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Les leçons tactiques des Verts de 1976

Par Maxime Brigand
Les leçons tactiques des Verts de 1976

Choisi par Roger Rocher pour prendre la suite d'Albert Batteux en 1972, Robert Herbin a réussi l'exploit d'emmener l'AS Saint-Étienne en finale de la Coupe des clubs champions quatre ans plus tard. Chronique d'une saison extraordinaire dans l'histoire des Verts, qui aura été l'apothéose de l'idéal tactique d'un technicien unique.

C’est une étape épouvantable pour le commun des sportifs, et ce soir-là, Robert Herbin ne sait pas comment contrôler sa rage. Une Boyards, des images au ralenti et du classique à s’en éclater le tympan : un festin de Sphinx. « Cette nuit, je n’étais pas le Sphinx, mais le Cerbère faisant corps avec une sorte de paravent qui tenait lieu de porte aux vestiaires de Split, en Yougoslavie », écrira-t-il quelques années plus tard. Dans ce vestiaire, ce que voit Herbin est le sommet de l’homme meurtri : des crânes fumant, une salle triste, des visages perdus. Et en plus, dehors, il pleut.

En dressant l’écran noir de ses nuits blanches, Claude Nougaro ne pouvait pas savoir que durant des heures interminables, j’allais y projeter au ralenti les images de Split, rompant le scénario pour y inclure ou échafauder mille plans, engloutir la réalité, ou balayer l’erreur. Mais le score ne change pas. Il est là au bas de l’écran comme un carré blanc qui alerte et interdit.

Que faire ? Jean-Michel Larqué met la défaite du soir – une violente gifle assénée par l’Hajduk Split (4-1) – sur les épaules de l’arbitre de la rencontre, Dogan Babacan, « un drôle de client ». Ce type a bien sûr une dose de responsabilité sur l’ampleur du résultat, mais sa prestation ne dit pas tout : à Split, les Verts ont pêché par naïveté et n’ont jamais su élever leur esprit au niveau d’un huitième de finale de Coupe des clubs champions. Pire, ils n’ont jamais réussi à s’adapter aux conditions terribles du jour et auront tenté vainement de danser sur un terrain boueux. Résultat : ils ont été piégés comme des oiseaux dans une mer polluée, notamment par ce monstre d’Ivica Šurjak. Cette nuit, les Verts ont vu les limites de leur approche de leurs propres yeux, et Robert Herbin va finalement refuser de se planquer derrière l’arbitrage. Trop simple. Trop réducteur. Avant de dormir, voilà ce qu’il se dit : « Robby, mon petit, accepte le score, retiens la leçon, mais prépare l’avenir. Demain, il fera jour. »

Garanties morales et écran noir

Au matin du 24 octobre 1974, Herbin a les yeux explosés et a passé la nuit avec une vieille amie : l’insomnie. « En dressant l’écran noir de ses nuits blanches, Claude Nougaro ne pouvait pas savoir que durant des heures interminables, j’allais y projeter au ralenti les images de Split, rompant le scénario pour y inclure ou échafauder mille plans, engloutir la réalité, ou balayer l’erreur. Mais le score ne change pas. Il est là au bas de l’écran comme un carré blanc qui alerte et interdit. » Et il ne changera pas : on ne digère jamais une défaite, on apprend seulement d’elle. Perdre fait partie du jeu. Ce qui compte, c’est le souvenir et de ne pas oublier la façon de tomber. L’expérience, c’est finalement apprendre à perdre et Robert Herbin le sait très bien, lui qui a vu la vague Celtic lui passer dessus à l’automne 1968 avant de retourner le Bayern avec ses potes verts un an plus tard. Partant, il se relève et file voir ses joueurs. Droit dans les yeux, celui qui a été nommé entraîneur de l’AS Saint-Étienne en 1972 en demandant au président Rocher « de solides garanties morales » leur détaille les échecs de la veille : la faille de certaines individualités, la perte de l’unité collective qui en découle, la couverture défensive aléatoire, les espaces laissés à Šurjak… Herbin a aussi peur pour Oswaldo Piazza, touché au genou lors de la rencontre, mais va être rassuré de la solidité physique de son colosse quelques jours plus tard lors d’un derby contre Lyon : Piazza sera présent lors d’un match retour non télévisé.

