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Les fantômes de 2002…

Par Chérif Ghemmour
6 minutes
Les fantômes de 2002…

Pas besoin d’attendre le résultat du France-Uruguay de ce mardi soir pour faire le bilan d’après-Mondial 2018. L’élimination pas si surprenante des Bleus en Ligue des nations rappelle désormais l’urgence pour Deschamps de faire évoluer un « projet de jeu » trop étriqué joyeusement balayé par la jeunesse néerlandaise.

Attentistes et fiers de l’être !

Un peu d’humour. Le foot français devrait bannir le mot « ligue » de son vocabulaire tant il lui inspire lose et médiocrité en cet automne : Ligue des champions, Ligue Europa, Ligue 1, Coupe de la Ligue… et Ligue des nations ! Plus sérieusement, si on ne devait retenir qu’une seule image, qu’une seule impression des Bleus post-Coupe du monde, ce seraient les premières minutes du match Allemagne-France du 6 septembre dernier (0-0), inaugural du groupe A de cette nouvelle Ligue des nations. Au coup d’envoi, les Allemands engagent et les Français reculent en bloc pour se terrer direct dans leurs trente derniers mètres ! Mécaniquement. Sans réfléchir. Presque stupidement. Comme en Russie. Comme si ce qui avait fait le succès d’une grande compétition internationale devait être ressassé éternellement : tous derrière et bloc bas à attendre la fameuse transition vers l’avant. À guetter une fulgurance signée Griezmann ou Mbappé. Ou à espérer un coup de pied arrêté qu’un coup de boule de Varane ou Umtiti transformerait en but !

Le ton était donné dès ce 6 septembre à l’Allianz Arena. Les Bleus en embuscade abandonneraient le ballon à l’adversaire et renonceraient à tout effort d’imagination. Et cette mentalité minable, indigne de joueurs pourtant talentueux, durerait le temps de rafler tout ce qu’il y a à rafler pendant environ 107 ans. Le climat général autour de l’EdF était au « fermage de bouches » : « On est champions du monde, alors ne la ramenez pas, hein ! » Sans vergogne, le Ballon d’or était revendiqué par des Bleus immodestes, Mbappé et Griezmann en tête, et par DD lui-même. On se gargarisait de stats triomphantes. « Avec Pavard, les Bleus ne perdent jamais. » Avant Rotterdam, les cinq derniers France-Pays-Bas ont tourné à notre avantage, et rien ne semble arrêter notre série de 15 matchs sans défaite. Le calendrier médiatique enrobait le tout dans un joli paquet-cadeau à la gloire des Bleus en Ligue des nations après le Pays-Bas-France qui devait les qualifier à coup sûr : un CFC spécial « Grizou » sur Canal le dimanche et un docu sur M6 à la gloire de « Kyky » juste après le France-Uruguay de ce mardi. Sauf que…

Le coup du Père Ronald

Sauf que le réel a percuté les Bleus. Ils ont pris un 2-0 sec à Rotterdam face à des Pays-Bas supposément inférieurs sur le papier. Mais le papier, les Oranje se sont torchés avec… Avec un raffinement cruel, les Néerlandais ont un peu plus coulé les Bleus trois jours plus tard, en renversant la vapeur à Gelsenkirchen après avoir été menés 2-0 jusqu’à la 85e minute : 2-2 score final. C’est donc officiel : la France ne sera pas dans le Final Four en juin au Portugal. Merci Ronald Koeman ! Merci d’avoir violemment chamboulé un champion du monde qui ne touchait plus terre, ne respectait plus rien, ni personne. Merci d’avoir fait converger les deux trajectoires descendantes d’un foot français actuellement malade de sa sélection et de ses clubs en coupes d’Europe. Le roi est nu, et c’est le bon moment pour s’en rendre compte. Pas de méprise : la France n’a pas volé son titre mondial et, aujourd’hui encore, elle figure en très bonne position au sommet de la hiérarchie planétaire. À l’international, le joueur made in France se vend très bien, DD et ZZ ont tout trusté sur le marché du coaching de très haut niveau et, en effet, un Français pourrait même être Ballon d’or 2018.

