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Les déplacements des clubs et l’écologie, en mode diesel
Dix minutes. C’est le temps qu’a duré le vol de Manchester United pour se rendre à Leicester le mois dernier. Mais pourquoi donc ce choix ? Les clubs considèrent-ils vraiment l’aspect écologique quand il s’agit de se déplacer ? Entre la prédominance de l’avion et le recours à des bus qui voyagent souvent à vide, simplement pour transporter l’équipe de l’hôtel au stade, le football est encore loin de passer au vert.
Une COP pour garder le cap. Ses conséquences concrètes se feront certainement attendre, mais la COP26 a au moins eu le mérite de rappeler à tout le monde que l’écologie n’était plus une option. La FIFA a surfé sur la vague en annonçant sa stratégie pour le climat, avec l’objectif de réduire ses émissions de moitié d’ici 2030 et d’atteindre la neutralité carbone d’ici 2040. Et les clubs dans tout ça ? Des initiatives émergent, ici ou là, avec une cohérence discutable. Selon le dernier inventaire réalisé par le Centre interprofessionnel technique d’études de la pollution atmosphérique (Citepa), 29% des émissions de gaz à effet de serre étaient liés aux transports en 2020. D’où la nécessité de prendre le sujet à bras-le-corps, encore plus dans ce secteur. Ce qui n’est pas forcément encore le cas.
Garder les pieds sur terre
Parmi les aberrations récentes, le choix du Paris Saint-Germain de prendre l’avion pour se rendre à Lens à l’occasion du dernier Trophée des champions. Une polémique à laquelle le club de la capitale avait répondu en expliquant que « beaucoup de clubs font ça ». Certes, mais la justification n’est pas vraiment recevable quand il faut à peine plus d’une heure de TGV pour réaliser la liaison. Empreinte carbone du trajet : 0,4 kilo de CO2 par personne. Autrement dit, rien du tout à côté des émissions d’un trajet aérien. Football Écologie France essaie de faire évoluer les mentalités et échange régulièrement avec les clubs. « Beaucoup se posent la question d’investir la question de l’écologie, mais ne savent pas forcément comment faire, ou ont besoin d’un accompagnement pour être cohérents et efficaces, indique le président de l’association, Antoine Miche. On échange quasiment tous les jours avec des clubs de Ligue 1, Ligue 2 et National. On essaie de les inciter à travailler le sujet. » L’association trouve des interlocuteurs en charge de la Responsabilité sociétale des entreprises (RSE) ou travaillant dans la fondation du club.
Le GF38 est fier de sa collaboration avec @FootEcologieFr concernant la fresque écologique. En effet, hier, joueurs pros, joueuses, jeunes et membres des staffs sportifs et administratifs ont participé à un super match écologique à la fois instructif et ludique. à suivre pic.twitter.com/1pbttBZuJI
— Grenoble Foot 38 (@GF38_Officiel) October 20, 2021
« Ils sont curieux d’en savoir plus, ce n’est plus la cinquième roue du carrosse pour eux. L’écologie entre un peu plus dans leur quotidien avec l’évolution de la société. Maintenant, c’est vrai que les clubs professionnels sont compliqués à convaincre parce que c’est un sujet nouveau pour eux. Ils y vont à tâtons. Il faut que les gens comprennent bien le sujet et qu’ils arrivent à se projeter. » Les adhésions à des programmes d’action ont fleuri, du PSG (Sports for Climate) au LOSC (Climate Neutral Now), en passant par Le Havre, l’OL ou Strasbourg. Sans que ces engagements s’inscrivent systématiquement dans une stratégie bien définie. Le Forest Green Rovers, pensionnaire de League Two, demeure encore un cas isolé avec une politique claire en la matière. « Les personnes connaissant bien ce sujet de l’écologie sont peu nombreuses dans l’ensemble des instances dirigeantes du football, poursuit Antoine Miche. Toutes les décisions ne passent pas au tamis de l’écologie, et donc on peut avoir des incohérences. Aujourd’hui, la plupart des clubs professionnels n’ont pas intégré ça dans leur stratégie. Peut-être que certains font trop de choses ponctuelles, ce qui donne l’impression que c’est du greenwashing. Il y a un travail de fond à faire, qui prend du temps. »
Train-train quotidien
