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Leonardo Albornoz : « Nous avons entendu le moteur de l’avion »

Propos recueillis par Eric Carpentier
6 minutes
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Dimanche, une expédition a retrouvé le Douglas DC-3 disparu le 3 avril 1961. À son bord, 34 personnes, dont 8 joueurs de l'équipe de Green Cross, son entraîneur et des proches du club. Entretien avec Leonardo Albornoz, l'alpiniste qui a découvert la carcasse à plus de 3 200 mètres d'altitude, 54 ans plus tard.

D’où vous est venue l’idée de partir à la recherche de l’avion disparu ?

Je suis journaliste, explorateur, spécialisé en voyages extrêmes en Amérique du Sud : atiplano andin, Gran Chaco, Amazonie, Rio Paraná… sont mes zones d’action. Je travaille dans le secteur audiovisuel, et en lien avec le tourisme d’aventure. Dans le cas de l’avion, je suis originaire de Linarés. J’ai grandi dans ces montagnes, j’y ai tout appris avec un vieil ami, Lower Lopez, maintenant responsable touristique dans la région. Or, dans la province de Linarés, région du Maule, où se trouve l’avion, son histoire est extrêmement connue. Nous avons grandi avec elle. Il y a beaucoup de versions, des mythes, c’est un sujet de conversation récurrent. Il se dit par exemple qu’un propriétaire de Linarés a acheté ses terres grâce à une mallette de 40 000 dollars retrouvée au moment du crash. C’est une histoire qui existe encore aujourd’hui. Pour nous, en tant qu’alpinistes, c’était une énigme à résoudre. De nombreuses expéditions sont parties à la recherche de l’avion, ont émis des hypothèses, ont lancé des pistes, sans jamais aboutir à quelque résultat concret. Un jour, Lower m’appelle, j’étais à l’étranger, et me dit : « On y va, on va trouver l’avion, c’est maintenant ou jamais. »

Comment se prépare une telle expédition ?

On a commencé à travailler sur le sujet, à faire des recherches, à croiser les informations de chacun. Il y a peu d’informations précises de l’époque, nous avons rencontré les locaux, écouté leurs histoires, parfois contradictoires, pour répondre à ces 2 questions : où est cet avion, et surtout pourquoi personne n’a jamais réussi à le retrouver depuis 54 ans ? Peu à peu, notre théorie a émergé, et en janvier 2014, nous avons dessiné nos projections pour se concentrer sur toutes les montagnes d’une zone en particulier. Des premières expéditions sont parties l’année dernière pour réduire la zone petit à petit. Cette année, nous – 9 personnes au total – avons attaqué les montagnes intérieures. Les délais étaient très courts, à peine suffisants pour pouvoir y accéder, puis rentrer.

Et puis vient la découverte…

C’était dur, à la fois un soleil très fort et énormément de glace. Autour de nous, des avalanches se déclenchaient à chaque instant, notamment depuis la montagne d’en face, qui était notre but. C’était impressionnant, mais nous avons continué à avancer en suivant une corniche, car il nous semblait que cette montagne était la dernière possibilité, elle marquait la fin du massif. Nous devions avancer sans nous arrêter, car si la nuit nous prenait, elle aurait pu avoir des conséquences fatales. Sur la dernière ascension, il fallait à la fois avancer sans s’arrêter dans une neige instable – la température montait – et ménager ses forces, éviter une glissade mortelle. C’est un de nos porteurs, légèrement en avant, qui a vu en premier la carcasse.
Une partie du fuselage était là, autour des ossements humains

Que se passe-t-il à ce moment ?

