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Lothar Matthäus : « Thomas Müller est un des cinq meilleurs joueurs du monde »

Propos recueillis par Alexandre Lazar
9 minutes
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En compagnie de plusieurs autres médias européens, So Foot a eu l'opportunité d'échanger avec Lothar Matthäus, Ballon d'or 1990 et vainqueur du Mondial italien avec la Mannschaft la même année. Aujourd'hui ambassadeur du Bayern Munich, de la Bundesliga et consultant vedette à la télévision allemande, l'ancien milieu relayeur tout-terrain a un avis sur bien des thématiques. Entre sérieux et bonne franquette, la Nähmaschine distille, à moins de deux semaines d'un succulent Allemagne-France à l'Euro 2020.

La Coupe du monde 2018 a été un vrai traumatisme pour nous, quelque chose d’indigne et d’inacceptable pour le football allemand.

Quelles sont vos attentes par rapport à l’Euro 2020, notamment pour la Nationalmannschaft ?
Je pense que nous avons là un tournoi intéressant, une première dans toute l’Europe avec onze pays hôtes. Voir enfin du public massivement dans les stades va nous faire beaucoup de bien après cette période difficile. Le défi est grand face au champion du monde en titre français, au champion d’Europe en titre portugais et à la Hongrie, qui sera à domicile. L’équipe allemande regorge de talents et sera notamment menée par huit joueurs du Bayern Munich (Manuel Neuer, Niklas Süle, Joshua Kimmich, Leon Goretzka, Jamal Musiala, Serge Gnabry, Leroy Sané et Thomas Müller, NDLR). Ce qui a clairement manqué à la Mannschaft ces derniers temps, hormis l’identité de jeu, c’est vraiment l’enthousiasme autour de l’équipe et la connexion entre l’entraîneur et les joueurs. La Coupe du monde 2018 (élimination en phase de poules, NDLR) a été un vrai traumatisme pour nous, quelque chose d’indigne et d’inacceptable pour le football allemand. Je pense que nous avons la qualité nécessaire pour viser au moins les demi-finales. Le fait de jouer les trois matchs de poules à Munich, à domicile, doit permettre de lancer la machine et de montrer les muscles.

C’est le dernier tournoi international de Joachim Löw, en poste depuis 2006. Qu’est-ce que cela change par rapport à l’approche et que retenez-vous de son mandat ?C’est vrai que c’est sa dernière compétition. Et c’est aussi pour cette raison que je pense que la motivation est extrêmement forte dans les rangs de notre équipe. Il y a ce désir de revanche par rapport à 2018, l’envie de montrer une autre image du football allemand. Ensuite, pour la première fois depuis trois ans, plus personne ne questionne Löw autour de l’équipe nationale, justement parce que c’est sa dernière. Cela permet aux joueurs et au staff d’être totalement focus sur l’Euro, plutôt que de penser à ce qu’il se dit dans la presse par rapport à la tactique. Joachim, j’en pense beaucoup de bien. Lorsqu’il a pris la suite de Jürgen Klinsmann, dont il était l’adjoint, l’équipe a été très performante et régulière en phase finale, arrivant souvent en finale ou en demi-finales. Elle m’a même agréablement surpris en 2010, en produisant le meilleur jeu du tournoi. Il y a ce titre mondial en 2014, qui couronne son mandat. Mais il y a aussi 2018 et plus récemment, ce 6-0 encaissé face à l’Espagne en Ligue des nations. Löw était comme sans réaction au bord du terrain, les bras ballants, sans hausser le ton. Il y a eu une rupture définitive et c’est pour ça qu’il doit désormais passer la main à Hansi Flick. Après un dernier coup d’éclat, je l’espère.

L’importance de Thomas Müller ne réside pas dans les statistiques. C’est un leader par l’exemple. Il sera primordial à l’Euro auprès de Löw et des jeunes.