La suite, c’est le début de la fièvre, Janvion transformé en menottes posées sur les chevilles de Šurjak, des joueurs déguisés en piranhas et un match tourné en tempête. C’est le logiciel adapté par Herbin qui se met en route : son équipe est un accordéon, qui se rétracte en phase défensive et se déploie en phase offensive dans un 4-3-3 facile à identifier. Ainsi, à la récupération, les Verts se projettent très vite, remontent le ballon vers l’avant en trois-quatre passes maximum, et avancent par vagues. Pour lubrifier l’ensemble, Robert Herbin sait surtout qu’il peut compter sur la polyvalence de ses joueurs : ces mecs savent quasiment tous éliminer un adversaire et défendre comme des roquets. Surtout, ils sont jeunes et potes, ce qui facilite l’idée d’hommes prêts à se déchirer les uns pour les autres. L’arme centrale du système peut donc être mise en place : le pressing tout terrain (déclenché à trente mètres du but adverse en général, la passe en retrait vers le gardien étant encore autorisée et empêchant souvent un pressing plus haut).

Le 6 novembre 1974, l’ASSE réussit donc l’impensable et retourne l’Hajduk Split en 120 minutes (5-1). À la mi-temps, Larqué exulte : « Ils sont paumés ! » En fin de match, c’est aussi sur cette idée d’un rythme intense qui a embrouillé l’adversaire qu’Herbin insiste : « Les gars étaient révoltés après l’arbitrage du match aller. Dorénavant, nous devons tous les respecter. Je me permettrais de dire que la qualification contre l’Hajduk vient encore de plus loin et que ce match fut encore plus sublime, plus passionné que celui contre le Bayern en 1969. Le rythme a été plus intense, plus soutenu, de la première à la dernière minute, et cela a duré plus longtemps. » Le technicien vient de voir Piazza, Lopez, Bathenay, Revelli, Synaeghel, Larqué, tous ces diables, enfiler un couteau entre leurs dents.

« Robert Herbin se bat contre des moulins à vent »

Il vient surtout d’entendre Stefan Kovas, le successeur de Rinus Michels à l’Ajax, double vainqueur de la C1 et sélectionneur des Bleus, l’adouber :

L’Ajax pratique un football d’une dimension encore jamais vue. C’est celui que j’ai toujours rêvé de jouer. Il résume toutes mes aspirations, toutes mes conceptions. Le football total, en quelque sorte, avec participation de tous à l’œuvre entreprise. L’homme, le joueur qui déploie toutes ses qualités physiques et morales au seul service de la collectivité.

« C’est la première fois que je vois une équipe française jouer pendant tout un match un football total… » L’Ajax de Michels est aux yeux d’Herbin l’exemple à suivre, l’approche à implanter en France pour sortir du marasme et des échecs répétés. Un jour, il en parla à Pierre Garonnaire, son confident recruteur : « Cette équipe pratique un football d’une dimension encore jamais vue. C’est celui que j’ai toujours rêvé de jouer. Il résume toutes mes aspirations, toutes mes conceptions. Le football total, en quelque sorte, avec participation de tous à l’œuvre entreprise. L’homme, le joueur qui déploie toutes ses qualités physiques et morales au seul service de la collectivité. L’équipe qui n’a en tête qu’un seul objectif : le résultat, et qui élimine de sa manière de jouer tous les ingrédients superflus. » Reste qu’une révolution prend du temps et nécessite de briser des a priori. Lorsqu’il évoque l’Ajax comme modèle, on rit au nez de Robert Herbin. Un football total, ici, en France ? Impossible. « Il faut avoir du courage, mais aussi beaucoup de naïveté pour modifier les tempéraments. Robert Herbin, comme Don Quichotte, se bat contre des moulins à vent, l’accueille-t-on au départ dans la presse. Il pourrait réussir en Allemagne ou en Angleterre, où le contexte se prête à un football rigoureux, physique, réaliste, mais en France où les mentalités sont depuis toujours imprégnées de la beauté du geste technique, où l’improvisation, l’inspiration constituent des vertus typiques sur lesquelles le grand Reims s’est appuyé pour accéder au premier plan européen, l’entraîneur de Saint-Étienne n’a que très peu de chances d’atteindre son objectif. Pendant un moment, il pourra faire illusion, chasser le naturel, mais ce dernier reviendra au galop. Bonne chance quand même… »

