Justice sociale ?
L’absence d’un des Bleus les plus emblématiques et populaires sur un tournage publicitaire ne peut se réduire à une péripétie ou une brouille passagère. Son penalty raté contre la Suisse et le sentiment d'abandon qui en a découlé chez lui n'ont par exemple aucun rapport là-dedans. En boycottant ces événements marketing, le Parisien ébranle un édifice et impose un précédent qui pourrait déstabiliser un des axes fondamentaux de la marchandisation de l’équipe de France par la FFF. Là est le nœud de l’affaire, et se profile en arrière-plan la question centrale de savoir où finit tout cet argent. Il sert bien sûr en partie à financer les primes des joueurs, qu’ensuite certains, selon leur bon vouloir, redistribuent à leur club formateur amateur ou à des œuvres caritatives. Par ailleurs, Kylian Mbappé utilise plus largement ses droits à l'image (d’où le petit problème de mardi), au sens large, pour subventionner des associations. L’entourage de ce dernier a laissé entendre qu’il s’interrogeait sur la manière dont cette manne était redistribuée, notamment en direction du « foot d’en bas » , dont par ailleurs sont issus tous les internationaux. Ce doute sur le peu d’esprit partageur de la Fédé remonte régulièrement des districts ou a pu s’exprimer lors des élections internes par la voix d’Éric Thomas, président de l'AFA. En pointillé : c'est un tabou de la justice sociale autour de ce bien commun qu’est l’EDF qu'on met au jour. Enfin, Kylian Mbappé a laissé filtrer ses doutes sur la dimension éthique de quelques-uns de ces fameux partenaires, demandant davantage de dialogue avec la Fédé à ce propos.
Paradoxes et conséquences
KM7 est effectivement le premier à aller au clash sur ce terrain. Quitte à briser la douce quiétude d’une équipe de France qui, depuis Knysna, vit dans la hantise de tous remous ou comportements qui pourraient froisser l’opinion. Certes, Kylian Mbappé n’est pas Nicolas Anelka, et son geste possède davantage de portée et de signification. Toutefois, les sueurs froides qui coulent dans le dos des cadres et du staff doivent avoir un léger arrière-goût sud-africain. D’autant qu’il est impossible d’ignorer les arguments du joueur parisien. En particulier sur la redistribution en direction du foot amateur ou sur l'exigence globale en matière de valeurs envers la FFF, qui exerce avec les Bleus une délégation des services publics de l’État pour « nous » représenter.

Naturellement, Kylian Mbappé s’avère moins regardant ou critique concernant le beau salaire qu’il touche au PSG de la part de QSI. On attend toujours sa prise de conscience sur ce qui se passe au Qatar autour de l’organisation ou la tenue de la Coupe du monde dans l’émirat. Enfin d’autres observateurs y décèleront une énième démonstration d’un caractère hautain, voire arrogant, exigeant des passe-droits à l’abri de son statut hors normes et de titulaire évident, justifié par ses prestations balle au pied, aussi bien en sélection qu’au PSG. Cette minicrise pose néanmoins sur la table quelques problématiques de fond sur ce qu’est devenue l’équipe de France, une responsabilité qui échoit d’abord à la FFF. Comment éteindre l’incendie ? Impossible de sanctionner véritablement un Mbappé avec son totem d’immunité, ou de le renvoyer dans ses pénates. Il s’agirait d’une décision par trop impopulaire ou indéfendable. Il doit y avoir de jolis cernes ce matin dans les bureaux de la direction de la FFF ou dans l’encadrement des Bleus à Clairefontaine.
Par Nicolas Kssis-Martov
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