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« Le Rayo Femenino n’est pas mort, il a été assassiné »

Par Anna Carreau
10 minutes
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Après 19 ans passés dans l’élite féminine, le Rayo Vallecano est relégué en seconde division. Une descente qui vient conclure dix années de mort à petit feu, entre scandales en tout genre et manque de moyens criant, sponsorisée par le président Martín Presa, qui n’a rien fait pour que cela ne se passe autrement.

Dimanche 17 avril, un monument du football féminin espagnol quitte le devant de la scène. En perdant 3-4 face à Levante devant quelque 70 spectateurs sur le dernier terrain du centre d’entraînement, les féminines du Rayo Vallecano sont officiellement reléguées en deuxième division espagnole. Après 19 saisons passées dans l’élite. Les pionnières de la ligue espagnole, dont la section a été créée en 2000 par Teresa Rivero, ont glané entre 2008 et 2011 trois championnats, une Coupe de la Reine, et trois participations en Ligue des champions, dont un record d’affluence lors de la saison 2010-2011, lorsque 8000 spectateurs se sont pressés à Vallecas pour les huitièmes de finale de la LDC contre Arsenal (depuis platement battu par le FC Barcelone et ses 91 648 supporters). En l’espace de dix ans, la section féminine s’est effondrée aussi vite qu’elle ne s’est construite. La chute vertigineuse commence en 2010, lorsque le principal groupe d’investissement du club, Nueva Rumasa, fait faillite et que le club s’est soudainement retrouvé endetté de 21 millions d’euros. Raúl Martín Presa, un homme d’affaires madrilène de 34 ans, est nommé nouveau président du Rayo et promet d’éponger les dettes du Rayo en plusieurs versements, les préservant ainsi de l’insolvabilité et assurant la promotion de l’équipe masculine en Liga.

Nous engageons des professionnels, pas des personnes.

Un mauvais Presa-ge

S’il n’a fait campagne qu’en prônant la gloire des garçons, le président tout juste élu se rappelle miraculeusement de l’équipe féminine au moment de son discours d’investiture et déclare que le succès du Rayo Femenino est « une grande source de fierté pour le club », indiquant qu’il prendra soin du projet. En beau parleur, les promesses ne seront jamais suivies d’actes et le budget des féminines se ratatine d’année en année, à tel point que des stars comme Sonia Bermúdez, Jenni Hermoso ou Natalia Pablos quittent peu à peu l’institution en déclin. Jusqu’à ce qu’en 2014, Martín Presa décide de n’allouer aucun budget à la section féminine. Les supporters comprennent alors que le président fait tout son possible pour se débarrasser de l’équipe féminine et lancent la campagne #SalvemosAlRayoFemenino (Sauvons le Rayo féminin), en vain. Celles que l’on appelle vulgairement « les Chicas » ne reverront plus un sou de la poche de celui qui fait partie de neuf conseils d’administration d’entreprises à travers l’Espagne et passent d’une 6e place lors de la saison 2014-2015 à une 10e place avant de végéter en bas de tableau. En 2019, les joueuses se sont plaintes publiquement de conditions de travail inégales comparées aux hommes et obtiennent en guise de compensation le droit de jouer un match au stade de Vallecas pour la première fois depuis neuf ans.

Raúl Martín Presa, à gauche, fossoyeur de l’équipe féminine du Rayo Vallecano.

Le revers de la médaille ne se fait pas attendre : le club décide d’augmenter le prix de son abonnement alors que l’équipe masculine évolue en D2 et… supprime les matchs des féminines de l’offre. Un autre abonnement à part est mis en place pour elles. Celui-ci trouve peu preneur et devient ainsi la parfaite justification de l’absence de financement du Rayo Femenino que le président ne juge « pas rentable ». Mais le pire reste à venir. Après une beau début de saison 2019-2020, durant lequel les filles se classent 8es et font match nul contre le Barça, le championnat est suspendu en raison de la pandémie. Chez les garçons comme chez les filles, le Covid-19 a le dos suffisamment large pour devenir la raison de la moindre économie. Ainsi, afin d’éviter de payer un mois de salaire en juillet, Martín Presa obtient auprès de la Ligue que le début du championnat soit repoussé à septembre, pour permettre à son équipe de ne commencer sa présaison qu’en août. Et ce, alors que dix joueuses parties ne sont toujours pas remplacées, que la majorité de celles restantes ne disposent toujours pas de contrats et qu’elles ne sont pas enregistrées auprès de la sécurité sociale. Cristina Auñón, alors capitaine, déclare au quotidien madrilène AS que « la pandémie était une excuse pour[les]priver de certaines choses ».

Pas de repas, pas de contrats, plus d’apparts

Sa coéquipière Paula Ubeda raconte que le « protocole Covid » empêche les féminines de se garer dans les mêmes installations que les hommes, qu’elles n’ont plus accès au gymnase afin de créer une « bulle » pour l’équipe masculine et que leur seule façon de s’entraîner était de se rendre à 21 heures sur un terrain synthétique avec du matériel d’entraînement qu’elles devaient payer de leur poche. En décembre 2020, la situation dégénère à cause… d’un sandwich, qui devient la goutte de trop. Sur le chemin retour d’un déplacement à Valence – en bus, évidemment -, les joueuses reçoivent un pique-nique d’après-match garni de quatre tranches de pain et quatre tranches de jambon, et deux pommes. Le tout concocté par les services du club depuis plus de 24 heures, brisant au passage la chaîne du froid. Le syndicat des joueurs espagnols poste dans la foulée un communiqué demandant une réunion « en urgence » avec le président du club, énumérant tous les problèmes vécus depuis le début de saison par les joueuses : des déplacements en bus sans respect de la distanciation sociale, des chambres communes là où le protocole sanitaire recommande des chambres individuelles, des salaires payés uniquement sur sollicitation de l’association… L’unique réponse de Presa consistera à dire qu’un tel pique-nique « correspond aux apports nutritionnels nécessaires » en ajoutant que c’est le club qui décide de ce que doivent manger les joueuses.