Reste qu’Herbin, replacé quand il était en short par Batteux pour pouvoir repartir de derrière, sait où il va et comment il y va. Première condition de sa réussite : travailler avec des joueurs dont le disque dur est vide et non pollué par d’autres influences. Il lui faut des hommes malléables, frais, jeunes, affamés, ce qu’il ne retrouvera pas ensuite à Lyon, à Strasbourg ou au Red Star, d’où les échecs. Dans ce cadre, Robert Herbin va pousser dans le bain les vainqueurs de la Gambardella 1970, ceux qu’on appellera ensuite les « Marie-Louise » : Patrick Revelli, Christian Sarramagna, Christian Synaeghel, Jacques Santini, Alain Merchadier, Christian Lopez…

Dès les premiers entraînements, les joueurs ont pleinement adhéré. Les jeunes parce qu’ils rêvaient de s’imposer, les anciens parce qu’ils avaient le plus vif désir de connaître une autre dimension. Après l’épopée européenne, je n’ai connu qu’en de très rares occasions une telle unanimité à se faire violence. Il fallait que l’enjeu soit important pour que le travail de la semaine soit accepté généreusement.

Garonnaire fait ensuite le reste et intègre à la recette Gérard Janvion, repéré en Martinique, où on assurait que le bonhomme était « plus fort que Trésor », et Rocheteau. Enfin, on incorpore les cadres (Larqué, Farison) et les piliers (Ćurković, Piazza). Pour le style et le management, Herbin va beaucoup prendre de Jean Snella, celui qui lui a montré la voie, « la seule raisonnable, la seule rentable », un peu de Batteux, et beaucoup de l’armée. Il faut l’imaginer se transformer en instructor et pilonner ses joueurs. Le football total exige des machines parfaitement huilées. Chance : « Dès les premiers entraînements, les joueurs ont pleinement adhéré. Les jeunes parce qu’ils rêvaient de s’imposer, les anciens parce qu’ils avaient le plus vif désir de connaître une autre dimension. Après l’épopée européenne, je n’ai connu qu’en de très rares occasions une telle unanimité à se faire violence. Il fallait que l’enjeu soit important pour que le travail de la semaine soit accepté généreusement. » Celui-ci se déplie en trois axes essentiels :

« Obtenir le dépassement du joueur sur le plan physique pour qu’il se sente en pleine confiance au moment du match et, dans cette optique, lui imposer des efforts intenses et rapprochés. – Persuader chaque individualité que le football est un sport d’équipe, et qu’il doit se jouer avec simplicité, mais intelligence.– Faire comprendre et admettre que la solidarité est l’atout primordial pour atteindre le plus haut niveau. À cet égard, j’eus rapidement la certitude que cette jeune formation pouvait réaliser de grandes choses. »

La naissance de l’Ange

Après les séances, les piquets (un exercice de séries de sprints sur différents intervalles), les minutes passées avec une corde à sauter, les matchs sur terrain réduit où il était seulement autorisé de jouer avec la tête (oui, il y a eu quelques visites chez le dentiste), le terrain : le cœur de la guerre. Et quelle guerre ? La conquête, plutôt, car Saint-Étienne n’a plus grand-chose à prouver dans son pays et va remporter trois fois le titre de champion de France sur les quatre premières saisons d’Herbin ainsi que deux Coupes de France. L’exploit de Split offre de nouvelles perspectives et file aux Verts de l’expérience. Après la rencontre, Herbin se met d’ailleurs à rêver dans son salon et lance La Chevauchée des Walkyries. « Sur cette musique, à la fois puissante, vibrante et surprenante, riche de temps forts, de mouvements amples et bien construits, puis d’un final éblouissant, j’ai calqué la chevauchée de mes joueurs contre Split. Les forts accents rejoignaient dans leur magnificence le match de l’exploit. Sans fausses notes, dans un accord parfait. J’ai songé que si, un jour, on devait faire un film de ce match, il faudrait y adapter les cuivres de Wagner… » Mieux qu’un film, Robert Herbin va en faire un point de départ, malgré l’élimination en demi-finales face au Bayern. La saison suivante, c’est un AS Saint-Étienne plus solide encore qui se présente au top départ de la Coupe des clubs champions et surtout plus flexible grâce à l’apparition d’un homme : Dominique Rocheteau. Un ange, paraît-il.

