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Maillots vintage, les dessous d’un phénomène

Par Adrien Hémard
10 minutes
Maillots vintage, les dessous d’un phénomène

Dans le foot, c’est bien connu, « c’était mieux avant ». Est-ce pour cela que l’on assiste à une explosion des ventes des maillots de football vintage, qu’ils soient authentiques ou reproduits ? Eléments de réponse avec un tour d’horizon des poids lourds d’un business en plein essor.

Octobre 2020, le meme « How it started / How it’s going » déferle sur Twitter plus vite qu’une pandémie. À Manchester, deux Anglais plient le game : Matt and Doug. Sur la première photo, une petite maison en briques rouges, typique des banlieues d’outre-Manche. Rien de bien folichon. Sur la deuxième, les deux jeunes hommes posent devant un immense hangar de plus de 7 000 mètres carrés. Sous ces maillots trop larges des années 1990 se cachent les deux fondateurs de Classics Football Shirts. Et par ce simple tweet, ils viennent de résumer la success-story de leur entreprise fondée en 2006, et qui compte aujourd’hui 100 employés pour un million de ventes annuelles. Tout cela en vendant des vieux maillots de foot. Et si « CFS » est le site plus connu, il est loin d’être le seul.

Si l’on aime le foot, et que l’on est un minimum connecté, difficile de passer à côté du phénomène. Twitter, Instagram, Facebook : les algorithmes publicitaires finissent toujours par vous renvoyer vers ces sites dédiés à la revente de maillots vintage, ou vers des revendeurs sur eBay ou Vinted. Plus besoin d’écumer les friperies ou les brocantes locales pour trouver un vieux maillot : deux clics suffisent sur un des nombreux sites spécialisés. L’introuvable est devenu presque banal : les tuniques rétro sont partout, et à tous les prix : de 30 à 200 euros pour un maillot authentique, de 60 à 200 pour une reproduction, et plusieurs milliers d’euros pour un maillot porté en match. Même les équipementiers s’y mettent. Mais alors, comment s’explique ce phénomène ? Est-ce un rejet du foot actuel, un retour vers une époque fantasmée ou une simple tendance dictée par l’essor du sportswear ? La vérité se cache au milieu de tout cela.

L’école du maillot authentique

Au pays des maillots rétro, il y a deux écoles. D’abord, celle incarnée par Classics Football Shirts : les maillots authentiques. Sur ce segment, le site anglais lancé en 2006 par Matt et Doug, alors étudiants, est la référence ultime. « On a la plus grande collection de maillots de foot du monde, et vous pouvez les acheter », se la pète Doug, qui précise : « Cela couvre toutes les saisons dans la plupart des pays du monde. Peu importe votre équipe de cœur, il y a un maillot pour vous dans notre collection. » De quoi ridiculiser la collection privée de feu Louis Nicollin. Chaque jour, « CFS » vend 2 000 objets, dont 1 000 maillots. « Quand on était étudiants et qu’on allait jouer, je voulais porter quelque chose que les autres n’avaient pas. J’ai commencé par acheter un maillot de l’Allemagne 1990. En faisant cela, on a réalisé qu’il n’y avait aucun endroit où trouver des maillots anciens », rejoue Doug. Du haut de leurs 21 ans, les deux potes sautent le pas en 2006. Ils tablent alors sur 10 ventes par jour, mais la première se fait attendre. Avec zéro vente en deux semaines, le doute s’installe.

Un original vaut plus qu’une copie, en argent, mais aussi comme symbole. Il prend de la valeur avec le temps. C’est un investissement pour le futur.

Quinze ans plus tard, CFS compte 100 employés, contre 20 il y a cinq ans. À ses débuts, l’entreprise se fournissait au goutte-à-goutte dans les friperies et magasins de charité de Manchester. Aujourd’hui, elle traite directement avec les équipementiers. « On a deux boutiques physiques, une à Manchester et une à Londres. On a aussi un magasin itinérant. On aimerait ouvrir à Paris, Milan ou Madrid », ambitionne Doug. « Mais c’est difficile d’avoir assez de stocks pour alimenter un site internet et plusieurs boutiques. » Là est la limite de cette école de l’authentique : mettre la main sur des maillots qui ne sont plus commercialisés. « C’est plus dur de trouver des stocks que des clients. On a beaucoup de connexions dans le monde entier », explique Doug, évasif sur ce secret de fabrication. Et pour cause, l’entrepreneur anglais tient à son trésor :« Un original vaut plus qu’une copie, en argent, mais aussi comme symbole. Il prend de la valeur avec le temps. C’est un investissement pour le futur. » Mais cela reste plus abordable qu’un maillot neuf, avec des prix qui oscillent généralement entre 30 et 100 euros sur CFS, et jusque 200 euros pour les pièces les plus anciennes. Sauf pour les maillots portés en match, dont les prix s’envolent de plusieurs centaines à quelques milliers d’euros, et que CFS déniche aussi : « On traite directement avec beaucoup de joueurs retraités ou non. C’est comme cela qu’on les certifie. »

