Qui sont-ils ? Des inconnus, des supporters historiques du Bayern, des fans de foot scotchés devant leur écran et aimantés par le désir de ne perdre aucune miette de cette drôle de scène. Pour Franck Ribéry, c’est la fin d’un voyage, d’une campagne sportive longue de 424 matchs et 124 buts qu’il bouclera pour de bon samedi prochain, à Berlin, lors d’une finale de Coupe d’Allemagne qu’il ne se privera pas de soulever face à Leipzig. À l’évidence, le Français était un homme trop grand pour se contenter de l’ordinaire. Alors, à la soixante-douzième minute d’un Bayern-Francfort rapidement transformé en démolition, Ribéry s’est envoyé un slalom et est parti loger l’une des dernières balles de son barillet au-dessus de Kevin Trapp. Sacré point final pour une conclusion sanglotante : si le Bayern continuera de vivre après Ribéry, aujourd’hui, cela nous touche peu.
Le livre qui se referme
Car dans un premier temps, cette vie sans Franck sera sans doute un peu vide, un peu moche, un peu triste. Peut-être sera-t-elle plus belle, qui sait, mais on en doute et ce qu’il nous reste aujourd’hui, c’est surtout une question : pourquoi les adieux de certains héros nous touchent-ils autant ? Parce que voir Ribéry quitter le Bayern, c’est voir le temps défiler et accepter de refermer une boucle temporelle. « Quand je suis arrivé, un livre s’est ouvert, expliquait l’ailier français en personne samedi. Aujourd’hui, il se referme. Mais ce qu’il y a dans ce livre, ça reste pour la vie. » Parce que voir Ribéry s’effondrer sur un carré d’herbe, c’est revoir Ribéry jouer un une-deux avec Patrick Vieira avant de transformer Casillas en marionnette, le revoir sourire comme un gosse et se l’imaginer de nouveau enfoncé dans son siège au moment de l’annonce des résultats du Ballon d’or en 2013. Bien sûr que ce Ballon d’or était pour lui et bien sûr que tout le monde s’est posé la même question : pourquoi pas lui ? « Je me suis posé 10 000 fois la question » , disait-il à L’Équipe en février. Nous aussi, Franck.
Pleurer, c'est remercier
Appuyer sur l’interrupteur pour éteindre la lumière sur douze ans de carrière au sein d’un même club n’a rien de simple, et ce matin, Franck Ribéry ne sait pas vraiment ce qu’il fera dans une semaine. Ce qu’on sait, c’est que la fin est proche et que lorsque Karim Benzema partira à son tour, la France perdra les deux héros d’une génération toute entière. Deux héros qu’elle a décidé de sacrifier au nom du nettoyage de l’image des Bleus et sans qui elle a été championne du monde l’été dernier, mais qui étaient sans aucun doute possible les deux meilleurs éléments donnés au football français depuis Zidane. Oui, Franck Ribéry a fait des conneries, mais il faut aussi affirmer haut et fort qu’il n’a jamais été regardé de la même manière que les autres. Cruel, mais honnête : Ribéry était différent, brillant sur le terrain et humain en dehors, profondément humain. Voilà pourquoi on aimait s’identifier à lui et pourquoi le voir quitter le Bayern aujourd’hui est un chagrin. Le même chagrin qui touche une famille après une disparition et qui range le disparu au rayon des souvenirs. Demain, on ne vivra plus le Bayern avec Ribéry, mais on se souviendra du Bayern de Ribéry. Et putain, que c’était beau et inoubliable, vrai et sincère, télépathique et iconique. Pleurer, ça fait du bien, et pleurer, c’est remercier un héros de plus. Peut-être le plus fou de tous, trop grand pour être ordinaire.

Par Maxime Brigand
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