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Moi, Terem Moffi, méchant à Lorient

Par Félix Barbé et Jérémie Baron
11 minutes
Moi, Terem Moffi, méchant à Lorient

Vrai pari estival du FC Lorient, la bombe de cette saison de Ligue 1 a explosé dans le Morbihan et se nomme Terem Moffi. Itinéraire mouvementé d’un artificier longtemps passé sous les radars, qui s'est fait les griffes en Lituanie et a déjà bouclé un petit tour d'Europe à seulement 21 ans.

On ne sait pas si la remontée du FC Lorient en Ligue 1 cet été a été accompagnée de la découverte de gisements de pétrole en terres morbihannaises, mais force est de constater que les Merlus ont claqué sans compter sur le marché. Deux arrivées ont surtout fait grossir l’enveloppe budgétaire de Loïc Féry : Adrian Grbić, arrivé de Clermont pour près de dix briques, et Terem Moffi, déboulant de Courtrai (Belgique) à la fin du mercato pour huit. Valeur sûre de Ligue 2 que plusieurs formations de l’élite s’arrachaient à l’intersaison, l’Autrichien semblait avoir les cartes en main pour s’imposer au Moustoir. Mais c’est le Nigérian, dont personne n’avait réellement entendu parler jusqu’ici, qui a mis tout le monde d’accord en poussant Grbić sur le banc pour devenir un épouvantail du onze de Christophe Pélissier et en envoyant quatorze caramels pour sa première saison dans un des cinq grands championnats européens. Avec des mois de janvier et avril hors du commun, une victoire offerte aux siens contre Paris, des doublés à Louis-II et au Vélodrome, un triplé face à Bordeaux et, au bout, un maintien désormais en bonne voie pour le champion de l’antichambre en titre. Scotchant.

Une « spéciale » à la Thierry Henry

Personne ne s’attendait vraiment à un tel succès, au moment où le gaucher a débarqué du Plat Pays avec, pour principale ligne sur le CV, cinq pions en deux mois et demi de Jupiler League. Personne, sauf peut-être le directeur sportif des Merlus, Christophe Le Roux, ainsi que ses scouts : « On a découvert ce joueur, et on a regardé tous ses matchs, rembobine l’ancien milieu offensif Stéphane Pédron, aujourd’hui membre de la cellule du recrutement du FCL. Malheureusement, avec le coronavirus, on n’a pas pu se déplacer pour le voir en live, mais c’est un gros travail de vidéo qui a été fait. Même aller le rencontrer avant, ça n’a pas été possible. On a bien épluché ses matchs, et on était persuadés que c’était le joueur qu’il nous fallait. Il a fait peu de rencontres en Belgique, mais parfois, il faut savoir prendre des risques, il y a toujours une part de doute. » Des doutes, c’est également ce qui a accompagné sa venue à Courtrai – après un essai non concluant à Mouscron – en janvier 2020, depuis la Lituanie où il avait fait ses premiers pas en pro. Coéquipier en Belgique, Larry Azouni le confesse : il a pu être mauvaise langue, surtout après la première fantôme de Moffi lors d’un obscur match amical sur la pelouse du VVV Venlo (Pays-Bas) lors duquel il était passé à côté de son sujet deux jours après sa signature.

« On se posait des questions avec les autres, car Courtrai recrute beaucoup de jeunes joueurs dans des championnats comme la Suède, la Lituanie ou la Roumanie : on ne sait pas trop ce que ça vaut, et il y a eu quelques flops. Mais dès la semaine d’après à l’entraînement, on a compris qu’il allait nous faire du bien. Ce qui m’a frappé, c’est son sang-froid devant le but. Lors d’un petit jeu à l’entraînement, il avait mis quatre ou cinq fois le même but : plat du pied, pied gauche, petit filet. Un peu comme Henry, mais de l’autre côté. Celle-là, c’est vraiment sa spéciale », explicite Azouni. Surtout, le buteur se met dans la poche le stade des Éperons d’or quelques semaines plus tard avec une prestation de cador lors de la réception de l’ogre Bruges pour son troisième match avec les Kerels. « On est menés 2-1 à la mi-temps, le coach décide de le faire entrer, déballe avec plaisir Ilombe Mboyo, que Moffi considérait comme son grand frère à Courtrai. Deux minutes plus tard, il fait une action incroyable contre un défenseur qui pèse 100 kilos et est réputé en Belgique pour être très difficile à bouger (l’Ivoirien Simon Deli actuellement au Sparta Prague, NDLR). Il fait une course depuis le milieu de terrain avec le défenseur sur son dos, et termine par une frappe du gauche. Il n’est plus sorti de l’équipe ensuite, il a pris en confiance. »

La décision de Terem de devenir professionnel n’a rien à voir avec ma carrière.

