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Max Bergmann : « Les joueurs se foutent de mon âge »

Propos recueillis par Julien Duez
9 minutes
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Depuis mardi dernier, l’Allemand Max Bergmann bénéficie d’une exposition médiatique plutôt inattendue. À la suite de la suspension de l’entraîneur-principal du Hallescher FC (D3), cet analyste vidéo, connu outre-Rhin pour ses palettes tactiques postées sur YouTube, a été promu coach d’un jour face au VfL Osnabrück, candidat à la montée en 2. Bundesliga. Tout ça à seulement 24 ans. Résultat : un scénario qui bascule dans le bon sens (0-2 à la pause, 3-3 score final) et un bon point de pris dans la lutte pour le maintien. Entretien avec un homme qui prouve qu’avoir joué au plus haut niveau n’est pas forcément un prérequis pour être un bon tacticien.

Comment on se sent, quelques jours après avoir être apparu dans les médias du monde entier ?Ça va, je ne m’attendais pas du tout à bénéficier d’une telle exposition, mais maintenant ça va mieux, je me suis bien reposé. J’ai recommencé mes petites analyses et je suis déjà concentré sur le prochain match. C’était assez intense et même plutôt intéressant comme expérience. Et surtout, c’est sympa pour le club.

En match, les sensations sont totalement différentes parce que c’est toi qui as le dernier mot, sans pouvoir échanger avec l’entraîneur principal sur ce qui va bien ou ce qu’il faut corriger. Là, tu es tout seul.

D’ordinaire, tu es plutôt en retrait, mais contre Osnabrück, tu te tenais en première ligne. Comment c’était d’être au contact de joueurs qui, dans leur immense majorité, sont plus âgés que toi ? D’un côté, je suis habitué à les côtoyer au quotidien à l’entraînement, donc j’ai vraiment ressenti qu’ils me faisaient confiance. Mais c’est vrai qu’en match, les sensations sont totalement différentes parce que c’est toi qui as le dernier mot, sans pouvoir échanger avec l’entraîneur principal sur ce qui va bien ou ce qu’il faut corriger. Là, tu es tout seul.

Ce samedi, contre la réserve du BvB, André Meyer aura purgé sa suspension et retrouvera sa place au bord du terrain. À quoi ça va ressembler pour toi ?Ce sera le retour à la routine. Je commencerai la rencontre assis en tribune parce que la perspective y est meilleure et serai en contact par téléphone avec le reste du staff sur le banc pour leur transmettre mes analyses sur l’adversaire et leur donner les solutions que nous avons préparées pour nous y adapter. Après une demi-heure de jeu environ, je les rejoindrai pour leur apporter mon soutien et tenter d’influer sur tel ou tel remplacement et donner l’un ou l’autre conseil pratique aux joueurs.

En l’interrogeant sur sa précocité, Kylian Mbappé a un jour répondu : « Moi tu m’parles pas d’âge. » Et avec toi, on peut en parler ? Je comprends qu’on le fasse, et c’est bien normal, puisque c’est effectivement assez peu habituel de voir un entraîneur de 24 ans diriger une équipe professionnelle. Mais de mon point de vue strictement personnel, mon âge n’a aucune incidence, et d’ailleurs, les joueurs s’en foutent eux aussi. Ce qui compte, c’est que je les aide et que je prenne la bonne décision, c’est ça mon rôle. Après, ce samedi, on va jouer au Westfalenstadion de Dortmund, c’est un super stade que tout le monde a vu à la télé en regardant la Bundesliga et on ne va pas se mentir, ça risque d’être assez cool de s’asseoir sur le banc d’un endroit pareil.

Quand est-ce que tu as chopé cette fièvre tactique ? Tu n’as jamais joué toi-même sur le terrain ?Si, bien sûr. Quand j’étais plus jeune, j’avais une licence dans un petit club de Brême, d’où je suis originaire, le FC Union 60. Je jouais numéro six ou bien latéral. En 2016, j’y ai vécu ma première expérience de coach en prenant en charge l’équipe U17 et je me suis rendu compte que j’avais énormément de lacunes en matière de tactique. Du coup, j’ai commencé à me documenter en lisant la théorie, en regardant des vidéos sur Internet, en posant des questions… Et puis je regardais un nombre incalculable de matchs, juste pour savoir ce que je pouvais en tirer pour mes propres joueurs. C’est comme ça que tout a commencé, et je me suis rendu compte qu’en fait, j’adorais faire ça. Donc j’ai commencé à écrire des rapports tactiques sur le site Total Football Analysis et à monter des vidéos spécialisées sur YouTube.


Tout ça en tant qu’amateur. On a des profils similaires au tien en France. Comment tu expliques que la tactique soit devenue aussi populaire auprès du grand public ?Je crois que beaucoup sont obsédés par l’idée de mieux comprendre un match. Contrairement à d’autres disciplines, le foot est basé sur une grande part de hasard et une rencontre est faite de multiples éléments décisifs qui peuvent la faire basculer dans tel ou tel sens et que l’on ne voit pas forcément. Donc je dirais que cette obsession vient de l’envie de savoir comment une équipe a gagné et quel facteur a eu le plus d’influence pour ce faire.

Je dirais que cette obsession pour la tactique vient de l’envie de savoir comment une équipe a gagné et quel facteur a eu le plus d’influence pour ce faire.

