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Le poing hooligan, round 2

Par Eric Carpentier
7 minutes
Le poing hooligan, round 2

Le risque hooligan fait partie des menaces pesant sur l'Euro. En raison du contexte général d'une part, mais aussi de la configuration de certains groupes. On fait le point avec les experts.

Le match de cochons : Angleterre / Russie

Il est peut-être là, le coup d’envoi de l’Euro fight : samedi 11 juin, 21h, Angleterre-Russie à Marseille. Car tous les ingrédients sont réunis pour faire monter une sauce ketchup aromatisée lager, vodka et harissa. Un match symbolique. Le sociologue Nicolas Hourcade pose un scénario catastrophe en 3D : « Le premier type de risque pendant cet Euro, ce sont des bagarres de hooligans purs et durs, qu’on peut retrouver sur Russie-Angleterre. Deuxième risque, des tensions entre supporters étrangers et la population locale. Ce qu’il y avait eu pour Angleterre-Tunisie en 98. Et le troisième type de risque est lié à la relation entre policiers et supporters. Parfois, une intervention policière mal appropriée peut faire dégénérer la situation. C’est un peu ce qui s’est passé en 98, où la police a été complètement débordée. Angleterre-Russie est particulièrement problématique, parce que c’est à Marseille. » Une ville où l’autoproclamé Pig of Marseille, figure des heurts de 1998, a déjà prévu de retourner.

S’il ne considère pas le « Cochon de Marseille » comme un « top lad » , François * le hool français n’est pas pour autant rassurant sur le premier point : « Un des leaders de Milwall a dit qu’ils allaient y aller. Il y aura entre 500 et 1000 mecs de catégorie C (hooligans). Et les Russes, ils peuvent avoir un noyau de 100-150. Unfighten 100 contre 100, c’est tout à fait imaginable. » Il est en revanche plus circonspect sur les affrontements entre mecs de quartiers et hools étrangers : « Je ne pense pas que les quartiers nord vont descendre pour se battre. C’est pas les mêmes qu’en 98, on parle d’une délinquance qui s’est professionnalisée. Je pense plutôt que les mecs vont essayer de profiter de la manne financière pour vendre des places ou de la came. Pour faire du business quoi. » Attention à ne pas faire de l’ombre à la Fan Zone UEFA EURO 2016™, quand même.

La poule explosive : le groupe B

Angleterre et Russie donc, mais aussi Slovaquie et Pays de Galles : le groupe B sent la poudre à tous les étages. À risque notamment, l’Angleterre-Galles à Lens. François note que les Gallois « ont trois clubs, Cardiff, Swansea et Wrexham : rien qu’avec ça, t’as plus de 1 000 hools parmi les pires du Royaume-Uni » . Nicolas Hourcade a, lui, une vision un peu différente : « A priori, ce match ne pose pas de problème majeur entre hooligans, mais comme il est à Lens, s’il y a beaucoup de supporters anglais et gallois, étant donné la taille de la ville, ça peut poser des problèmes. Mais plutôt dans la gestion des flux qu’en matière de hooliganisme pur. »

Reste la Slovaquie. Un pays potentiellement inquiétant, mais dont les craintes relèveraient plus du fantasme oriental. Car, pour François, en Slovaquie, « y a quasiment rien. Il n’y a que deux clubs qui ont des hools sérieux, qui peuvent bouger en Europe, et ce sont pas des énormes bandes. Même en Europe de l’Est, ils ne sont pas réputés. » À cette faiblesse relative, Nicolas Hourcade ajoute une considération financière : « Le risque aurait été fort sur un match à domicile. Est-ce que des supporters slovaques, et parmi eux des supporters violents, peuvent venir en nombre en France, on ne sait pas trop. On n’a pas suffisamment de recul, la Slovaquie n’a pas un vécu suffisant en compétition internationale. » Wait and see donc, počkaj a uvidíš.