Calabar à l’armoricaine

Cet aplomb, le gamin l’a progressivement gagné depuis son enfance à Calabar, métropole nigériane où il a touché ses premiers ballons dans la rue, et grandi au milieu d’une famille de confession pentecôtiste, mais aussi de footeux fans de Chelsea (« La seule qui n’a pas joué, c’est ma mère, mais elle lit bien le jeu »). Le père Leo, aujourd’hui avocat, est un ancien gardien de but pro ayant sillonné une flopée de clubs du pays : le Black Cats FC d’Ogoja, le Vasco de Gama FC d’Enugu, l’Elkanemi FC de Maiduguri, le Calabar Rovers FC et enfin l’Enugu Rangers FC. L’occasion d’évoluer aux côtés de Chuka Iwobi, père d’Alex (Everton), mais aussi du grand Taribo West, alors à ses débuts. « La décision de Terem de devenir professionnel n’a rien à voir avec ma carrière, lâche le paternel. C’est un enfant qui a montré très tôt des aptitudes rares pour le football. Je ne suis pas surpris par ce qu’il a montré jusqu’à présent, je l’ai vu en lui, alors qu’il n’avait que trois ou quatre ans. Il a grandi dans un environnement où pratiquement tous les petits garçons jouaient au foot. Ses deux frères aînés étaient d’ailleurs de bons footballeurs. L’un d’eux aurait même pu être un meilleur attaquant que Terem s’il n’avait pas décidé de faire des études, et s’il n’était pas aujourd’hui médecin. »

En apesanteur le jour du fameux match face à Bruges

Après une formation – entre ses onze et ses dix-sept ans – à la Clique Sports Academy de Lagos, la plus grande ville du pays, le fiston a bénéficié d’un petit coup de pouce du destin lui permettant de mettre le cap sur l’Europe peu avant sa majorité. Grâce à l’amitié qui lie les pères Moffi et Iwobi, Terem voit l’agent Emeka Obasi le prendre sous son aile (il s’occupe d’ailleurs toujours de lui). Son néo-représentant lui dégote alors une bourse d’études au sein de l’école Buckswood – au sud de l’Angleterre -, dont l’équipe de foot a déjà sa petite réputation. « Ils étaient quatre jeunes venus ensemble, donc ils étaient amis, se rappelle Giles Sutton, le directeur de l’établissement. Toute cette expérience était nouvelle pour eux. Je pense que le plus dur a été de s’habituer à la nourriture anglaise. » Outre-Manche, Terem passe un diplôme en gestion des affaires « obtenu avec de bonnes notes », poursuit Sutton, qui garde un excellent souvenir d’un Terem « humble et gentil ». C’est d’ailleurs grâce à lui et ses équipes que le Nigérian et ses trois potes ont pu se fondre dans le moule, à la fin de leurs études : « Ils n’avaient pas beaucoup d’argent. Mais au moment de la remise des diplômes, il était important qu’ils soient diplômés de la même manière que leurs camarades de classe, alors nous sommes allés leur acheter des costumes. Ils étaient très bien éduqués et n’auraient jamais songé à demander quoi que ce soit. » Terem le milieu paresseux devient un attaquant supersonique, reste une année au sein de cette école située à Uckfield et aligne pas mal de pions qui lui ouvriront les portes du monde pro.

Terem ne pouvait même pas effectuer les exercices physiques les plus simples comme les pompes. Comme beaucoup de jeunes joueurs, il avait une mauvaise finition.

Pompes difficiles et échéance de visa

Et cela passera par la Lituanie pour une première expérience au FK Kauno Žalgiris, dernier de première division. « Notre nouvel entraîneur adjoint Alex McCarthy travaillait avec lui en Angleterre et lorsqu’il est arrivé à Kaunas, il a voulu emmener Moffi car il le connaissait bien », explique Darius Šinkūnas, team manager du club. Une vraie terre inconnue pour le joueur, obligé de fouiller Google pour savoir où il met les pieds : « Il n’avait jamais entendu parler de la Lituanie », témoigne son père. Lorsqu’il se pose à l’est de la mer baltique en août 2017, Moffi est très loin de la Ligue 1, et pas qu’au sens littéral. Dans la deuxième plus grande ville du pays, la mayonnaise ne prend pas. Longtemps cocooné à Buckswood, le Nigérian peine notamment à sortir de son nid. « Il semblait un peu effrayé, certaines tâches ménagères étaient extrêmement difficiles pour lui. Par exemple, la préparation des repas. Il fallait lui apprendre à vivre de manière indépendante », continue Šinkūnas. Sur le pré aussi, le jeune Terem – à peine majeur – rame : « Il est arrivé chez nous en très mauvaise forme physique. Lors des premiers entraînements, Terem ne pouvait même pas effectuer les exercices physiques les plus simples comme les pompes. Mais avec le temps, ses qualités physiques particulières sont devenues visibles. Comme beaucoup de jeunes joueurs, il avait une mauvaise finition. Il n’est pas resté ici à Kaunas, car ses agents lui promettaient de l’emmener dans de plus grands clubs. » Avec un seul caramel en huit apparitions (et pas le moindre succès), son bilan à Kaunas pue la lose.

