont l’équipe jouait un football qui ne convoquait rien d’ordinaire. Maurizio Sarri n’a rien gagné avec le Napoli. Il a fait beaucoup mieux que ça. En faisant pratiquer à son équipe un jeu résolument offensif, capable de conjuguer pressing à haute intensité, attaques verticales et longues phases de possession, il a participé à moderniser un football italien qui s’encroûtait dans ses vieilles certitudes tactiques. Roberto de Zerbi, l’actuel entraîneur de Sassuolo, ne disait pas autre chose en octobre 2019 : « Sarri est un grand entraîneur. Le seul problème, c’est qu’il est arrivé trop tard. S’il était arrivé quinze ans plus tôt, tout le football italien en serait sorti grandi. » Parti de la cité parthénopéenne à l’été 2018, Maurizio Sarri a laissé la formation azzurra entre les mains de Carlo Ancelotti, puis de Gennaro Gattuso. Problème : l’héritage de sa méthode et de son style semble déjà en voie de terminaison avancée.
Crise d’identité
Illustration le 3 mars dernier contre le Sassuolo de Roberto de Zerbi, encore lui, pour le compte de la 25e journée de Serie A. Face à l’une des équipes les plus joueuses et créatives du championnat, le Napoli a délivré une prestation tiède. Les Partenopei n’ont été ni bons ni mauvais. Ni dominants ni dominés. Pas complètement attentistes, mais pas vraiment entreprenants non plus. Moyens jusqu’au bout des ongles, en somme. Quitte à signer un match nul (3-3), après avoir concédé un penalty évitable dans le temps additionnel. Lorenzo Insigne a très mal vécu la chose et est sorti du pré en lâchant un « quelle équipe de merde ! » forcément remarqué. Il faut dire que Naples n’y arrive vraiment plus. Déjà éliminés de la C3 et sixièmes de Serie A, les Azzurri ont cinq points de retard sur l’Atalanta et la zone de qualification pour la prochaine Ligue des champions.
Paradoxalement, le classement, décevant, mais pas catastrophique, est peut être le baromètre le plus engageant de la saison des Napolitains. Là encore, il faut zieuter vers les années Sarri pour saisir l’ampleur du problème. Notamment en rappelant que le Napoli n’est pas revenu au premier plan en Italie en empilant les Scudetti, mais bien en imprimant sa patte stylistique sur le foot transalpin. Ce qui fait précisément défaut au Naples de Gattuso. On ne sait jamais si cette équipe veut presser haut ou attendre bloc bas, monopoliser le cuir ou le laisser à l’adversaire, multiplier les circuits de passes dans l’axe ou insister sur les cotés, jouer en transitions rapides ou en attaques placées.
Bien jouer, pourtant, c’est faire des choix. Identifier et valoriser des options au détriment d’autres. Travailler des circuits de passes préférentiels. Construire des complémentarités entre certains joueurs. Le tout pour façonner cette fameuse identité de jeu qui permet de dégager des aspérités, valoriser des forces, camoufler certaines faiblesses. Des compétences tactiques et organisationnelles qui semblent encore faire défaut à Gattuso. Rien de tout à fait surprenant là-dedans. Sur les bancs de Pise, puis de l’AC Milan, l’ex-chien de guerre rossonero n’avait pas franchement tapé dans l’œil des esthètes, ses équipes produisant un football plutôt anecdotique. L’ancien milieu du Milan est seulement un meneur d’hommes connu et reconnu, capable de transcender ses troupes par séquences. On l’a vu la saison dernière au Napoli. Gattuso, débarqué fin 2019 après le licenciement de Carlo Ancelotti, avait joué les pompiers de service en stabilisant les Azzurri, avec qui il avait remporté la Coupe d’Italie. Le Calabrais avait surtout remis en ordre de marche un vestiaire scandalisé par l’imposition d’une mise au vert début novembre par le président du club, Aurelio de Laurentiis.
De Laurentiis, premier responsable
Et si, avant Gattuso lui-même, De Laurentiis était le premier responsable de la régression napolitaine ? En prolongeant le contrat d’un coach sous-qualifié pour piloter une formation dont l’effectif n’est qualitativement devancé que par ceux de la Juve et l’Inter, le président napolitain a sans doute fauté. Comme il a fauté quand il a imposé cette fameuse mise au vert à Ancelotti et ses troupes. Une décision qui faisait exploser le vestiaire et conduisait à la placardisation puis au départ d’Allan l’été dernier, joueur pourtant fondamental du milieu azzurro. Dix mois plus tôt, au mercato d’hiver 2019, De Laurentiis acceptait également de se séparer de Marek Hamšík, le capitaine et maître à jouer du milieu napolitain, qui s’envolait pour la Chine et le Dalian Yifang, à seulement 31 ans. Coïncidence ou non, avec le Slovaque dans l’effectif, les Azzurri avaient jusqu’ici réalisé un exercice 2018-2019 brillant, totalisant près de 70% de victoires en Serie A. Après son départ, ce pourcentage a chuté à 53% cette saison.
Une perte qui illustre plus globalement la carence de cadres des Partenopei, dont les tauliers du vestiaire n’ont pas été remplacés. Outre Hamšík, Raúl Albiol s’est envolé pour Villarreal à l’été 2019, laissant Kalidou Koulibaly orphelin de son binôme préféré. Le Sénégalais, souvent cité parmi les tout meilleurs défenseurs du monde lors des années Sarri, n’est plus tout à fait le même joueur depuis. Même cause, même effet, quand Pepe Reina, gardien du club de 2015 à 2018, s’envolait pour l’AC Milan. Depuis, le Napoli n’a rien trouvé de mieux que de mettre en place une alternance hésitante entre David Ospina et Alex Meret, aucun des deux portiers ne donnant complète satisfaction. Enfin, la formation de De Laurentiis, saluée pour sa politique sportive visionnaire par le passé, a aussi commencé à s’emmêler les pinceaux sur le mercato. Diego Demme, Stanislav Lobotka et Andrea Petagna, recrutés entre 12 et 20 millions début 2020, n’ont pas convaincu.
Victor Osimhen, acheté pour la somme mirifique de 80 millions d’euros, est pour l’instant hors sujet, du fait de blessures à répétition, d’une covid contractée en cours de saison, mais aussi de performances en deçà des rendus attendus (13 matchs, 2 buts en Serie A). Une accumulation de mauvais choix qui laisse Gattuso seul face au délitement général, alors que le Mister ne semble plus trop savoir quoi faire pour remobiliser ses ouailles. Jeudi, il expulsait même Mario Rui de l’entraînement à cause d’un manque supposé d’implication, pour la seconde fois de la saison. Au moment de faire son auto-critique fin février, Ringhio ne se défilait pourtant pas. « Le grand responsable c’est moi, car je suis l’entraîneur. C’est normal que je me fasse massacrer. » Alors, que reste-il finalement des années Maurizio Sarri au Napoli ? Tragiquement, déjà plus grand-chose. Si ce n’est une belle histoire quand même.
Par Adrien Candau