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Le Revierderby vu du terrain

Par Sophie Serbini, Ali Farhat et Côme Tessier
11 minutes
Le Revierderby vu du terrain

Revierderby, mère de tous les derbys en Allemagne, va vivre sa 150e édition en match officiel ce samedi 1er avril. Pour comprendre l'importance de ce match entre les gars de Gelsenkirchen et ceux de Dortmund, mieux vaut demander à ceux qui l'ont vécu de l'intérieur. Les joueurs. De Norbert Nigbur à Gerald Asamoah, en passant par Stéphane Chapuisat et Jan Koller.

Hans-Jürgen Wittkamp, Schalke 04 (1967-1971), cinq derbys

« De mon temps, ce n’était pas comme aujourd’hui. Le Revierderby est devenu une religion. Lorsque je jouais, il s’agissait d’un match de Bundesliga comme un autre. On ne parlait même pas de derby entre joueurs, les relations étaient bonnes et les fans n’étaient pas aussi déchaînés. Bien sûr, les tribunes n’étaient pas les mêmes à cette époque, l’ambiance diffère de toute manière. Mais la rivalité n’a vraiment pris qu’après, dans les années 70, pour différentes raisons. La presse a commencé à en parler. Il y avait des intérêts financiers à faire monter en épingle le derby. C’est devenu quelque chose de médiatique, alors que les clubs nouaient des relations tout à fait amicales avant cela, comme par exemple entre Gladbach et Cologne. Il y avait un Revierderby, qui n’était qu’un match de Bundesliga comme les autres avec un peu plus de caractère local. Rien d’autre. »


Norbert Nigbur, Schalke 04 (1966-76, 1979-83), quinze derbys

Ici, ce n’est pas une question de riche ou de pauvre ; il s’agit tout simplement de savoir qui aura la suprématie dans la Ruhr.

« Le Revierderby, c’est toujours un match particulier, entre deux équipes qui ne sont pas situées très loin l’une de l’autre. Ici, ce n’est pas une question de riche ou de pauvre ; il s’agit tout simplement de savoir qui aura la suprématie dans la Ruhr. Et quand on gagne le derby, on dit généralement qu’on a une année tranquille. Cette rivalité qui existait déjà avant la création de la Bundesliga en 1963 s’est poursuivie à travers les âges. Et cette passion s’est transmise aux générations d’après, comme un virus, ce qui fait qu’aujourd’hui on est fan de Schalke ou de Dortmund de grand-parent à petit-enfant. À l’époque où j’étais joueur, les gens n’auraient raté le derby pour rien au monde. Mon père, qui travaillait à la mine, me racontait qu’il avait des copains qui venaient directement au stade après le boulot, quand ils ne demandaient pas deux heures de pause. Ils venaient au Glückauf-Kampfbahn sans passer par la douche, avec leur casque de mineur, et s’installaient tout en haut, debout. Cette rivalité était assez saine à mon époque, que ce soit entre les joueurs ou les fans. Il n’y avait pas de bagarre. Pourtant, il y aurait pu y en avoir, par exemple en septembre 1969, quand mon coéquipier s’est fait mordre par un chien lorsqu’on a ouvert la marque. Il y avait énormément de monde au Stadion Rote Erde de Dortmund, quasiment jusqu’à la ligne de sortie de but. Et quand on a égalisé, il y a un chien de la sécurité qui s’est excité et qui allé mordre mon coéquipier Friedel Rausch… Sinon, l’année d’après, j’ai moi aussi fait un peu de provoc’ (Schalke était ultra dominateur, Nigbur s’ennuyait, donc il a commandé une glace à un marchand qui passait pas loin de lui et il l’a mangée en plein match, ndlr). Bon, ça fait partie du folklore… Moi-même je me faisais constamment insulter… Mais c’était un jeu : l’important, c’était de montrer qu’on avait les nerfs solides. »

« Aujourd’hui, les choses ont beaucoup changé : il y a beaucoup de communication qui est faite autour du match Bayern-Dortmund, un peu moins autour du derby, mais c’est comme ça, c’est l’air du temps. De même, il y a de moins en moins de « types », de gars comme Beckenbauer, Matthäus, qui parlent tout le temps. C’est comme ça. Les joueurs n’ont plus trop l’occasion de s’exprimer, et pour certains, ils n’en sont tout simplement pas capables. Ce sont des gentils. Et puis, même dans les stades, la population a changé : il y a toujours ceux qui viennent pour supporter leur club, qui passent le match debout et qui chantent tout le long, mais il y a aussi ceux qui sont dans les zones VIP. Je ne sais pas si tous sont fans de foot, ils sont parfois invités par les sponsors du club… Faut bien payer les joueurs, non ? »