Et ce n’est que le début du bourbier, qui prendra une dimension internationale : « Il n’avait pas de contrat au-delà de la fin de saison, étaye Leo Moffi.Son visa prenait fin, il a donc dû retourner au Nigeria pour en obtenir un et repartir en Lituanie où le FK Riteriai voulait le faire signer. Mais la Lituanie n’a pas d’ambassade au Nigeria. Il devait donc se rendre au Caire, en Égypte, pour demander un visa à l’ambassade de Lituanie. Sauf que le visa égyptien lui a été refusé. Il s’est finalement rendu en Afrique du Sud, où il a enfin pu obtenir un visa lituanien auprès de l’ambassade. C’était une période très difficile pour lui et le reste de la famille. Est-ce qu’il a eu envie d’abandonner ? Certainement pas ! » Pendant plus d’un an, l’attaquant ne foule plus les terrains à cause de ces problèmes de laissez-passer, mais déniche ce point de chute à Riteriai, toujours en A Lyga où il a tout de même réussi à laisser quelques bons souvenirs. « Le dernier match que j’ai joué avec Kaunas était contre ce club. Et il se trouve que j’ai vraiment fait un super match. De retour au Nigeria, j’ai reçu un message du directeur sportif du club sur Facebook disant qu’ils cherchaient un joueur de mon profil », expliquera-t-il.

Le week-end, on allait souvent au cinéma. Je lui donnais toujours le sourire et le moral pour qu’il soit libre dans sa tête, je peux dire que ma présence l’a beaucoup aidé moralement.

« Il est très proche de la sélection »

Cette année blanche redonne les crocs à Moffi, qui réapparaît sur les terrains lituaniens en mars 2019 : « Il est arrivé avec l’intention de se relancer et de prouver de quoi il était capable dans un championnat où il avait été en échec », note son ex-coéquipier Lajo Traoré, ravi de voir un joueur africain le rejoindre dans le club basé à Vilnius, la capitale. En colocation avec l’Ivoirien, le gaucher retrouve enfin une sérénité. « Je lui faisais la cuisine. Quand on terminait le repas, on allait faire la sieste, puis on commençait à jouer à la PlayStation dans la soirée. Bon, j’étais le plus fort, se marre Traoré. Le week-end, après les matchs, on allait souvent au cinéma. Je lui donnais toujours le sourire et le moral pour qu’il soit libre dans sa tête. Je peux dire que ma présence l’a beaucoup aidé moralement, mais aussi sur le terrain. » Et les chiffres ne sont pas là pour faire mentir le milieu de terrain, actuellement sans club : en 29 apparitions en championnat, Moffi marque à vingt reprises et découvre même les joies d’un premier tour de qualification en Ligue Europa (perdu de peu face aux Féroïens du KÍ Klaksvík). Suffisant pour s’offrir, il y a un an et demi, une passerelle vers l’élite belge.

Après la révélation en Lituanie, la confirmation en Belgique et l’explosion dans l’Hexagone, la suite logique dans la progression de Terem Moffi se situe désormais du côté du Nigeria. Car celui qui soufflera ses 22 bougies le 25 mai n’a jamais connu la moindre cape ni chez les grands ni chez les jeunes, après avoir été écarté au dernier moment – au profit de son pote Victor Osimhen – de l’équipe partie soulever la Coupe du monde U17 au Chili en 2015. Sélectionneur des Super Eagles, Gernot Rohr est prêt à corriger cette anomalie : « Je l’avais mis sur ma liste fin mars, mais il n’a pas pu venir en raison des restrictions de voyage. Il est très proche de la sélection. » Des propos qui doivent ravir le buteur. « Il rêve de jouer pour le Nigeria à la Coupe du monde, révèle son papa. Il pense que si sa carrière suit le bon chemin, en jouant pour les bons clubs et avec les bons entraîneurs, il peut devenir le footballeur africain de l’année et gagner le Ballon d’or. » Après tout, les dernières personnes audacieuses qui ont posé une pièce sur lui n’ont pas eu à le regretter.

Dans cet article :
Lorient prend les commandes, le Red Star grappille
Dans cet article :

Par Félix Barbé et Jérémie Baron

Tous propos recueillis par FB et JB, sauf ceux de Moffi tirés de France Football et Sport/Foot Magazine, et ceux de Rohr tirés de Ouest-France.

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