« Sortez et marquez ! »
Dans le vestiaire du Rheinstadion de Düsseldorf (le Bökelbergstadion de Gladbach étant en travaux), Udo Lattek essaye d’y croire encore. Conscient que « tout est joué et que tout discours tactique est vain » , il exhorte ses joueurs : « Sortez et marquez ! » Et bam ! La Fabrik entre en action au bout de 27 secondes de jeu sur une tête victorieuse de Super Jupp, qui joue son dernier match pour son club adoré : 1-0 ! Puis la machine s’emballe : 2-0 à la 12e d’une frappe du droit du même lascar ! Et coup de boule du Danois Carsten Nielsen une minute plus tard (3-0). Mais la riposte de Dortmund, coaché par Otto Rehhagel, est immédiate : une tête violente sur corner secoue la barre du grand gardien gladbacher Wolfgang Kleff. Ouf ! En cas de but, le rêve se serait définitivement envolé... À la 22e minute, Karl Del'Haye remonte tout le terrain côté droit façon Rummenigge et shoote dans la surface : 4-0 ! C’est du délire dans les tribunes. Un assistant branché à fond sur la radio communique une sale nouvelle à son boss Lattek : Heinz Flohe vient de marquer pour Cologne au Sankt Pauli de Hambourg. Scheisse ! Heynckes, lui, ignore tout ça et pousse derrière la ligne un centre à la 32e : 5-0 ! À la 38e minute, son vieux compère Wimmer, qui arrêtera aussi sa carrière après le match, marque de près, face au gardien, dans le petit filet opposé : 6-0 à la pause ! La TV allemande filme au même moment les rues de Mönchengladbach désertées par leurs habitants, accros à ce match de dingue. Les hommes d’Udo Lattek ont quasiment refait la moitié de leur retard sur les Boucs qui mènent toujours 1-0. Là-bas, à Hambourg, les gars de Cologne, abasourdis par le 6-0 à Düsseldorf, s’inquiètent soudainement.
À cet instant précis, la différence de buts des Poulains est de +36, celle de Cologne est de +41 : plus que six buts pour passer devant. Otto Rehhagel réclame aux joueurs du BvB au fond du trou de montrer un peu d’honneur et propose à son gardien, le pauvre Peter Endrulat, de laisser sa place. Refus ! En fin de contrat, persuadé que l’hémorragie du score sera jugulée en seconde mi-temps, il veut démontrer qu’il a le niveau Bundesliga et reste à son poste. Alors que le jeu a repris, Otto pense à faire entrer son attaquant-star Siggi Held : « Il y avait 6-0, nous n’avions aucune chance contre ces Gladbacher. J’ai regardé Otto : "Je dois encore renverser le score ?" Otto a compris : "Tu as raison, rassieds-toi." » À la 59e minute, Jupp Heynckes marque de la tête (7-0), puis à la 61e, patate du gauche de Nielsen (8-0), et à la 66e, but de renard de Del'Haye : 9-0 ! Pourtant sur le banc, la nervosité agite son coéquipier Rainer Bonhof : Cologne mènerait 3-0 à Hambourg... « Sur le banc, tout le monde se demandait combien de buts on devait encore marquer pour enlever le titre à Cologne, racontera Heynckes. À 9-0, ils nous sont dit : "Encore trois !" Je leur ai répondu : "Mais vous êtes dingues ?" »
La Fédé allemande enquête...
Jupp repart et signe d’une volée un quintuplé à la 77e minute (10-0), puis Lienen plante à son tour à la 87e (11-0). Wolfgang Kleff sauve encore les Gladbacher d’une superbe parade à bout portant. À la 90e, Kulik achève Dortmund d’une mine à ras de terre juste avant la fin : 12-0 au tableau d’affichage ! Tout simplement inouï. Un score record en Bundesliga... Contrat rempli, mais en vain : Cologne a bien coulé Sankt Pauli 5-0 en marquant dans la dernière demi-heure. Le club d’Harald Schumacher remporte le titre pour trois petits buts (+45, 86-41 pour les Boucs et +42, 86-44 pour les Fohlen). Udo Lattek s’en va rejoindre ses gars sur la pelouse. Il est livide, abattu. Il avait fini par y croire... Le retour en bus à Mönchengladbach dans des rues envahies de supporters consolera la bande de Berti Vogts. Accablé, Wolfgang Kleff ressassera l’incroyable final perdu sur le fil : « Mais quels trois buts aurais-je pu éviter cette saison ? » Peut-être les trois qui ont fait la différence lors d’une défaite à domicile ? Un 5-2 bien tassé. Contre le FC Cologne... Herbert Wimmer déclarera plus tard avoir été « heureux que notre club n’ait pas été sacré cette saison-là. Parce qu’il y aurait eu des soupçons innombrables de match arrangé. » Car du côté du FC Köln, le scepticisme accusatoire à l’annonce de ce 12-0 avait un temps plané à Sankt Pauli, Toni Schumacher confiant ainsi son « dégoût à propos de la piètre prestation de Dortmund » . Le Borussia Dortmund vira Otto Rehhagel, en poste depuis 1976, dès le lendemain de l’humiliation de Düsseldorf et sanctionnera ses joueurs d’une amende de 2500 Deutsche Mark. Suspicieuse, la DFB – la fédé allemande – enquêtera sur les soupçons de match truqué en auditionnant les joueurs de Dortmund. Le témoignage très fataliste d’Amand Theis ( « À la fin de la rencontre, chaque frappe de l’adversaire était un but, nous avions tout simplement lâché » ) exonérera les joueurs du BvB de toute culpabilité, sous forme d’un simple blâme pour « comportement antisportif » . On ne badine pas avec la Disziplin !
Par Chérif Ghemmour
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