Rocheteau est surtout un jeune qui se rêve en « guitariste de Hot Tuna, avec Jorma Kaukonen et Casady » et à propos de qui Herbin s’interroge : « Pourquoi regarde-t-il toujours la pointe de ses souliers à l’entraînement ? Il a vingt ans à peine, et depuis un an, il semble traîner derrière lui toute la tristesse du monde. » Il faut dire que Dominique Rocheteau sort d’un an d’absence, due à un ménisque arraché lors d’un match contre Lyon. Lors de l’été 1975, Robert Herbin souhaite alors le relancer à l’occasion d’un match amical contre Leeds, récent finaliste de la C1, battu par le Bayern. C’est là que l’ange naît, claquant un but monstrueux de vingt-cinq mètres après une série de dribbles. C’est lui, surtout, que l’on va retrouver en novembre, à Glasgow, pour le huitième de finale retour de la Coupe des clubs champions face aux Rangers.

À l’aller, les Verts se sont imposés en luttant (2-0), mais flippent à l’idée de filer à Ibrox Park. Ce match est l’affrontement entre l’attaque et l’impact. Les Écossais cherchent à casser le plus vite possible les transitions vertes, roulent avec un double rideau défensif, et il n’est pas simple de bouger ce bloc. Avec l’ASSE, c’est souvent le problème : lorsque ces types ne peuvent jouer leur jeu, en général, ils tombent, incapables d’autre chose. Sauf ce soir-là, où la bande à Herbin va réussir à progressivement retourner le scénario grâce notamment à Bathenay, impeccable entre les lignes et meilleur joueur offensif des Verts avec Rocheteau, et à une science du mouvement parfaite. Les Rangers sont transformés en taureaux, les Verts agitent leur muleta et vont piquer au moment parfait grâce à Rocheteau, brillant dans son accélération et délicieux dans sa finition. Score final : Rangers 1, Saint-Étienne 2. Place au combat, au vrai.

Le monstre de Kiev

Avec Rocheteau, Herbin gagne ce qu’il n’avait pas avec Yves Triantafilos, incapable de bien s’entendre dans les permutations avec Hervé Revelli et souvent décroché du bloc : une harmonie totale et un homme capable de péter une défense par le dribble. Encore faut-il le toucher.

Nous nous sommes littéralement fait marcher dessus. Nous avons joué avec un système ultra-défensif sous la pression adverse. J’étais le seul attaquant dans cette ambiance… Pour moi, ce fut l’enfer.

Là est tout l’enjeu de l’approche verte qui demande des déplacements fréquents et rapides, un attaquant axial – Hervé Revelli – capable de faire sortir les centraux adverses et des ailiers responsables de l’étirement de la ligne défensive opposée (dans l’approche stéphanoise, les latéraux ne débordent pas énormément). Le reste est fait d’accélérations soudaines, de surnombre numérique souvent apporté par les montées rageuses de Piazza… Mais voilà le Dynamo Kiev, celui de Valeri Lobanovski, ce roi du contre-pressing qui a fait imploser le Bayern de Dettmar Cramer à deux reprises en Supercoupe d’Europe lors de la rentrée 1975 grâce à trois buts d’Oleg Blokhine. Au moment de filer disputer ce quart de finale aller à Simferopol, l’ASSE est à la peine en championnat et comprend surtout rapidement qu’elle est tombée dans une trappe : il neige en Crimée, le terrain est glacé, et le souvenir de Chorzów remonte. Durant la rencontre, c’est encore pire : si Janvion tient à peu près Blokhine et que Rocheteau tente de se débattre comme un poisson sorti d’un bocal, le bloc stéphanois est disloqué par les permutations soviétiques, les montées de Troshkin, et le pressing imposé par les soldats de Lobanovski. La démonstration de force est totale. Comment s’en sortir ? En se repliant et en refusant de jouer, ce qui va malgré tout conduire à un premier but – une frappe de Konkov déviée par Bathenay – et à un second inscrit par Blokhine en seconde période. Entre-temps, Larqué a mis son pied dans la tronche de Farison sur un corner et s’est pris le bec avec Ćurković : ce soir-là, le capitaine vert a probablement rendu l’une de ses plus mauvaises copies européennes.

De nouveau, les Verts se retrouvent donc dos au mur, battus (2-0) et maltraités dans le jeu. N’avoir encaissé que deux buts est perçu comme un cadeau. Rocheteau souffle : « Nous nous sommes littéralement fait marcher dessus. Nous avons joué avec un système ultra-défensif sous la pression adverse. J’étais le seul attaquant dans cette ambiance… Pour moi, ce fut l’enfer. » Là encore, pourtant, le paradis attend l’ASSE. Pour le retour, Herbin enferme de nouveau ses joueurs autour d’une consigne stricte : étouffer le Dynamo au risque d’être étouffé soi-même. À Patrick Revelli, le coach vert préfère Christian Sarramagna, un joueur aussi imprévisible qu’il est possible de l’être. Patrick tire la tronche, Herbin s’en cogne, le Sphinx va naître pour de bon ce soir de mars 1976, et la rencontre va prendre la forme d’une profession de foi. D’entrée, Piazza déchire le pressing soviétique et montre que les Verts ne se laisseront pas faire : on aperçoit les vagues.

