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Martyn Routledge : « Les écussons ouvrent une fenêtre vers le club »
Dans The Beautiful History, l’auteur et graphiste britannique Martyn Routledge propose de raconter l’histoire de son pays en décryptant les écussons de West Ham, Norwich City et Manchester United, mais aussi ceux du Eastleigh FC et de Colchester United.
Comment est né ce livre ?En 2018, j’ai sorti un premier livre intitulé The Beautiful Badge, qui explique d’où viennent les écussons, ce qu’ils veulent dire, pourquoi les équipes ont commencé à les porter, pourquoi on les modifie et le symbolisme derrière nombre d’entre eux. On y expliquait que beaucoup d’équipes du Yorkshire ont une rose blanche sur leurs écussons, alors que beaucoup d’équipes du Lancashire arborent une rose rouge. C’est l’héritage de la guerre des Deux-Roses (guerre civile entre la maison royale de Lancastre et la maison royale d’York, entre 1455 et 1487, NDLR). Puis on expliquait que l’écusson de Plymouth a un navire dessus, qui n’est autre que le Mayflower. On pouvait comprendre l’histoire britannique, ses personnages clefs, ses événements importants à travers les écussons. J’ai donc eu l’idée de raconter une histoire chronologique de la Grande-Bretagne racontée à travers les écussons. Les écussons ouvrent une fenêtre vers le club, mais aussi vers sa ville, ses fans et sa région. Par exemple, l’un des premiers que l’on a pensé à inclure est celui de Colchester. Il y a un aigle romain dessus car, à l’époque romaine, Colchester faisait figure de capitale de la Britannia.
Quel est le premier écusson à vous avoir intéressé ?Quand j’étais tout petit, je supportais Manchester United. Si tu regardes les maillots de Best et Charlton, il n’y a rien dessus. Ils étaient intégralement rouges. Ils n’utilisaient les écussons que pour certaines occasions, comme des finales de coupe. Puis ils ont commencé à utiliser le diable rouge. Très frappant. J’ai découvert que son histoire découle de celle du club de rugby de Salford (ville de banlieue au nord-ouest de Manchester, NDLR). En 1933-1934, le club est parti en tournée en France. Ils portaient un maillot rouge, ils étaient incroyables et gagnaient tous les matchs. Un journaliste local les a décrits comme des « diables rouges ». Ça leur a plu, et ils ont utilisé cette image. Deux décennies plus tard, Manchester United cherchait un surnom, et ils ont décidé d’utiliser ça aussi. Crawley Town utilisait un diable rouge bien avant Manchester United. Plus tard, à 14 ans, quand mes potes et moi pouvions aller voir des matchs seuls, on a commencé à aller voir et à s’intéresser à Preston North End. Un ami de mon père venait de là.
Preston a pourtant un agneau sur son écusson. Un peu moins cool, pour un ado, qu’un diable rouge…Si tu sors de la station de bus de Preston, tu vois cet agneau partout. Il est sur les armoiries de la ville, sur les bus, les poubelles, les murs. C’est l’agneau de Dieu, mais ce n’est plus un signe religieux. C’est un exemple de la pratique courante qu’un club choisisse simplement les armoiries de la ville comme écusson. Ils étaient d’abord seulement utilisés pour des occasions spéciales avant que cela se développe dans les années 1970. Au bout d’un moment, les villes ont commencé à dire aux clubs qu’ils n’avaient pas le droit d’utiliser les armoiries, car ils ne possédaient pas le copyright. Il a fallu trouver des accords, modifier les armoiries ou trouver quelque chose de neuf. Les clubs ont organisé des concours pour faire designer leurs écussons. Les écussons de Norwich et Ipswich Town datent de cette époque, comme celui de Nottingham Forest. Il n’a coûté que 25 livres, il est très simple, mais pas désuet. Il pourrait avoir été fait de nos jours.
On trouve beaucoup d’animaux sur les écussons des équipes, comme la mouette de Brighton, la pie de Newcastle, les renards de Leicester. Il y a beaucoup de renards, à Leicester ?Non, mais il y en avait ! Leicester est connue comme une terre de chasse au renard. Dans les années 1970, quand Gary Lineker était un jeune joueur de Leicester, l’écusson arborait un renard, mais aussi deux cravaches, qui représentaient les chasseurs qui fouettaient leurs chevaux. Puis ils ont disparu. Souvent, les écussons représentent le surnom de l’équipe, qui vient parfois de la couleur du maillot. Voilà pourquoi Newcastle – en noir et blanc – sont les Magpies. Eastleigh FC a longtemps arboré les armoiries de la ville, mais on les surnommait les Spitfires (l’avion le plus utilisé par la Royal Air Force durant la Seconde Guerre mondiale, NDLR). Le premier vol d’essai de Spitfire a décollé d’Eastleigh. Les avions étaient en partie fabriqués à Eastleigh. C’est important pour les gens de la ville d’avoir joué un rôle dans l’histoire du pays. Que ce soit pour les gens ou pour le club, le Spitfire signifie plus que les armoiries. Ils ont donc modifié l’écusson pour inclure ça. C’est moderne, mais cela raconte quelque chose de la ville.