À sa décharge, l’élimination de la France en Ligue des nations est due conjoncturellement à l’absence de mondialistes au moment-clé (Pogba, Hernandez, Umtiti, Tolisso) et à la décompression quasi inévitable qui suit un succès dans une grande compétition. Les anciens internationaux nourris de l’expérience de 1998 et 2000 comme Pirès et Lizarazu l’avaient annoncé dès cet été : vers novembre, certains Bleus plongeraient. Ils avaient vu juste comme on l’a constaté devant l’apathie hallucinante de l’EdF à Rotterdam. Et puis, la France n’a pas été la seule « grande nation » continentale à chuter dans ces éliminatoires. Outre l’Allemagne, Croatie, Espagne, Belgique ou Italie ont giclé elles aussi… Mais le vrai problème est ailleurs. Cet échec français dans un groupe normalement à sa portée a mis en évidence le questionnement devenu enfin salutaire sur la valeur réelle de la victoire des Bleus en Russie. Une fois de plus, la France a gagné parce qu’elle a été la meilleure, selon une approche commando d’une redoutable efficacité. Un onze soudé au sacrifice collectif, des frappes chirurgicales (but de Griezmann face à l’Uruguay, volée insensée de Pavard face à l’Argentine) et une gestion optimale des coups de pied arrêtés (pénos de Grizou et tête-but de Varane et Umtiti). Deschamps n’a pas d’équivalent au monde pour bâtir un groupe vainqueur dans une compétition ramassée à cinq semaines.

Projet de groupe ou projet de jeu ?

Alors disons-le tout de suite : sur la base de cette méthode implacable qui a triomphé en Russie, la France peut espérer gagner encore des futurs tournois. Le groupe est jeune, les gars s’entendent vraiment bien en s’autogérant comme ils le sentent et ils continueront pour la plupart à progresser en club. Quelques retouches à certains postes devraient rééquilibrer un onze type de Russie qui n’offre plus les mêmes garanties aujourd’hui. DD n’est pas aveugle ni obtus. Il l’a constamment démontré en clubs. Reste que, comme le formulait avec acuité Vincent Duluc, « les Bleus de Deschamps ont plus un projet de groupe qu’un projet de jeu » . C’est là toute la source de doutes quant à leur devenir. Car leur attentisme désespérant à Munich face à l’Allemagne a clairement indiqué la mauvaise direction prise depuis le Mondial. Un 0-0 sauvé par un super Areola qui affichera le record d’arrêts depuis dix ans en bleu (6) annonciateur d’un début de faillite finalement acté à Rotterdam. En amical contre l’Islande (2-2), Super Lloris battra ce record pour un gardien en EdF (7 arrêts), puis le pulvérisera contre les Pays-Bas (9 arrêts, vendredi). Areola et Lloris auront été les cache-misère de la pauvreté abyssale du jeu français. Soit dit en passant, en sélection, Hugo Lloris est bien le meilleur Bleu et le meilleur gardien de but du monde. Le vrai Ballon d’or français, ce serait lui.

La pauvreté abyssale du jeu français, donc, a été aussi masquée par le double exploit de Mbappé face à l’Islande (2-2, un CSC provoqué et un penalty provoqué et transformé) et de Griezmann face à l’Allemagne (2-1 et un doublé). On a cru comme dans les films d’aventure que le héros sauverait toujours la patrie à la fin. Tout en oubliant qu’il n’y a quasiment aucune relation entre les attaquants Giroud, Mbappé et Grizou ! Alors tout s’est écroulé à Rotterdam : sans envie et sans idée de jeu, la France redevient une puissance moyenne. Des grincheux avaient souhaité voir en Coupe du monde les Bleus affronter d’autres équipes « dures à jouer » comme le Portugal, l’Espagne et surtout le Brésil, histoire de bien se convaincre que les Frenchies étaient bien les meilleurs. Les petits Pays-Bas sans grandes stars auront contenté ces grincheux : imaginatifs, mobiles, techniques, culturellement portés vers l’avant, ils ont balayé cette arrogance française qu’on croyait néerlandaise… Ils ont fait comprendre à cette équipe de France que le reste du monde n’allait pas l’attendre et continuerait de bosser. Allez Didier et les Bleus ! Amusez-vous bien face à l’Uruguay ce soir. Mais après, essayez d’imaginer autre chose dans le jeu. Parce que d’autres Sénégal 2002 viendront vous percuter dans le fossé.

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