En face, le Dynamo tient ses deux lignes de quatre resserrées alors que l’ASSE déboule toujours avec son 4-3-3, où Farison doit boucher les trous laissés par Janvion, toujours en individuel sur Blokhine. Le pressing vert, bien qu’assez désordonné, fonctionne et empêche les Soviétiques d’enchaîner les phases de possession épuisantes. Puis, ça cogne, dans tous les sens : Bathenay et Larqué ne cessent d’allumer l’intouchable Rudakov, Onitchenko tente de combler les montées de Piazza, mais ne peut empêcher les quelques percées vertes… Il y a pourtant 0-0 à la pause.

La suite est une drôle de coïncidence. Avec les Verts, l’histoire bascule souvent à l’heure de jeu : Bathenay a inscrit le but de l’espoir contre l’Hajduk Split à la 61e minute, Larqué avait réduit le score à Chorzów à la 64e minute, Rocheteau a marqué à Glasgow à la 63e minute et cette fois, c’est Hervé Revelli qui va surgir à la 64e minute. Le Dynamo est pourtant bien revenu des vestiaires, et l’ASSE n’arrive plus à progresser depuis quelques minutes. Le pire semble arriver : après un corner vert, Blokhine file côté droit, Janvion tente de le plaquer, mais n’y parvient pas, Lopez se fait effacer par un crochet made in Blokhine et un face-à-face avec Ćurković attend le petit prince. Mais il hésite. Il hésite à tout faire : à frapper, à crocheter, à décaler Onitchenko… Ćurković ne sort pas, Lopez revient et contre un crochet de l’artiste. Derrière, c’est les planètes qui s’alignent : le dégagement de Lopez tombe sur Piazza, qui trouve ensuite Patrick Revelli, lequel n’a plus qu’à prolonger vers son frère côté gauche. Exploit technique, 1-0. Entré à la mi-temps, Patrick ne fait plus la gueule et voit Larqué planter le 2-0 sur coup franc. Problème, le capitaine doit aussi quitter ses potes à dix minutes de la fin. Santini entre, tout le monde a des crampes, Rocheteau en tête, le scénario ne tient sur rien. On sent le Dynamo capable de foutre en l’air la fête, c’est finalement Jacques Santini qui va briller sur la piste, attirer deux défenseurs sur un pas à la 112e minute avant de trouver Patrick Revelli dans l’intervalle. Derrière, Rocheteau profite d’un super déplacement d’Hervé Revelli et qualifie les Verts. Le fameux détail.

Un mythe français

Si Robert Herbin se présente à Glasgow le 12 mai 1976, c’est donc parce qu’il a eu raison. En demi-finales, l’ASSE a sorti le PSV, non sans galérer et notamment grâce à une sortie de boxeur de Ćurković sur Edström, un géant qui aura énormément fait souffrir Piazza avant de sortir. Au retour, le gardien des Verts a été impérial et a sorti l’un des arrêts du siècle devant Dalqvist. L’important est là : le foot français tient sa finale, et Herbin a fermé des bouches. Il a surtout, à seulement trente-sept piges, réussi à emmener son club vers des dimensions inconnues, et ce, parce qu’il a fait comprendre à ses hommes qu’on ne jouait pas l’Europe, on vivait l’Europe. La C1 n’est pas un voyage, c’est une conquête, un lieu où doivent se mêler rigueur et audace, la France ayant souvent oublié ce deuxième élément. Et pour la dernière bataille, revoilà le Bayern. D’Eindhoven, Herbin est revenu avec la conviction ultime d’avoir assisté au « meilleur match européen sur tous les plans » de son équipe, principalement grâce à une immense solidarité. À Glasgow, l’entraîneur des Verts va se présenter avec de multiples doutes.