En l’absence de réel buteur référence ou d’un numéro 9 fiable, le retour de Thomas Müller est-il la solution idoine pour l’Allemagne ?Thomas est un joueur spécial. Pour moi, un des quatre ou cinq meilleurs joueurs du monde. Alors oui, ce n’est ni Messi, ni Ronaldo, ni même Lewandowski. Il ne marque pas 35 ou 40 buts par saison, mais c’est un double vainqueur de Ligue des champions et un champion du monde. Son importance ne réside pas dans les statistiques. C’est un leader par l’exemple, influent sur et en dehors des terrains comme pouvait l’être Raúl au Real Madrid. Il ne dit pas ce que les gens attendent qu’il dise, mais ce qu’il ressent. Ses interviews sont décalées, drôles, il ne se braque jamais. Il incarne la Bavière, puisqu’il est né près de Munich. Il incarne aussi le Bayern puisqu’il joue pour le club depuis qu’il est en U15. On l’aime et il sera primordial à l’Euro auprès de Löw et des jeunes. Un vrai relais et un grand frère.

Kai Havertz et Timo Werner ont récemment remporté la Ligue des champions avec Chelsea. Si Havertz commence à faire taire les critiques du début de saison, comment expliquer leur adaptation compliquée ?Déjà, il est évident que les deux ont subi les contrecoups du prix de leur transfert (80 millions d’euros pour Havertz, 53 pour Werner, NDLR), qui ont tout de suite engendré d’énormes attentes. Ensuite, passer de la Bundesliga à la Premier League n’est jamais évident. Pour Havertz, passer d’une petite ville comme Leverkusen et d’un club à la pression relative comme peut l’être le Bayer à la ville-monde londonienne, son gigantisme et Chelsea… ça reste un grand saut dans l’inconnu. Il n’a que 21 ans et c’est un des joueurs les plus talentueux que l’Allemagne ait vu passer depuis 20-30 ans. À lui d’apprendre à être moins entouré. À Leverkusen, il était chouchouté, choyé par l’entraîneur, le staff et les dirigeants. Tout le monde n’avait d’yeux que pour lui. Le directeur sportif Rudi Völler était comme son deuxième père. Je comparerais leur relation avec celle que j’ai eue avec Giovanni Trapattoni à l’Inter. Quant à Werner, il a longtemps mené l’attaque de Leipzig, et l’équipe aurait clairement eu besoin de ses pions dans la course au titre face au Bayern cette saison. L’arrivée de Tuchel les a mis en confiance, même si Werner a encore du mal devant le but. Il en tire progressivement le meilleur.

Quid de leur apport offensif à l’Euro ? Seront-ils sublimés par le maillot de la sélection comme un certain Miroslav Klose en son temps ?Comme Joachim Löw joue en 4-3-3, Havertz et Werner ne joueront pas au même poste qu’à Chelsea. Havertz évolue généralement sur l’aile avec la Mannschaft, tout comme Werner. Entre être en soutien de l’attaquant et jouer en pointe, ce qu’ils font en club, ce n’est pas simple. Même s’ils sont assez polyvalents, les automatismes sont parfois compliqués à mettre en place, surtout vu le timing serré. En ce qui concerne Werner, il a été remplaçant lors du dernier rassemblement et est entré deux fois en cours de jeu à la place d’Havertz. Ce sont les choix de Jögi, mais ce n’est pas comme ça que sa confiance va revenir. Tuchel compte sur lui et connaît ses points forts dans le dos des défenses. C’est difficile pour Werner de retrouver le chemin des filets dans ces conditions et du fait de ce contraste.

La France est la grande favorite de l’Euro et a pour moi le même potentiel que l’équipe de 1998.

Quel regard portez-vous sur l’équipe de France ?La France est la grande favorite de l’Euro et a pour moi le même potentiel que l’équipe de 1998. Vous êtes champions du monde en titre, et vos joueurs évoluent dans les meilleurs championnats. Les Français de Bundesliga, à commencer par Coman et Tolisso au Bayern, sont très performants. Je suis d’ailleurs vraiment triste que Tolisso ait été autant blessé depuis l’an dernier. Coman a lui été le héros de la Ligue des champions remportée par le Bayern la saison passée, en marquant ce but en finale face au PSG. Le travail exceptionnel de vos centres de formation vous assure une équipe avec d’excellents jeunes expérimentés, très complète et capable de faire le doublé. Le banc est de très grande qualité également. Didier Deschamps a un large panel et beaucoup d’options pour répondre aux scénarios des rencontres.

Karim Benzema est un bosseur et il est bien meilleur qu’il y a deux ou trois ans. Son évolution est similaire à celle de Lewandowski.