Stéphane Chapuisat, Borussia Dortmund (1991-99), treize derbys

« Quand je suis arrivé, je n’ai pas saisi tout de suite l’impact de cette rencontre. Une fois que je me suis acclimaté, j’ai compris que cette rencontre était plus importante que tout. La semaine d’avant, tout le monde en parle : les gens dans la rue, les journaux, mais aussi les gens que tu connais à l’extérieur. Les gens voulaient qu’on gagne, c’est tout. C’est le genre de victoires qui peut t’offrir un peu d’oxygène : si tu traverses une mauvaise passe, tout le monde se détend si tu repars avec les trois points. Les matchs étaient souvent chauds, notamment en tribunes ; sur le terrain, c’était correct. Je me souviens d’une belle victoire à Gelsenkirchen. J’étais blessé mais Ottmar Hitzfeld m’avait quand même pris en tant que remplaçant. On menait 1-0, je rentre à la 54e, Schalke égalise quatre minutes plus tard, et je mets un doublé peu de temps après (62e, 64e, ndlr). On s’impose 3-1. C’était la saison où on a remporté la Ligue des champions. Évidemment, une victoire dans le derby ne vaudra jamais une C1, mais quand même, quand tu es joueur et que tu vois l’ambiance d’un Dortmund-Schalke, tu te dis que c’est pour ce genre de rencontres, pour vivre ce genre d’émotions, que tu t’entraînes. »


Ingo Anderbrügge – Borussia Dortmund (1984-1988) puis Schalke 04 (1988-1999), sept derbys puis seize derbys

« C’est une longue histoire, le Revierderby, une histoire qui a grandi fortement au fil des années. À l’origine, ce sont deux clubs de travailleurs, chacun de leur côté, qui se connaissent. C’est ensuite par la compétition et la concurrence que la rivalité a pris de l’ampleur. Dans les années 70 et 80, il y avait beaucoup d’agressivité sur le terrain. En fait, Dortmund est apparu comme le club pour une population un peu plus riche, tandis que Schalke restait du côté des travailleurs. C’est resté ensuite dans les têtes, avec les médias pour raviver les ardeurs de temps en temps. C’est malgré tout dans l’ensemble une rivalité bon enfant, avec beaucoup de gestes drôles et sympas, avec les caractères de chacun qui s’expriment autour du match. À la « fabrique » (la boîte d’Ingo Anderbrügge qui organise des camps d’entraînements pour jeunes, ndlr), il y a quelques piques entre collègues, moitié Schalke et moitié BvB. Dans toute la région, c’est comme ça. C’est ce qui est fou. Personne ne peut être indifférent au match. Et les joueurs le ressentent. J’ai le souvenir que les supporters nous faisaient comprendre pendant toute la semaine qu’on devait être à 100% pour unRevierderby. Il y avait parfois 3 000 supporters au dernier entraînement pour soutenir l’équipe et montrer l’engouement que doit susciter la rencontre. Encore maintenant, à chaque fenêtre, il y a un drapeau d’un club ou de l’autre. Ensuite, sur le terrain, dès l’échauffement, c’est évident que ce match est à part. Malgré tout, les encouragements sont légèrement plus forts qu’à l’habitude, les célébrations sur les buts sont encore plus intenses. C’est pareil des deux côtés, à Dortmund ou à Schalke. Je peux le dire puisque j’ai joué des deux côtés. Il s’agit vraiment d’une passion hors norme, avec ses anecdotes drôles comme les vols de drapeaux d’un côté ou de l’autre des ultras ces dernières années. Tant que la violence reste en dehors de tout cela, c’est très bien. Pour moi qui ai toujours vécu dans la région, je connaissais l’importance du match et je ne me suis jamais caché. Évidemment, un lendemain de victoire, en allant acheter monBrötchen, j’étais très fier et je le montrais à la boulangerie. Mais même après une défaite, je n’avais pas besoin de me cacher, je partageais ma déception avec les supporters. Tant qu’on avait montré qu’on était prêt à se battre sur le terrain. Le plus grand moment que j’ai vécu, c’est l’égalisation de la tête de Lehmann (en décembre 1997, 2-2, ndlr). J’étais sur le terrain. Ce fut véritablement l’instant le plus fou que j’ai vécu pendant un match de foot. »


Peter Sendscheid, Schalke 04 (1989-95), trois derbys

J’étais sur le terrain pour l’égalisation de la tête de Lehmann. Ce fut véritablement l’instant le plus fou que j’ai vécu pendant un match de foot.

« On comprend très vite ce qu’est le derby : une priorité absolue. Les jours précédant la rencontre, les gens vous répètent à longueur de journée : « Vous pouvez mal jouer, vous pouvez perdre des matchs, mais pas celui-ci. Surtout pas. » J’ai eu l’occasion de jouer contre Dortmund lors de ma deuxième saison à Schalke : nous venions de monter, on reçoit le BvB très tôt dans la saison (5e journée, ndlr), et on s’impose 5-2. J’ai inscrit le dernier but, qui était anecdotique, mais cette victoire était un signe : nous étions de retour dans l’élite et il fallait compter avec nous désormais. C’était des matchs très engagés mais assez fair-play. Par ailleurs, deux ans plus tard j’ai eu l’occasion d’inscrire le but du 1-0 à Dortmund, c’était fantastique. Malheureusement, Matthias Sammer a égalisé en fin de rencontre. Mais c’est probablement l’un des buts les plus importants de ma carrière. Aujourd’hui, je trouve que le derby n’a pas perdu de sa saveur, c’est toujours une rencontre très attendue. Et puis, à la Veltins Arena, l’ambiance est formidable. À l’époque, le Parkstadion était toujours très rempli, il y avait du bruit mais ce n’était pas pareil, y avait de la distance, à cause de la piste d’athlétisme. De nos jours, l’acoustique est vraiment super. Ça peut vraiment motiver les joueurs à se dépasser. Et ça peut siffler très fort pour décourager l’adversaire. Ce qui fait le charme de cette rencontre, c’est que quelque soit la forme des équipes, c’est quasiment toujours celle qui aura les nerfs les plus solides qui sortira vainqueur. On peut presque dire que le derby suit ses propres règles. »