Tout simplement car quelques jours avant la finale contre le Bayern, l’ASSE doit jouer un match en retard contre le Nîmes de Kader Firoud, soit tout sauf des doux agneaux. Verdict post-baston ? Gérard Farison a vu ses ligaments croisés céder lors d’un choc, et Christian Synageghel, qui possédait « deux cœurs et trois poumons » selon Garonnaire, s’est fait écraser le pied par Luizinho. Autre chose ? oui, Dominique Rocheteau est revenu des Pays-Bas avec une élongation et tire également la langue. Alors, Herbin tourne dans tous les sens : « Des automatismes se sont créés. Difficile de les balayer d’un revers de main… » Pas le choix. Au coup d’envoi, c’est donc Sarragmagna qui prend la place de Rocheteau, Repellini qui prend celle de Farison et Jacques Santini qui remplace Synageghel. Le Bayern est une drôle de bête, résolument plus froide que le Dynamo Kiev et dont la respiration repose essentiellement sur l’axe Beckenbauer-Müller.

Vidéo

Elle est surtout capable de varier ses visages, au contraire des Soviétiques. Il faut voir les latéraux allemands coulisser sans broncher, Beckenbauer et Schwarzenbeck apporter la supériorité numérique au milieu quand le jeu le demande, Müller défendre sur Piazza comme si sa vie en dépendait (ici, on se demande si ce n’est pas le monde à l’envers)… À plusieurs reprises, le Bayern réussit à combiner entre les lignes, un but est rapidement refusé pour hors-jeu à Gerd Müller (pas évident au ralenti), et Roth lâche un coup franc juste à côté du cadre. Évidemment, Sainté existe, tient le ballon, mais peine aussi à imposer son rythme dans la longueur au Bayern (peu de joueurs trouvés dans les interlignes). Il y a bien sûr les poteaux carrés qui repoussent une frappe splendide de Bathenay et une tête de Santini, mais aussi l’arbitre qui ne siffle pas une faute dans la surface de Repellini sur Kapellman.

À la pause, cette finale laisse une drôle d’impression et une certitude : si l’ASSE ose, le Bayern contrôle froidement. Et ce jour-là, surtout, les Verts vont perdre un peu de leur solidarité, notamment dans les replis défensifs, ce qui conduit à plusieurs reprises à des situations de quatre contre trois au milieu. C’est sur l’une de ces séquences que Piazza va faire faute sur Müller et que Franz Roth va ouvrir le score sur coup franc. Là aussi, on peut polémiquer, mais le mur vert est clairement responsable de ce but, car le ballon lui passe au travers. Puis, le Bayern n’a pas lâché, Hoeness a commencé à arracher les ficelles Janvion de ses chevilles et les relances vertes ont souvent demeuré aussi imprécises que les centres de Sarramagna.

En finale, les Stéphanois ont senti le poids de ce Bayern sans génie, mais armé pour la victoire, comme ces vieux boxeurs privés de punch qui savent encore et encore faire une seule chose : gagner…

C’était alors l’heure de Rocheteau qui, en sept minutes, a fait naître tous les regrets du monde au sujet de sa santé. Sur la dernière action, l’Ange dansera avec trois adversaires avant de décaler Patrick Revelli. Frappe trop molle, arrêt facile pour Sepp Maier, le Bayern est champion d’Europe. Comme en revenant de Split en octobre 1974, un mythe français va alors naître : celui des poteaux carrés, de l’arbitrage de monsieur Palotai, mais la vérité est que l’ASSE est tombée ce jour-là parce qu’elle n’a jamais réussi à changer son plan au cours de la rencontre.

On se dit qu’avec Rocheteau, l’histoire aurait été bien différente, mais il est impossible de le savoir. N’oublions pas qu’en 1974, la RFA avait retourné froidement les brillants Néerlandais et que le football allemand a toujours trouvé une réponse au football total. Les mots publiés dans L’Équipe le lendemain de la finale sont clairs : « C’est en construisant un jeu constamment cohérent, bien construit et varié qui contrastait beaucoup avec le football plus souvent inachevé et saccadé de leurs rivaux que les champions de France ont fait si bonne impression. Mais en finale, les Stéphanois ont senti le poids de ce Bayern sans génie, mais armé pour la victoire, comme ces vieux boxeurs privés de punch qui savent encore et encore faire une seule chose : gagner… » La vérité reste qu’Herbin a réussi l’exploit de faire adhérer une bande de potes avec des shorts courts et des nuques longues à ses convictions, qu’il a gagné avec, qu’il est aussi tombé avec alors qu’il lui manquait trois pions essentiels à son rouleau compresseur : et si entraîner, au fond, ce n’était pas ça ? Réussir à sublimer des hommes pour faire apparaître le jour ?

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Par Maxime Brigand

Propos de Robert Herbin tirés de son autobiographie, On m'appelle Le Sphinx.

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