Voyez-vous le retour de Karim Benzema d’un bon œil ?Sa saison est superbe, il a en grande partie porté l’attaque du Real Madrid et en est le meilleur buteur. C’est un bosseur et il est bien meilleur qu’il y a deux ou trois ans. Son évolution est similaire à celle de Lewandowski. Avant, il n’était « qu’un » buteur qui chassait les pions et pensait plus à lui qu’à l’équipe. Maintenant, il n’est plus uniquement dans la surface, il est partout. C’est un nouveau style de numéro 9. Le meilleur exemple de mon époque est sans doute Marco van Basten. Il faisait les efforts défensifs, et l’équipe le lui rendait bien en l’abreuvant de bons ballons. C’est vraiment un très bon choix de Deschamps de le rappeler, il aurait dû être l’option numéro un en attaque depuis un moment déjà. Giroud ne joue pas beaucoup à Chelsea…

Que pensez-vous de la Superligue et des punitions qui pourraient être infligées aux mutins ?Je n’en pense rien ! Tout simplement parce que c’est annulé. Je suis peut-être un peu vieux jeu, mais j’aime tout ce qui est ancien : ce mix championnat-Ligue des champions chaque année, l’ancienne formule de la Ligue des champions aussi. L’important est de penser au football de façon globale, les grands clubs européens n’ont pas le droit d’être en situation de monopole. Je remercie tous les supporters et toutes les personnes qui s’y sont fermement opposées. Bien sûr que l’on doit savoir évoluer, mais de là à tout vouloir bousculer de manière radicale pour faire plus d’argent ? On ne peut pas et on ne doit pas changer les racines du football, qui ont fait de lui un sport populaire. Quant aux sanctions, la Serie A a besoin de la Juventus, la Liga a besoin du Real et ainsi de suite… l’intérêt du public en dépend. Prenez une petite équipe comme Lecce. Leur ambition est de revenir en Serie A, de se maintenir et de battre les gros au passage, la Juventus en tête.

En rejoignant le Bayern contre 25 millions d’euros, Julian Nagelsmann est devenu l’entraîneur le plus cher de l’histoire. Est-ce risqué d’investir autant sur un jeune coach, par temps de pandémie ?Le marché des entraîneurs a été très animé en Allemagne ces dernières semaines, et le montant déboursé pour avoir Nagelsmann est un record dans le milieu, oui. Mais c’était sans doute le meilleur coach disponible pour remplacer Flick. L’idée était clairement de poursuivre avec un Allemand. Tuchel étant à peine arrivé à Chelsea et Klopp bien installé à Liverpool, Nagelsmann était la priorité des dirigeants. C’est un contrat longue durée (cinq ans, NDLR), donc il aura le temps de mettre en place ses idées de jeu et j’imagine de changer de système, une première au Bayern depuis de longues saisons. Le 4-2-3-1 ne devrait plus être aussi inamovible sous Nagelsmann. De nouveaux joueurs doivent arriver, et c’est un entraîneur qui aime varier les plaisirs avec trois, quatre, ou cinq défenseurs, un ou deux attaquants… À lui d’être proche de ses hommes, comme l’a été Hansi. Il aura carte blanche, mais il devra gagner des titres. Ce qu’il n’a pas encore su faire à Hoffenheim ou Leipzig.

Vous êtes également une ancienne figure majeure de l’Inter. Existe-t-il une chance de vous y revoir un jour ?Non, non ! Si je viens à Milan, c’est pour les vacances, rendre visite à des amis ou assister à un match. Pas du tout pour le boulot. Mon train de vie actuel me plaît, je tiens à mon poste de consultant et à ma vie privée. Il y a beaucoup trop de pression dans le monde du foot aujourd’hui, ce n’est plus comme avant… Je préfère que tout reste ainsi, pouvoir consacrer du temps à ma famille et me rendre en Italie comme un touriste ! (Rires.) L’Inter est dans mon cœur, Trapattoni aussi, mais ma vie est ici, en Allemagne. J’espère qu’Inzaghi réussira autant que Conte, mais ce sera dur, tant l’alchimie entre lui et son groupe était forte.

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Propos recueillis par Alexandre Lazar

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