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Marcelino, l’heure du bilan
À bientôt 50 ans, Marcelino Garcia Toral est désormais un entraîneur respecté dans la profession. Pourtant, le technicien a dû lutter avant d'être reconnu comme un grand coach. Contre Séville ce soir, il va rencontrer son ancien employeur. Avec l'esprit revanchard.
Dans le monde périlleux du football, les entraîneurs se divisent en deux catégories : ceux qui possèdent un passif d’ancien grand joueur, comme Guardiola au Barça ou Diego Simeone à la Lazio, et ceux qui creusent. Par creuser, on veut bien entendu parler de ces anciens joueurs passés inaperçus, comme Mourinho dans les divisions inférieures au Portugal. Du fait de leur piètre renommée sur un terrain de foot, ces hommes doivent donc convaincre une direction sportive deux fois plus que leurs chanceux collègues, s’intégrer deux fois mieux dans un groupe de joueurs professionnels, un métier qu’ils connaissent plutôt mal. A priori. Dans cette jungle pour obtenir un poste de chef de troupe, Marcelino Garcia Toral a fait son trou à Villarreal. Récemment auteur d’un match référence au Santiago-Bernabéu contre le Real Madrid, il se sent bien calé à la sixième place du championnat, en attendant peut-être la cerise sur le gâteau. Cette cerise, ce serait d’effectuer un joli parcours en Ligue Europa et, pourquoi pas, soulever le trophée en fin de saison. Pour cela, l’originaire des Asturies va devoir passer l’obstacle du FC Séville en huitièmes de finale. Pas un cadeau, c’est vrai, puisqu’on parle là du tenant du titre. Mais pour Marcelino, ce match est surtout l’occasion de faire le bilan. Car l’homme sait d’où il vient, et ce qu’il veut.
Andalousie, je me souviens…
Au début de la saison 2011-2012, le FC Séville est à un carrefour de son existence. Éliminé par Hanovre en Coupe d’Europe dès le mois d’août, le président de l’époque José María del Nido souhaite profiter de ce calendrier allégé pour fixer des objectifs ambitieux au club : viser une des quatre premières places en Liga, et ainsi obtenir l’opportunité de disputer la prochaine C1. La consigne est claire. C’est dans cette dynamique que Marcelino, fraîchement débarqué d’une mission de sauvetage au Racing Santander, prend les commandes des Palanganas. Membre influent de l’effectif sévillan à cette époque, Julien Escudé garde en mémoire l’arrivée du nouveau guide. « C’était un entraîneur connu et reconnu en Espagne, il avait une bonne connaissance du championnat. À Séville, on recherchait à grandir avec un coach espagnol comme le veut la tradition. Il devait parvenir au meilleur rendement possible avec l’équipe qu’il avait et son propre staff. » Parmi les joueurs cadres, Escudé, Andrés Palop ou Frédéric Kanouté restent des personnes clés à convaincre pour acquérir définitivement la confiance du vestiaire.
Ce que le technicien s’applique à faire. « C’était un mec assez vivant, une personne très communicative avec nous et un mordu de la vidéo, révèle Escudé. Il venait nous parler de tactique de façon très millimétrée. C’est un mec poussé par l’envie de bien faire. » Tout le monde se met au diapason et assiste à des séances presque mathématiques. « Il était d’une segmentation incroyable : des exercices avec ballon de 10-12 minutes top chrono, puis une minute pour boire, et c’est reparti pour 10 minutes de physique, synthétise l’ancien Bleu. On travaillait beaucoup la récupération de balle, pour finir la phase de jeu en quatre passes. Orienter le jeu côté opposé pour sortir de la zone de pression, c’était un de ses exercices favoris, on le travaillait quasiment tous les jours de la semaine. » Une mentalité de bosseur, donc, sans pour autant être au sommet de son art.
« Quand il se remémore Séville, ça doit être une blessure ouverte »
Les séances avec ballon et de renforcement musculaire sont de bonne facture, mais une seule chose foire dans la saison de Marcelino : les résultats. Si les dix premières journées voit Séville invaincu en championnat, le trop grand nombre de matchs nuls et l’arrivée de défaites posent problème en vue des objectifs du début de saison. Pour Escudé, l’essence du problème était déjà détectable en interne. « C’est peut-être dans la communication extérieure qu’il a péché. Tout ce travail de gestion de la presse, gérer les ego de certains joueurs, un travail où tu dois avant tout chercher à te faire respecter. Marcelino, c’est un gars du Nord, fier et qui n’aime pas trop qu’on l’embête. Avec la baisse des résultats, le public a commencé à le prendre en grippe et ça l’a affecté. » Entre décembre et février, Séville ne parvient à récupérer qu’un point sur vingt et un en jeu. Une série indigne d’un outsider de Liga, à laquelle Marcelino ne survivra évidemment pas. « Quand il part, il avait déjà du recul sur son travail, se rappelle Escudé. Il savait que le football, c’était avant tout une histoire de résultats, qu’une petite cause peut avoir de grandes conséquences. Aujourd’hui, la direction et beaucoup de joueurs sont partis, ce sera différent. Mais c’est évident que, quand il se remémore Séville, ça doit être une blessure ouverte. » Lourdé par son employeur, Marcelino rate la marche pour devenir un des meilleurs techniciens du pays. Le train passe-t-il deux fois ? La réponse est oui.
En fin de saison, la bombe tombe : Villarreal, qualifié en C1 et doté de piliers comme Diego López, Marcos Senna ou Giuseppe Rossi, descend en Liga Adelante. Contre toute attente, le sous-marin jaune sombre, et la machine a urgemment besoin d’un nouveau capitaine de navire. Marcelino sent bien le défi, reconstruit son équipe en partant d’une épave et bâtit son navire submersible. « Je le comparerais bien à Christian Gourcuff à ce niveau-là, explique Escudé. Un gars attentif, à l’écoute, tu sens qu’il y a un vrai désir d’évolution. Avec Marcelino, ta marge de progression reste énorme, mais dans un gros club, l’aspect technique n’est plus suffisant. Il faut savoir travailler les relations humaines, comprendre le joueur psychologiquement pour faire ressortir le meilleur de lui-même. » Aux sources de la seconde division, Marcelino prend le temps de connaître son club et ses soldats pour bâtir une armée aujourd’hui prête à défier son ancien bourreau. Hasard ou pas, le dernier match disputé par Marcelino en tant que coach de Séville était une défaite à Sánchez-Pizjuán contre… Villarreal. Désormais, du côté des Amarillos, Marcelino voudrait voir l’histoire se répéter.
Par Antoine Donnarieix