Pourquoi les écussons font-ils tant référence à l’histoire ? Les clubs cherchent quelque chose qui représentent la ville. Norwich est un très bon exemple. Au XVIe siècle, l’Espagne accroissait la domination catholique sur le nord de l’Europe. Les protestants des Pays-Bas fuyaient les persécutions et s’embarquaient en direction de Londres, mais aussi de Norwich. Rapidement, un millier de réfugiés vivaient à Norwich. On les surnommait The Strangers, mais ils sont vite devenus une partie importante de la communauté. Ils ont apporté leur science du tissage et ont contribué à développer l’industrie de la ville, qui était alors la deuxième plus grande du pays. Souvent, ils tissaient en présence de leurs canaris, qui leur tenaient compagnie. Ils les avaient embarqués avec eux, puis ceux qui les avaient accompagnés ont fait des petits, et les canaris sont devenus un symbole de la ville. D’autres clubs préfèrent faire référence à un bâtiment. Dans les seventies, Blackpool avait incorporé la Blackpool Tower sur son écusson. C’était très moderniste. Ils ne l’ont gardée que pendant quelques saisons avant de revenir aux armoiries. Comme toute organisation, ils cherchaient quelque chose à quoi on pouvait s’identifier.
De nos jours, beaucoup de clubs optent pour un écusson minimaliste. Vous disiez que regarder un écusson, c’est voir plus qu’un club de foot. Quand on regarde l’écusson actuel de la Juventus, on ne voit qu’un club qui veut simplement vendre des maillots à des gamins qui n’ont pas forcément de goût…Ce que les clubs recherchent aujourd’hui, c’est de voir comment leur écusson apparaît sur un iPhone, sur des apps, sur des produits. Comment on peut l’animer. Il doit être adaptable et ça modifie l’approche que les clubs ont de leur écusson. À un niveau strictement graphique, l’écusson de la Juve n’est pas mal fait. En tant que représentation d’un club de foot, c’est une autre histoire… Cela dit, pour les gosses de dix ans qui achètent un maillot de la Juve aujourd’hui, le symbole de leur équipe, c’est ça. C’est leur écusson préféré. Dans les années 1980 et 1990, certains clubs anglais simplifiaient déjà leurs écussons. Ils optaient pour de simples logos qui ne voulaient pas dire grand-chose. Sur son maillot, Swindon Town portait un simple S, avec un cercle qui était censé être un ballon et un diamant qui représentait le terrain. Mais ça ne disait rien du club. Alors ils ont repris les armoiries, avec le train, qui est important pour la région. Norwich a récemment engagé une excellente agence qui n’a fait que simplifier légèrement leur écusson pour l’adapter à l’ère digitale. Parce qu’il avait été dessiné il y a cinquante ans, les lignes étaient toutes tordues. Ils l’ont juste arrangé. Ils l’ont rendu plus clair. Ça a quand même provoqué une controverse.
Avez-vous un écusson préféré ?J’aime beaucoup celui de West Ham. Il fonctionne dans l’ère digitale, mais le symbolisme fait référence aux débuts du club. C’était un club ouvrier. Les deux marteaux représentent Thames Ironworks, l’aciérie qui a fondé le club en 1895, à Canning Town, à côté de la Tamise. Si tu regardes de très près sur le haut des marteaux, tu peux encore lire la mention TIW. C’est minuscule, mais c’est un merveilleux détail, une référence à l’histoire. Puis les fans et les joueurs peuvent faire ça. (Il croise les bras, imitant la façon dont les deux marteaux sont croisés.) Ça te donne un formidable symbole, très simple, qui a du sens et remonte à la naissance du club. C’est une connexion avec le passé. Deux siècles plus tard, c’est toujours là. Voilà ce que les clubs devraient rechercher quand ils modifient leurs écussons.
À lire : The Beautiful History : Football Club Badges Tell the Story of Britain, édité chez Pitch Publishing, 2021
Propos recueillis par Thomas Andrei