Faut-il en déduire que les analyses à la mi-temps des matchs sont devenues insuffisantes ?Je ne crois pas, on doit garder à l’esprit que les experts de la télé s’adressent au grand public qui, soit n’est pas intéressé par la tactique, soit ne comprendrait pas tout ce qui est exposé. Ce n’est pas la même audience que celle pour laquelle mes vidéos sont pensées, donc ce ne serait pas forcément pertinent de faire la même chose, il faut réussir à rester intéressant pour tous les téléspectateurs et pas seulement pour une niche. Malgré cela, je constate que la tactique prend de plus en plus de place dans les analyses à la pause, en étant présentée de manière simplifiée.

Quelle est donc cette audience à laquelle tu t’adresses ?C’est un mélange de plusieurs profils : il y a les férus de tactique, évidemment, mais aussi des entraîneurs qui souhaiteraient s’améliorer dans l’un ou l’autre domaine, sans oublier ces supporters qui veulent comprendre telle ou telle clé d’un match.

C’est comme ça que le Hallescher FC t’a recruté la saison dernière ?Tout à fait. Ils m’ont proposé de devenir analyste vidéo et entraîneur-adjoint des jeunes, puis l’année suivante, j’ai été promu chez les pros. C’est un club que je connaissais de loin, parce que je les avais vus jouer en Coupe d’Allemagne. Je me rappelle notamment un premier tour qu’ils ont malheureusement perdu face à Wolfsburg alors qu’ils avaient super bien joué (en 2019, NDLR). Mais ça n’allait pas plus loin que ça. En revanche, j’ai senti que je pouvais faire bouger certaines choses pour leur permettre d’avancer et ça m’a paru très intéressant comme défi à relever.

Vidéo


Quand on voit qu’un club pro, même en D3, engage un profil comme le tien, peut-on dire que l’analyse tactique est devenue quelque chose sur lequel il faut obligatoirement travailler de façon spécifique ?En tout cas, ce n’est plus seulement réservé à une élite. Chez nous, en Allemagne, tous les clubs qui disposent d’un centre de formation doivent se doter d’un analyste, ça montre bien la direction dans laquelle on va. Cependant, je crois qu’il faut faire très attention quand on travaille avec des jeunes, à ce que la tactique ne prenne pas une place trop importante dans leur formation. Ils ont un profil très différent des pros, et l’aspect pédagogique doit rester ce qui prime.

Dans la vraie vie, il faut apprendre à communiquer parce qu’on est face à de vrais gens, parfois des pères de famille, qui ont chacun leur propre parcours, leurs forces et leurs faiblesses.

Où se situe la principale difficulté quand on joue une partie de Football Manager, mais dans la vraie vie ? Au niveau humain. Sur Football Manager et à toutes les variantes auxquelles j’ai joué sur PC, tout se règle en quelques clics de souris. Dans la vraie vie, il faut apprendre à communiquer parce qu’on est face à de vrais gens, parfois des pères de famille, qui ont chacun leur propre parcours, leurs forces et leurs faiblesses et cela implique de trouver le bon comportement à adopter avec chacun d’entre eux. Ça, c’est la base pour obtenir la réussite sportive et on ne le retrouve pas autant sur Football Manager. En parallèle, je suis un cursus en STAPS à distance à l’université de Francfort et certains modules que j’étudie vont dans ce sens, à commencer par ceux de la pédagogie et de la psychologie du sport. Mais pour les perfectionner au maximum, rien ne vaut la pratique.

Tu penses avoir trouvé ta propre identité en tant qu’entraîneur aujourd’hui ?Je crois surtout que dans ce métier, on ne cesse jamais d’apprendre. On ne maîtrise certains points qu’après plusieurs années, à force d’expérience. Mais je pense quand même avoir trouvé certains principes qui me caractérisent. Par exemple, ce qui fait sens sur le terrain au niveau du jeu et de la tactique doit aussi faire sens humainement parlant. J’aime aussi qu’on joue de façon proactive, en étant tournés vers l’attaque et en prenant des risques. En tout cas, c’est de cette façon que je prends le plus de plaisir et c’est ce que j’essaye de transmettre aux joueurs.

J’essaie de rester éloigné du concept de modèle, même s’il y a forcément des entraîneurs qui ont eu une influence sur moi. René Marić, l’adjoint de Marco Rose au Borussia Dortmund par exemple.

Il y a des coachs que tu vois comme des modèles ?Hmmm… J’essaie de rester éloigné du concept de modèle, même s’il y a forcément des entraîneurs qui ont eu une influence sur moi. René Marić, l’adjoint de Marco Rose au Borussia Dortmund par exemple, à travers le blog tactique Spielverlagerung qu’il animait par le passé. À part ça, je n’ai pas de grand modèle, je pense que chacun doit trouver sa propre voie. Simplement parce qu’on est tous différents.

Malgré tout, on pourrait te ranger dans cette catégorie de jeunes entraîneurs comme Julian Nagelsmann ou Domenico Tedesco qui n’ont pas connu le haut niveau en tant que joueur. Ce serait un rêve de suivre leurs traces ?Mon rêve, c’est d’abord de continuer à travailler dans le football. Pour le moment, je suis très satisfait de ce que j’ai et, comme je l’ai dit, je peux encore progresser dans pas mal de domaines. Où est-ce que ça me mènera ? Je pense que ça se décidera tout seul.

Avec ton parcours, tu arrives encore à regarder un match de foot normalement aujourd’hui ?C’est sûr que ça a changé, en tout cas, pas comme un fan le ferait. Mais quand je regarde mon club, le Werder, j’arrive malgré tout encore à vibrer, sans être complètement happé par tous les aspects tactiques.

Dans cet article :
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Propos recueillis par Julien Duez

Crédit photos : Hallescher FC

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