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Les limites de Spalletti
Bien parti cette saison, en lice sur trois tableaux, Luciano Spalletti, le coach de la Roma, a fait hara-kiri en l'espace d'un mois. Et vu qu'il n'a cessé de répéter qu'il partirait si la Roma ne gagne rien, ses jours dans la capitale italienne sont peut-être comptés.
C’est un paradoxe incroyable. La Roma vient de remporter ses cinq derniers matchs toutes compétitions confondues et d’inscrire son 100e but de la saison. Pourtant, du côté de Trigoria, l’heure est au questionnement, déjà au bilan, à la remise en question. Car, de ces cinq victoires, deux sont en fait des défaites. La victoire 2-1 contre Lyon, synonyme d’élimination en Ligue Europa, et le succès 3-2 obtenu ce mardi soir contre la Lazio en demi-finale retour de Coupe d’Italie, qui ne permet pas aux Giallorossi d’inverser la tendance du match aller. La Roma n’a plus que le championnat à disputer, alors que, il y a un mois tout pile, elle était encore en lice dans trois compétitions. La faute à qui ? À quoi ? Du côté des supporters romanisti, les regards accusateurs sont tournés vers Luciano Spalletti. Quasiment impeccable depuis son retour à Rome l’an dernier (112 points sur 147 possibles en championnat), Lucky Luciano a tout gâché en un mois. Entre erreurs tactiques, stratégie de communication complètement loupée, et choix contestés.
Chef-d’œuvre puis retour de boomerang
La première erreur de Spalletti a eu lieu fin décembre. Dans une interview accordée à France Football, alors que tout va pour le mieux, il affirme que s’il ne gagne rien cette année, il s’en ira. Timing raté. Avec ces mots, Spalletti vient de se mettre la pression tout seul. Ces propos vont, du coup, entraîner un véritable changement dans la relation entre le coach et les journalistes transalpins. Ces derniers le questionnent sur son avenir. Spalletti se met sur la défensive, devient nerveux. Il est pourtant conscient que c’est lui qui a tendu le bâton pour se faire battre. Pourquoi avoir choisi de prononcer ces mots avant la période la plus cruciale de la saison ?
Aux mois de janvier et février, les choses s’accélèrent. La Roma dispute douze matchs en six semaines et, hormis un couac face à la Sampdoria, pratique un magnifique football et rouste ses adversaires (Villarreal s’en souvient encore). Ses hommes forts (Džeko, Nainggolan) sont au top, et la patte Spalletti se fait sentir. Car oui, le bonhomme connaît le football. Il sait faire jouer ses équipes. Le 26 février, il y a ce chef-d’œuvre sur la pelouse de l’Inter (1-3). La presse encense alors la Roma et son entraîneur. Le retour de boomerang n’en sera que plus violent.
La rimonta pas au patrimoine
Dans la foulée, la Roma perd le match au sommet de Serie A face au Napoli. À domicile, qui plus est, alors qu’elle avait remporté l’aller au San Paolo, en patronne. Cette défaite est déjà significative. Certains joueurs ont l’air cramé. Et c’est on ne peut plus normal au vu du turn-over quasi inexistant pratiqué par Spalletti. Nainggolan commence à tirer la langue, Strootman fait ce qu’il peut, mais sa longue absence le fait également plafonner physiquement, De Rossi est mis au repos. Bref, il faut du frais, et ça, Spalletti ne l’admet pas. Au contraire, il persiste et signe. Alors que sa Roma s’effondre face à Lyon en C3 (4-2) et face à la Lazio en Coupe d’Italie (2-0), lui joue la carte de l’auto-persuasion. Pour Lyon : « Nous allons gagner et nous qualifier. » Pour la Lazio : « Il y a un match retour, nous allons remonter. » Le tout toujours agrémenté du « si je ne gagne pas un trophée, je m’en vais » qui continue d’irriter les tifosi.
Or, si la technique de l’auto-persuasion fonctionne à Barcelone, elle n’est certainement pas en vogue à Rome, où les « rimonte » ne font pas partie du patrimoine. Et ça, toute la planète giallorossa le sait, mais visiblement pas Spalletti. Roma-Villarreal 2004, Roma-Middlesbrough 2006, Roma-Arsenal 2009, Roma-Panathinaikos 2010, Roma-Slovan Bratislava 2011, Roma-Shakhtar 2011… Autant d’exemples qui auraient dû servir de base à Spalletti pour enfin changer le cours de l’histoire. Et finalement, même issue. Pas de rimonta, ni contre Lyon, ni contre la Lazio. Preuve qu’il a beau avoir été l’entraîneur de la Roma pendant près de six saisons, il n’a pas en rien assimilé la Romanità. Depuis le match aller face à Lyon, les supporters ont même l’impression d’avancer sans coach. Que Spalletti a abandonné le navire. Un abandon parfaitement synthétisé par un tifoso de la Roma qui a craché son dépit sur sa page YouTube après le derby retour, ce mardi : « Tout le monde a le droit perdre, mais lorsque l’on perd, on perd ensemble. Et hier, Spalletti, tu n’as pas perdu avec nous. »
Un gars qui a les crocs
Restent également les choix tactiques. Avec le cas Džeko. Alors, d’accord, le Bosnien vient de battre le record de buts (33) pour un attaquant de la Roma sur une saison. À tel point qu’il est encensé et célébré. Sauf que, d’une, il ne s’est pratiquement jamais montré décisif dans les matchs à enjeu, exception faite pour le match aller à Naples (1-3). De deux, il a disputé 44 matchs sur les 46 de la Roma cette saison. À titre comparatif, Totti n’a disputé qu’une seule fois plus de 44 matchs sur une saison depuis le début de sa carrière, quand Batistuta ou Pruzzo tournaient plutôt à des moyennes de 35 matchs par saison. Alors, pourquoi ne pas le laisser souffler au profit de Totti, qui bout sur le banc de touche ? Pourquoi ne pas donner sa chance à Grenier plutôt que d’insister avec Strootman ou Nainggolan au bout du rouleau ? Pourquoi ne pas titulariser Perotti, toujours bon quand il entre en jeu ?
Ce mardi, contre la Lazio, l’équipe s’est entêtée à mettre des centres dans la boîte, alors que les trois centraux laziali dégageaient tout de la tête. Comme au match aller, d’ailleurs. Mais Spalletti est têtu et préfère mourir avec ses idées (faire sortir El Shaarawy, par exemple) plutôt que d’admettre qu’il s’est trompé et changer son fusil d’épaule. Même discours pour l’approche mentale. Spalletti n’a pas réussi à inculquer à ses joueurs la grinta nécessaire en ce fatal mois de mars. Or, c’est clairement de cela dont la Roma a besoin aujourd’hui. Un gars qui a les crocs. Un dalleux. Un Simeone, un Conte, un Klopp. Car mine de rien, la Roma n’a plus rien gagné depuis 2008. Neuf ans de disette, c’est inadmissible pour un club de ce standing. Il faut changer les mentalités, changer l’approche. Et si Spalletti est parfait pour apporter le beau jeu et le spectacle, il n’est pas l’homme de la situation pour ce challenge-là.
Par Éric Maggiori