L’essor des reproductions

La deuxième école a choisi de se simplifier la vie : ce sont ceux qui reproduisent les tricots. Lancé en 1998 aux Pays-Bas, COPA est un des poids lourds du game. En France, Bruno Durand, fondateur des Voyages en Ballon se fournit essentiellement chez eux : « Je me suis tourné vers les copies plutôt que les orignaux parce que je voulais vendre des choses neuves, de qualité. Revendre des maillots d’occasion, c’est aussi se soumettre à leur cote qui évolue énormément, qui fait le yo-yo. » C’est aussi pour cela que COPA s’est positionné sur ce marché. Le principal enjeu pour les fabricants : négocier des accords de reproduction avec les clubs. Marketing Manager chez COPA, Osin Peltenburg détaille : « Nous contactons le club pour voir s’il est intéressé par une collection rétro. Parfois, c’est l’inverse. » COPA travaille aujourd’hui avec, entre autres, le FC Barcelone, la Juventus, l’AS Roma, l’Atlético de Madrid, Benfica, Porto, ou Nantes.

Une fois l’accord établi, la marque sélectionne les maillots emblématiques du club et les produit elle-même. Côté coût : comptez 60 euros pour un maillot, 80 pour une veste. « Depuis nos débuts, nous avons privilégié l’artisanat traditionnel made in Europe pour garantir la meilleure qualité de produit possible », explique Osin. La qualité, c’est justement ce qui est souvent mis en avant pour ces reproductions. Parfois, c’est même leur raison d’être, comme pour les maillots de la marque française Sport d’Époque, créée en 2007 par les frères d’Argenlieu et qui s’est positionnée sur le haut de gamme (de 100 à 200 euros le maillot). Leur but : raconter un bout d’histoire du sport via des produits made in France. « On est allés très loin dans l’histoire du sport, parce qu’il y a une dimension de haute qualité à combler dans le marché énorme du sportswear. C’est fabriqué en France, avec des techniques de l’époque, pour avoir des beaux produits », explique Benoît, ancien de chez Nike et Puma. Mais aussi belles soient elles, les reproductions ne font pas l’unanimité chez les collectionneurs, à l’image du Lensois Loïc : « C’est bien sans être bien. C’est le dernier recours si vraiment je veux un maillot. Ne pas avoir la marque sur le maillot, c’est un manque d’authenticité, il manque une pièce au puzzle. » Ce qui n’empêche pas leur succès.

Le tournant du Mondial 2018

Chacun son produit donc, mais tous les spécialistes de maillots rétro sont unanimes : depuis quelques années, les ventes explosent. « En Europe, elles ont doublé en 2020. La communauté est en pleine expansion », se réjouit Doug. Selon lui, le véritable tournant a été la Coupe du monde 2018 : « On a vendu beaucoup de maillots de sélections. Ils ont commencé à être portés hors des stades, par des gens pas forcément fans de foot. Et puis cette année le confinement a changé les habitudes des gens. » En France, les frères d’Argenlieu ont eux aussi senti le vent tourner, mais se montrent plus mesurés, tout comme Bruno des Voyages en Ballon : « La mode du vintage dans le football, c’est comme un cargo : ça avance lentement, mais sûrement, et ce sera toujours là. » Et à chaque site son best-seller : Manchester United pour CFS, Argentine 86 et les produits Olive et Tom pour pour LVEB. Et parfois des plus inattendus : « Si le design est sympa, on peut faire un carton sur un maillot d’un petit club. Par exemple, l’été dernier, on a cartonné avec un maillot des Young Boys », s’étonne Doug.

Ça prouve que tu aimes vraiment le foot, que tu n’es pas qu’un footix. Ce sont des maillots qui en disent long sur leur porteur, c’est une mode assez statutaire. Tu ne fais pas référence seulement à un club, mais à une époque.