Nous sommes arrivés sur place, et ce fut fort, très intense. Une partie du fuselage était là, autour des ossements humains. Nous pouvions ressentir toute la douleur du lieu. Les sentiments étaient contradictoires : d’un côté la satisfaction d’être arrivé au but, de l’autre une peine profonde, une grande tristesse pour ceux qui ont perdu la vie ici. Nous sommes à peine entrés sur le lieu, avons déterminé l’emplacement exact, pris quelques photos pour prouver notre découverte sans rien emporter de l’avion. Un peu plus bas se trouvait l’hélice, nous y avons célébré une courte cérémonie religieuse. Personne ne s’est félicité, personne n’était joyeux. Personne n’a parlé pendant la descente, en arrivant au camp de base, nous nous sommes tous couchés, chacun dans ses pensées. Nous n’avons pas fêté la découverte, n’avons pas trinqué, car nous réalisions que nous clôturions un cycle suivi par de nombreux montagnards, et en ouvrions un nouveau.

C’est-à-dire ?

En arrivant en bas, j’ai envoyé un mail au Club Deportes de Temuco, une personne nous a appelés pour en parler, mais pas plus. Nous avions un sentiment de responsabilité à leur égard, en tant qu’héritiers de Green Cross, mais ils semblaient, à ce moment, ne pas être si intéressés que ça par l’histoire. En revanche, nous avons reçu des appels du monde entier. Des familles bien sûr, nous en avons rencontrées certaines. Elles sont heureuses et émues, toutes nous remercient chaudement. Et de la presse aussi : nous avons été contactés de France donc, mais aussi de Belgique, d’Allemagne, d’Angleterre, d’Espagne, d’Argentine, des États-Unis, d’Australie, du Japon… de partout. L’impact de la découverte dans le monde est impressionnant, nous recevons près de cinquante appels par jour.

Pourquoi ne pas révéler l’emplacement de la carcasse ?

Nous refusons de donner l’emplacement exact par respect pour le lieu et les dépouilles. Certaines recherches vont continuer. Si des familles nous demandent le lieu, alors nous verrons cas par cas. Je suis ouvert à y mener ceux qui le veulent. Quoi qu’il en soit, les familles sont heureuses que notre découverte ait permis de faire revivre la mémoire des morts dans cet accident.
Nous avions à résoudre une énigme posée à l’homme par la montagne

À quoi est due votre découverte, 54 ans plus tard ?

Nous l’avons trouvé parce que ça devait être ainsi. Nous sommes partis dans notre coin, ne l’avons dit à personne, à aucun sponsor, à aucun média. Je suis réalisateur audiovisuel, mais, au camp de base, j’ai décidé de partir sans l’équipe, alors que c’est mon travail. Nous avions à résoudre une énigme posée à l’homme par la montagne. Nous sommes partis avec des ambitions très humbles, avec tout le respect et l’amour que nous portons à la montagne. Lorsque nous sommes arrivés au pied de la dernière ascension, nous sentions que l’avion était là-haut. C’est cette sensation qui nous a poussés à grimper, à dépasser nos forces.

Y avait-il de la mythologie autour de cet accident ?

Je vais te dire une chose que je n’ai jamais racontée encore, personne ne le croirait. Je te jure qu’alors que nous descendions, nous marchions dans un canyon, et nous avons commencé à entendre un bruit d’avion très fort, qui remplissait tout le canyon. Il se rapprochait et nous ne voyions rien. Mais c’était le bruit de l’avion de l’époque, pas d’un Boeing ou un bruit de turbine, c’était le moteur de l’avion. Des paysans nous avaient dit entendre parfois le bruit de l’avion, nous aussi l’avons entendu. Nous étions en petits groupes éloignés et nous l’écoutions, nous étions paralysés.

Êtes-vous vous-même amateur de foot ?

Pas particulièrement. Évidemment, nous y portons l’intérêt normal d’un Sud-Américain. Et nous avons un attachement particulier avec le Club Deportes de Temuco, qui a fusionné avec Green Cross quelques années après l’accident, du fait de cette histoire. Nous en savions à ce sujet plus que beaucoup de supporters qui ignoraient le lien entre le CD Temuco et Green Cross. Nous, notre affection pour ce club vient justement du drame. Notre découverte est un travail de mémoire pour eux aussi.
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Propos recueillis par Eric Carpentier

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