Le supporter sibérien des Bleus

La passion a ses raisons que la raison ignore. On a connu des Parisiens fans de l’OM, et inversement, des français arborant les drapeaux du Maroc, de l’Algérie, au stade de France. Mais un Russe qui fait 6000 kilomètres, et 9h de vol pour supporter les Bleus ? C’est une première. Même Hervé Mougin, président des Irrésistibles Français, le plus grand groupe de supporteurs des tricolores, n’est pas sûr de comprendre. « Il est là depuis quelques années. Il ne parle même pas français, mais il a sa carte de membre. » Il, c’est donc Moussa. « Comme Sissoko » s’exclame-t-il fièrement. Comme Maazou, aussi. Mais il est peut-être préférable de ne pas lui en parler, sous peine de le voir abandonner sa passion pour le football. Un football que ce jeune Russe de 23 ans connaît depuis 2004. Le 13 juin précisément. Ce soir-là, dans son salon, Moussa est devant le poste. Au menu, le deuxième match de poule du groupe B de l’Euro portugais. La France affronte l’Angleterre à Lisbonne. Les Bleus dominent sous l’impulsion de Zidane. Mais les Anglais, plus efficaces, prennent l’avantage à la 38e minute de jeu, par Frank Lampard.

Sous le charme de Zidane

Les hommes de Santini tentent de répliquer mais les minutes s’écoulent, et il faut même un miracle de Barthez, sur un penalty de Beckham, pour que les supporteurs tricolores conservent un mince espoir de ne pas repartir bredouille. Après une coupe du monde 2002 catastrophique, une défaite contre l’Angleterre en ouverture de l’Euro ne serait franchement pas vu d’un bon œil. Moussa raconte la suite en un mot. « Zidane ! »Les yeux du jeune tsar brille encore quand il s’agit d’évoquer ce match. Zidane, en effet, plante deux buts dans les arrêts de jeu, un délicieux coup-franc puis un penalty plein de sang-froid. Moussa est sous le charme. « J’avais 11 ans, c’est le premier match de foot que je regardais dans ma vie. Je suis devenu immédiatement supporteur des Bleus. »
Depuis, Moussa regarde tous les matches. Mais seulement de la France. Aime-t-il le football en général ? « Non juste la France » . Zidane a fait office d’intervention divine. Le Sibérien ne regarde jamais la Russie, encore moins le championnat local. « Je n’ai pas d’équipe favorite. Pour regarder les Bleus, je dois faire cela en streaming, personne ne diffuse les matches à la télévision russe » se désole-t-il. Sa mère pense que Moussa vit une petite crise d’ado. « Après deux-trois ans, elle était sûre que ça me passerait. »

Po po lo po po po lo po po, po lo po po, he !

Mais l’attraction est devenue passion.« Ce n’était pas évident de regarder les matches sur internet, donc dès que j’ai commencé à travailler, j’ai tout fait pour aller voir des matches. » Le premier remonte à 2013. « France-Géorgie au Stade de France »se souvient-il fièrement.« Je suis venu de Sibérie. Il a fallu que j’aille à Moscou d’abord, puis j’ai pris un vol pour Paris. »Pour voir Franck Ribéry et Mathieu Valbuena en Bleu. Il fallait le faire. Depuis, Moussa vient dès qu’il peut. « J’ai déjà fait 8 matches . Je suis allé au Portugal, en province. C’est plus simple depuis l’an dernier, car je travaille à Moscou. »Il était même au Stade de France en novembre dernier, le soir tragique des attentats de Paris et de Saint-Denis. « J’ai entendu les deux bombes, oui, mais je ne pensais pas qu’il s’agissait d’une attaque. Plutôt de quelque chose qui faisait partie de la fête. » Et il n’a pas eu peur à l’envahissement de terrain. « Non, je suis rentré assez vite chez un ami. »Sa mère, non plus ? « Elle vit toujours en Sibérie, c’était quatre heures du matin là-bas quand c’est arrivé. Je l’ai appelée le matin et je lui ai dit que j’étais en sécurité. Elle m’a demandé si les Bleus avaient gagné, comme après chaque match. » Belle insouciance.

Vivement 2018 !

À Amsterdam, le soir du match amical Pays Bas-France du 25 mars dernier, Moussa, comme à son habitude, se montre timide. Certains chez les IF ne le connaissent même pas. « On a un Russe ? Je ne savais pas »explique Fabian dans la Casa Bleue, lieu de rassemblement des fans français. Moussa vagabonde à la recherche de son amie biélorusse, qui lui a présenté l’association. « Elle avait un ami français qui en faisait partie. C’est comme ça que j’ai atterri là. » Tout en douceur. Même en tribune, dans l’Amsterdam Arena, il ne se fait pas remarquer. Il est pourtant au premier rang, avec sa veste old school floqué du numéro 10, et entonne timidement quelques chants faciles. La Marseillaise ? « Pas encore » sourit-il. Les chants tout en onomatopées lui conviennent mieux. Après la rencontre, retour à la Casa bleue, puis direction Paris pour assister au France-Russie du 29 mars. Et le doute ne l’habite pas une seule seconde quand il s’agit de choisir une équipe à soutenir. « La France, bien sûr ! » Du coup, le score final l’arrange : 4-2 pour les Bleus. Malheureusement, il ne pourra revenir en France en juin, parce qu’il doit travailler. Avant de conclure : « J’espère que les Bleus gagneront l’Euro. Comme ça je pourrais les voir à la Coupe des Confédérations l’an prochain en Russie. C’est mon plus grand rêve. D’accueillir la France et mes amis à Moscou. »