Quid de l’option ferroviaire ? Une étude de la LFP avait ainsi révélé que sur l’ensemble de la saison 2019-2020 de Ligue 1 et de Ligue 2, 65% des trajets avaient été effectués en avion, contre 31% en bus et 4% en train. La SNCF offre la possibilité de privatiser des TGV, avec des prestations additionnelles comme un service de restauration, l’installation d’écrans ou même d’une boîte de nuit. « Quatre ou cinq clubs importants nous ont contactés pour transporter l’équipe et le staff dans le cadre d’un match, témoigne Anne Lois, responsable de la Direction des affrètements voyageurs. C’est une démarche RSE de leur part puisqu’ils ont tous déjà des modes de transport. Ils recherchent un mode de transport alternatif, c’est là qu’ils se disent qu’il peut y avoir quelque chose à faire côté TGV. » L’OM, l’OL, le Stade rennais et le LOSC font partie des clubs en question. Les Dogues ont d’ailleurs recouru au train pour se rendre à Londres en 2019 ou à Paris le mois dernier. « Dans un TGV, on a le wifi, on peut manger, on peut dormir, il y a de l’espace, souligne Anne Lois. C’est un vrai confort, les gens sont souvent surpris. On peut faire du sur-mesure, il n’y a pas vraiment de contrainte de volume pour les bagages, on peut arriver en cœur de ville… Sur les lignes du RER B et D, on peut faire circuler un TGV et donc arriver directement au Stade de France par exemple. Si on nous prévient une semaine en avance, on sait faire. »
Parmi les inconvénients : la difficulté de circuler de nuit, en raison de la réfection des voies. « On a eu des demandes pour des départs de Paris à 0h30, mais il y a énormément de travaux. C’est compliqué de circuler de nuit, il faudrait aussi rouvrir tous les postes d’aiguillage. » La privatisation d’un TGV implique aussi « d’immobiliser la rame, qui n’est pas utilisée pour le plan de transport régulier », d’où des prix assez élevés, variables selon les jours et les horaires. Environ 58 000 euros pour un aller-retour Lille-Lyon. 48 000 euros pour un Paris-Marseille, avec trois heures de trajet et 2,6 kilos de CO2 par personne, contre 279 en avion. « Le prix est le même qu’il y ait 3 ou 500 personnes dans le TGV. Une solution pourrait être de faire venir des sponsors ou de valoriser les voitures pour des VIP », esquisse Anne Lois. L’avion n’est cependant pas forcément moins cher : en juin, le quotidien L’Équipe révélait que chaque aller-retour aérien du PSG coûtait entre 50 et 100 000 euros. L’option, moins onéreuse, de la privatisation d’une voiture, et non pas d’une rame entière, fait alors son chemin. La SNCF est actuellement en discussion avec plusieurs clubs de Ligue 1 à ce sujet, sentant « une bascule ». Si les clubs préfèrent circuler sans croiser d’autres voyageurs, ils pourraient y remédier en s’installant à l’extrémité des rames, « avec des accès privatisés ». Convaincu après un déplacement à Lyon en octobre, le Stade toulousain va d’ailleurs approfondir l’idée.
En train, les Dogues ont rejoint la capitale à la veille de défier le Paris Saint-Germain pic.twitter.com/aBtLfJFBMZ
— LOSC (@losclive) October 28, 2021
Entre le car pour les déplacements d’une distance raisonnable et les lignes de train déjà en place, les clubs ont donc, sur le papier, de quoi recourir au jet avec parcimonie. Malgré les impératifs de confort et de récupération. « Il faut être réaliste : même s’il y a des problématiques humaines et techniques dans les transports, les enjeux écologiques sont maintenant beaucoup plus importants que d’autres enjeux, insiste Antoine Miche. Il faut se questionner sur ce qui conditionne l’existence du football. Est-ce qu’il ne vaut pas mieux six heures de bus plutôt que l’avion quand on sait qu’on a la chance de jouer au football et que c’est parce qu’on a une planète vivable ? Finalement, plus on fait de choses qui vont contre le fait que la planète soit vivable, plus on met en péril sa propre activité. Le FC Lyon a dessiné une vraie feuille de route sur cinq ans, il la travaille au quotidien. C’est un très bel exemple. Si un club amateur peut le faire, pourquoi un club professionnel, qui a plus de budget et de marge de manœuvre, ne pourrait pas ? » Quand on veut…
Par Quentin Ballue
Tous propos recueillis par QB