Comment expliquer un tel succès pour un vieux maillot des Young Boys de Berne ? « Les maillots rétro ne sont plus seulement un article de sport, ils font partie de la culture et de la mode moderne », avance Osin chez COPA, comparant cela au retour des chemises bariolées des années 1980 dans les rayons actuels. Un point de vue partagé par tous les acteurs du milieu : le maillot de foot est devenu fashion, grâce à l’essor du sportswear. Et encore plus lorsqu’il est vintage. Pour Bruno, c’est aussi une façon de se démarquer : « Ça prouve que tu aimes vraiment le foot, que tu n’es pas qu’un footix. Ce sont des maillots qui en disent long sur leur porteur, c’est une mode assez statutaire. Tu ne fais pas référence seulement à un club, mais à une époque. Il y a une forme de romantisme, de nostalgie. » Enfin, il y a une simple raison : les maillots actuels seraient moins beaux, trop bariolés de publicités. Ce que Doug nuance : « Quand on a commencé notre entreprise, le maillot d’Arsenal bordeaux faisait débat. Aujourd’hui, personne ne niera que c’est un classique. Vous ne savez pas quel maillot d’aujourd’hui sera un classique plus tard. Le design est une chose, mais aussi le moment, les joueurs, ce qui a été accompli avec ce maillot. »

Russel Westbrook, Amsterdam et Romário

Et cette tendance n’est pas qu’européenne, contrairement à ce qu’on pourrait penser. Du côté de Sport d’époque, le principal marché se trouve outre-Atlantique, affirme Benoît d’Argenlieu : « On se développe bien aux États-Unis. On voit même des stars de la musique et du sport qui portent nos maillots, le chanteur de One Direction par exemple, ou Russel Westbrook aussi, qui a porté le maillot de Mont-de-Marsan. » Pour augmenter leur marché, les marques créent donc l’évènement. CFS est ainsi très actif sur les réseaux sociaux, notamment sur Instagram avec 400 000 followers : « C’est une manière de partager ce qu’on fait, ce qu’on a en stock. La communauté est très passionnée. C’est aussi plaisant d’avoir le retour des clients ainsi, en visuel. Et parfois même un peu effrayant », sourit Doug, en se rappelant du #kitsoutchallenge lancé cet automne. Du côté des Voyages en ballon, Bruno mise plutôt sur des tournois avec port du maillot vintage obligatoire : « Il y a 12 ans, j’ai commencé avec un tournoi, maintenant j’en fait 26 par an. Tu sens que les gens ne veulent pas un tournoi ordinaire, avec un maillot ordinaire, mais une expérience. Ça cartonne ! »

Les gens de 16 ans aujourd’hui, quand ils vieilliront, ils seront nostalgiques des maillots actuels. Les modes avancent : quand on a commencé, on vendait des maillots de Romário, maintenant ce sont ceux de Ronaldinho et demain ce sera Neymar.

Créer l’évènement permet aussi de casser la routine, alors que cette multitude d’offres réduit parfois le plaisir des collectionneurs. « C’est vrai que c’est trop facile de trouver maintenant. Moi, je faisais beaucoup les brocantes avant. Dès qu’il y avait des maillots, j’achetais. À la fin des années 1990, tu rachetais le maillot de l’année précédente pour 30 francs, 5 euros », se souvient Bruno. À Lens, Loïc partage ce point de vue : « À force, on ne sait plus quoi penser. La multiplication des sites n’est pas forcément un gage de qualité, il faut se méfier des arnaques. » Pour recréer cette ambiance parfois un peu perdue de chineur, Classics Football Shirts ou COPA ont par exemple lancé leurs boutiques physiques. « À Amsterdam, on est situé juste en face de la gare centrale. On est une visite incontournable avec 300 m2 d’hommage au beau jeu, avec du gazon artificiel, un baby-foot, des sièges de stade, des visuels de football et des œuvres d’art décorant les murs », décrit Osin. Mais ce phénomène n’en est qu’à son début, à en croire Doug : « Je fais beaucoup de cauchemars sur la pénurie de maillots… Mais chaque année, toutes les équipes du monde en produisent deux ou trois, le catalogue futur se remplit. Et les gens de 16 ans aujourd’hui, quand ils vieilliront, ils seront nostalgiques de ces maillots actuels. Les modes avancent : quand on a commencé, on vendait des maillots de Romário, maintenant ce sont ceux de Ronaldinho et demain ce sera Neymar. » Encore un « How it started / How it’s going. »

Dans cet article :
Saint-Étienne croque Montpellier
Dans cet article :

Par Adrien Hémard

Tous propos recueillis par AH.

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