Jan Koller – Borussia Dortmund (2001-2006), dix derbys

« LesRevierderbyne sont pas de très bons souvenirs pour moi, parce qu’on n’a pas souvent gagné ces matchs-là. Lors de mon passage à Dortmund, nous n’avons dû en gagner qu’un seul. C’était difficile. Et évidemment, pour les supporters, c’est encore plus triste que d’habitude lorsque l’on perd ce match plutôt qu’un autre. C’est un derby comme aucun autre en Allemagne, largement plus fort qu’un Dortmund-Bayern, parce qu’il s’agit de deux clubs traditionnels et très proches qui s’affrontent. Les supporters sont particulièrement chauds ce jour-là. En temps normal, à Dortmund, l’ambiance est forte et bonne. Quand il s’agit d’un Revierderby, c’est énorme. Mais entre les joueurs les relations sont calmes. Nous sommes des professionnels. À mon arrivée à Dortmund, Stefan Reuter et Jürgen Kohler m’ont expliqué ce qu’il y avait de si particulier pour ces derbys, l’importance de gagner contre Schalke. Mais même si on connaît la particularité de la rencontre et que les supporters nous le font sentir, il n’y a pas beaucoup d’animosité entre nous sur le terrain. Je n’ai jamais eu d’accrochages avec un joueur de Schalke. »


Damien Le Tallec – Borussia Dortmund (2009-2012), trois derbys en B et deux sur le banc avec l’équipe première

Il y a des types avec qui j’étais en équipe nationale, avec qui je mangeais. Ok. Mais sur le terrain, je ne les connaissais pas.

« C’est le derby le plus chaud d’Allemagne, ça ne fait aucun doute. Il n’y a pas d’équivalent. Un jour de derby, c’est bien simple : tout la ville s’arrête. Il n’y a plus que le match qui compte. J’ai été sur le banc pour un match de Supercoupe d’Allemagne, à Schalke, c’était incroyable. Mais moins chaud qu’à Dortmund. Avec l’équipe B, c’est beaucoup plus calme aussi, même s’il y a toujours beaucoup de spectateurs parce que, comme toujours en Allemagne, pour n’importe quel match, il y a du monde dans les tribunes. Le coach nous expliquait pendant toute la semaine pourquoi on ne pouvait pas passer à côté ce jour-là. Aujourd’hui, le derby est sûrement plus carré, plus organisé et donc moins chaud que ce que je peux connaître en Serbie où c’est la folie avec fumis et bombes pendant 90 minutes – il faut venir le voir pour comprendre –, mais c’est un match qui reste complètement à part parce que les deux villes sont à quinze minutes l’une de l’autre. Par exemple, jamais je n’aurais pu jouer à Schalke après Dortmund de toute façon… C’est impossible de passer chez l’ennemi. C’est invivable tellement les clubs sont proches et les supporters se détestent. »


Gerald Asamoah – Schalke 04 (1999-2011) 20 derbys

« À Dortmund, les gens savaient que c’était le genre de match qui me rendait complètement dingue, que je faisais n’importe quoi pour pouvoir gagner. Il y a des types avec qui j’étais en équipe nationale, avec qui je mangeais. Ok. Mais sur le terrain, je ne les connaissais pas. Ils étaient dans l’autre camp. C’est une question de mentalité : chaque joueur est différent. Tu peux avoir un joueur qui aborde le match tranquillement et un autre qui est complètement excité par l’enjeu. Je me situe plutôt dans la seconde catégorie. Avec Weidenfeller, c’était encore autre chose. Ça faisait un moment qu’on était dans nos clubs respectifs, on a souvent eu affaire l’un à l’autre. Mais une fois, il m’a dit un truc assez dégueulasse, puis il a soutenu qu’il ne l’avait pas dit. Bon. Nous ne sommes pas amis, voilà tout. Je n’ai rien contre la ville de Dortmund. C’est juste que je n’aime pas le club, parce que je suis de Schalke. Et ils le savent là-bas. Si je croise un Marco Reus, par exemple, je n’aurai aucun problème à lui serrer la main. Sur le terrain, c’est autre chose. Et c’est pourquoi je n’étais pas aimé là-bas. Mais en vrai, une telle « reconnaissance » , c’est comme un compliment. Et puis, à Gelsenkirchen, c’est grâce à mes prestations durant ce genre de rencontres que le public m’a adopté. »

Dans cet article :
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Par Sophie Serbini, Ali Farhat et Côme Tessier

Tous propos recueillis par SS, AF et CT

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