Combien de temps encore vont-ils permettre cette situation ? Il faut que quelque chose de vraiment grave se produise pour qu’ils agissent…

Un épisode qui ne sert pas de leçon à la direction, puisque seulement deux semaines après, le Rayo Femenino « reçoit » le Sporting Huelva sans leur offrir le moindre vestiaire, contraignant leurs adversaires à se changer à même le sol dans les couloirs du centre d’entraînement, sous la justification du protocole Covid. La saison 2020-2021 se termine en beauté : ni les joueuses ni le staff ne percevront leur salaire du mois de juin, en raison d’une amende de 20 000 euros infligée au club par la commission d’état contre la violence dans le sport à la suite d’un match contre l’EDF Logroño que les filles avaient pu jouer à Vallecas, en présence de supporters ayant fait quelques banderoles. La saison suivante, celle qui s’achève actuellement, bis repetita : les filles n’ont toujours pas de contrat, la moitié de l’effectif s’est barré à l’intersaison, et le Rayo commence la saison deux semaines après tout le monde. Entre-temps, l’effectif découvre qu’aucune de ses membres n’a été inscrite auprès de la sécurité sociale la saison passée et que seize joueuses risquent d’être expulsées de leurs appartements parce que le club n’a pas payé les loyers qu’il avait pourtant promis lors de la signature des contrats. Sur le terrain, bien trop souvent préoccupées par les affaires extrasportives, les filles enchaînent six défaites en sept matchs et se trouvent relégables. En novembre, alors que l’équipe vient tout juste de signer ce qui sera l’une des deux seules victoires de sa saison, le Rayo Femenino refait parler de lui pour autre chose que du football.

Une équipe soignée par ses adversaires et entraînée par un blagueur sur le viol collectif

En plein match à domicile, l’internationale chilienne Camila Sáez s’effondre après un coup à la tête et végète au sol, alors que le Rayo n’a ni médecin ni kiné à dépêcher sur le terrain pour lui faire passer le protocole commotion. L’Athletic Club, son adversaire, a dû proposer son médecin pour l’examiner, avant qu’elle ne soit évacuée du terrain sur civière. Quelques semaines plus tard, l’image se répète au stade Johan-Cruyff de Barcelone, où les joueuses du Rayo, Isadora Freitas et Iris Ponciano, sont soignées par les services médicaux de l’équipe locale. Paula Andújar, joueuse du Rayo, s’indigne alors sur Twitter pour demander : « Combien de temps encore vont-ils permettre cette situation ? Il faut que quelque chose de vraiment grave se produise pour qu’ils agissent… » Malgré le scandale national que la scène provoque et l’indignation des supporters du Rayo qui brandissent à Vallecas des T-shirts barrés d’un « RESPETO Y DIGNIDAD PARA EL FEMENINO » (respect et dignité pour le Rayo féminin), Presa réussit à justifier sa décision de ne pas donner de médecin à l’équipe féminine du Rayo en disant que si la section féminine avait un médecin, toutes les sections de jeunes devraient en avoir un aussi et qu’il ne pouvait pas « épuiser le système médical du pays ». Le Rayo Femenino n’a jamais fini par obtenir son propre médecin, et les joueuses reçoivent l’interdiction de s’exprimer dans les médias.

Le point d’orgue à tout ce marasme, parce que non ce n’est pas encore fini, arrivera le 28 janvier 2022, lorsque Carlos Santiso fait son retour sur le banc de l’équipe féminine. Un mois plus tôt, il avait pourtant été licencié de son poste d’entraîneur des U12 de la fédération de Madrid après la révélation de messages vocaux datant de 2017 dans lesquels il faisait des blagues sur le viol collectif. «  Ce staff est incroyable, mais il y a quelque chose dont nous manquons encore. Nous avons besoin de faire quelque chose comme ce qu’ont fait les joueurs d’Arandina », a-t-il dit à son staff, en référence aux trois joueurs du club de D3 condamnés à 38 ans de prison pour avoir violé une mineure de 15 ans en 2017. « Nous avons besoin d’attraper une fille tous ensemble, mais qui soit majeure pour ne pas nous attirer d’ennuis, poursuit-il dans son vocal. C’est ce qui rapproche vraiment une équipe, un staff. Regardez Arandina : ils sont allés droit au but. » Des propos qui évidemment ne passent pas auprès des supporters qui demandent sa démission sur le champ. L’entraîneur s’excuse d’une blague « de très mauvais goût », pendant que son président fait le tour des médias pour expliquer que ce sont les joueuses elles-mêmes qui auraient demandé son retour. Pratique, quand on sait qu’elles n’ont pas le droit de parler. « Nous engageons des professionnels, pas des personnes », justifie Presa qui s’assoit un peu plus sur les valeurs du club, après avoir invité quelques semaines plus tôt Santiago Abascal, le leader de VOX (parti d’extrême droite) lors d’un match masculin. La polémique passée, Carlos Santiso garde sa place sur le banc, et le Rayo Femenino continue de perdre. Une reconduction qui n’aura servi à rien, puisque son équipe ne parvient à gratter que cinq points en dix matchs, jusqu’à ce terrible dimanche 17 avril. En tribune de presse, la journaliste Chantal Reyes résume cette descente aux enfers : « Le Rayo n’est pas mort, il a été assassiné. »

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