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Matheus Dória, sacrifié politique ou simple malentendu ?
Recruté en fin de mercato estival, Matheus Dória était annoncé comme le gros coup du recrutement marseillais. Cinq mois plus tard, sans avoir foulé les pelouses de Ligue 1, l'espoir brésilien est reparti en prêt, la queue entre les jambes, au Brésil. Sacrifié par Marcelo Bielsa pour protéger ses prérogatives ou simplement pas assez bon ?
Dernières heures du mercato d’été 2014, Vincent Labrune n’est pas peu fier d’annoncer le recrutement de Matheus Dória pour une indemnité évaluée entre 5 et 9 millions d’euros. Le président marseillais est tout sourire, car il vient de mettre le grappin sur l’un des plus grands espoirs du football auriverde. Pas encore 20 ans, Dória sort de deux grosses saisons sous les couleurs de Botafogo, est capitaine de l’équipe du Brésil espoir et compte une sélection en A, honorée le 2 avril 2013 avec trois petites minutes de jeu en amical contre la Bolivie. Du côté de la Canebière, pas de doutes, Dória est alors l’héritier tout désigné de Carlos Mozer, le grand défenseur brésilien des années 90. Mais ça, c’est avant que Marcelo Bielsa ne calme tout son monde avec une conférence de presse restée depuis dans la légende : « J’ai appris l’achat de Dória le lundi après-midi alors qu’il arrivait pour la visite médicale. Je me suis opposé à son arrivée. Quand je donne ma position sur un joueur, je prends en compte de nombreux facteurs et l’un d’entre eux est de savoir quelle est sa valeur et s’il est là pour la durée. L’arrivée de Dória, je n’ai pas pu l’analyser. Je n’ai pas pu donner mon opinion. » Le message est clair : le Sud-Américain va devoir mériter sa place, et il part avec un crédit minimum…
Dória, niveau CFA2 sans plus ?
Cinq mois plus tard, Dória n’a pas disputé une seule seconde de jeu avec l’équipe première olympienne, et surtout, est reparti au Brésil via un prêt avec option d’achat à 12 millions du côté du FC São Paulo. Lors de sa présentation dans la ville paulista, le défenseur a dit vouloir « prouver qu’il peut rester plus longtemps que la durée de son prêt » – comme pour mieux sous-entendre qu’il n’a plus le cœur ni l’esprit à l’OM. Surtout, il accuse sans donner l’air d’y toucher : « Bielsa ? Je ne veux pas parler de lui, car il n’a jamais parlé de moi… » De là à confirmer soi-même la thèse du joueur sacrifié dans une lutte de pouvoir entre Marcelo Bielsa et Vincent Labrune, il n’y a qu’un pas. Une théorie niée en premier par l’entraîneur argentin, selon qui Dória n’a jamais eu sa chance faute d’un niveau de jeu suffisant. « Je l’ai vu jouer plusieurs fois, ce n’était pas un mauvais joueur, mais pas non plus quelqu’un qui surclassait les autres. Il avait le niveau CFA2. Je l’ai même vu souffrir contre un avant-centre de Toulon » , se rappelle Jalile Zeroual, directeur sportif de l’AS Mazargues et habitué des matchs de la CFA2 marseillaise. « Il manquait parfois de justesse technique, faisait des erreurs de placement ou de relance, même s’il n’était pas catastrophique. Je pense que mentalement, il n’était pas au top. Après, ce qu’a dit Bielsa à la presse, cela n’a pas dû aider » estime Zeroual, citant en exemple l’état d’esprit des produits du centre de formation comme Aloé, Sparagna ou Andonian, « quant à lui extraordinaire dans l’engagement, on sent qu’il a une énorme envie de réussir à l’OM » .
Pas indiscutable à Botafogo, futur relégué brésilien
En clair, si Dória a du talent, il n’a pas forcément su l’exploiter pour forcer la main de son entraîneur. Une hypothèse que privilégie Christian Cataldo, le président des Dodgers : « Si encore il avait joué en équipe première, mais là, on n’a rien pour le juger. Il n’a pas dû faire ce qu’il fallait aux entraînements pour décrocher sa place » . Pour lui, le talent du Brésilien a probablement été surévalué car « s’il était si bon, il n’aurait pas débarqué à l’OM, mais plutôt au Real ou à Manchester… » Au Brésil, le gamin a laissé d’assez bons souvenirs pour générer une lutte entre Cruzeiro, Santos et São Paulo afin de le rapatrier. Mais ses déboires marseillais n’ont pas forcément surpris, même si beaucoup d’observateurs l’estimaient suffisamment costaud pour se faire une place dans la charnière centrale de Bielsa. Pour cause, Dória n’a pas quitté son pays par la grande porte en août dernier : alternant les grosses prestations avec d’autres où il se trouait, l’international espoir n’était plus indiscutable dans le onze de Vagner Mancini au moment de signer en Ligue 1. Son club, 17e au soir du 10 août, date de la dernière apparition de Dória pour une défaite 2-0 contre l’Atlético Paranaense, a finalement terminé la saison 19e et relégué…
Une jurisprudence Dória ?
Sous cet angle, la thèse du joueur sacrifié sur l’autel d’une lutte de pouvoir entre Marcelo Bielsa et Vincent Labrune perd en épaisseur, même si l’Argentin a sûrement profité du cas Dória pour faire un exemple. Jalile Zeroual : « Sportivement, vu son niveau, c’est logique qu’il n’ait pas fait son trou. C’est comme l’autre Brésilien, Alef. Il ne défonce pas tout en CFA2. » Une manière de remettre indirectement en cause la politique de recrutement marseillaise : « Pour Dória, on nous avait annoncé un crack… » Selon Cataldo, les supporters marseillais ne tiennent d’ailleurs pas rigueur à Bielsa d’avoir laissé le Brésilien sur le bas-côté, car « s’il était vraiment hors normes, Bielsa aurait ravalé un peu de sa fierté et l’aurait fait jouer » . Des supporters qui demandent à juger sur les prestations et non sur les montants de transfert : « Ce n’est pas Gignac ou Nkoulou, il n’a rien accompli à l’OM, il n’avait aucun argument en sa faveur. Pour l’instant, il n’était pas à nos yeux supérieur à Aloé ou Sparagna… »
Bielsa privilégie le centre de formation
Pour Zeroual, les mésaventures de Dória et dans une moindre mesure de son compatriote Alef peuvent être un signal positif à l’égard des jeunes Marseillais, « car Bielsa a montré aux jeunes du centre de formation que s’ils étaient performants et sérieux, ils pouvaient monter en équipe première. Avec quel autre entraîneur c’est arrivé ces dernières années ? Deschamps comme Baup avaient promis de s’appuyer sur le centre, mais cela n’a jamais duré plus loin que les matchs de préparation… » Un tort de la politique sportive olympienne qui pourrait être réparé grâce à un entraîneur étranger, et qui doit donner des idées sur le long terme à l’OM selon le directeur sportif de l’AS Mazargues. « Regardez Lyon, c’est énorme ce qu’ils font, et encore, là, on n’en est qu’à la première vague. L’OL a mis une politique en place qui ne fait que donner ses premiers fruits, il y a encore d’autres supers jeunes qui vont arriver. À Marseille, le vivier est encore plus important, il faut mettre en place la même politique plutôt que de mettre 8 millions ou plus sur un jeune Brésilien qui n’est pas forcément meilleur que les gamins du centre… » Sans jamais avoir disputé la moindre minute sous le maillot marseillais, Dória a peut-être rendu espoir à tous les minots qui rêvent de percer à l’OM.
Par Nicolas Jucha