La poule mouillée ? Le groupe C

En 2012, l’Euro en Pologne et en Ukraine avait fait naître les pires craintes, finalement largement infondées. Quatre ans plus tard, les hools des deux nations pourraient-ils se réveiller ? En Ukraine, du fait de la situation politique, une partie des éléments les plus violents a purement et simplement disparu. Mais Nicolas Hourcade pointe aussi « la trêve entre les supporters des différents clubs ukrainiens qui se sont unis pour défendre leur identité nationale » . Et puis il y a la Pologne, « parmi les 2-3 pires nations » pour François. S’il est acquis que les Polonais vont se déplacer en masse, la proportion de supporters violents est, elle, très incertaine. Et cela vaut aussi pour l’Allemagne.

Le Pologne-Allemagne à Saint-Denis reste donc une inconnue. Mais ce qui est sûr, c’est que « sur le papier, les Allemands sont favoris » d’après François, qui analyse les fights comme d’autres les matchs de foot. Et la France garde en mémoire le souvenir douloureux du gendarme Nivel, agressé à Lens, alors que plus de 300 hooligans s’étaient déplacés pour le match contre la Yougoslavie en 1998. L’Allemagne aussi, d’ailleurs : la Mannschaft a invité l’adjudant pour son match contre l’Ukraine, à Lille. Enfin, l’Irlande du Nord ne devrait pas être concernée par les tensions venues de l’Est.

Ils jouent à domicile : les Français dans le groupe A

La France n’a pas pour habitude de mobiliser ses hooligans derrière l’équipe nationale, ceux-ci étant plutôt fidèles à leurs clubs. « T’as Paris. Ensuite, t’as 2-3 écuries juste derrière, notamment Lyon et Lille qui ont acquis une expérience en Europe ces dernières années » , présente François. « Puis t’as une dizaine de clubs qui peuvent fournir des individualités intéressantes. » De là à s’allier ? Nicolas Hourcade ne le pense pas : « Ça fait plusieurs années que des hooligans français disent qu’ils vont s’unir pour un grand tournoi. Pour l’instant, il n’y a jamais eu de grosse mobilisation. C’est possible, mais ce n’est absolument pas certain. »

D’autant que la configuration ne présente pas un danger exacerbé. La Suisse bloque ses supporters les plus violents le temps de la compétition, les fans albanais font preuve d’une forte passion sans forcément y mettre la violence, et les Roumains sont plutôt tranquilles. Pour la suite de la compétition, ça dépendra des oppositions d’après François, sélectionneur non officiel : « Si on joue les Allemands, c’est possible qu’il y ait un groupe de 200 Français, composé de noyaux, de mecs hyper-expérimentés qui ont déjà joué au niveau européen. Et puis on a l’avantage du terrain. Tu te retrouves dans une rue de 5 mètres de large, tu peux être autant que tu veux, ça va se jouer entre les premières lignes. Si la première ligne française est meilleure que la première ligne allemande… On n’a pas à rougir. » Seulement à tacher les Adidas Samba.

Ça peut swinguer : Turquie-Croatie dans le groupe D

Après Angleterre-Russie, le match Turquie-Croatie est celui qui présente peut-être le plus de risques. Parce qu’il se joue au Parc des Princes, là où les supporters des deux camps ont connu quelques antécédents : « Il y a un contentieux entre les fans de Galatasaray et les Parisiens » , rappelle Nicolas Hourcade. « Il y a eu deux incidents graves en 1996 et en 2001. Et il y a aussi eu des incidents sur le PSG-Zagreb de 2012. En plus, comme il y a une diaspora turque importante, les fans turcs viennent souvent en masse, il y a une passion autour de l’équipe nationale qui est extrêmement forte. La question est de savoir si, du fait de cette rivalité ancienne avec les hooligans de Boulogne, ça peut créer des incidents sur Paris. En sachant qu’il y a déjà des provocations et des chambrages… » Ou quand les mots d’Internet donnent déjà des maux de tête. Reste que les équipes nationales du groupe D (Turquie, Croatie, Tchéquie, Espagne) sont généralement épargnées par les phénomènes violents qui peuvent accompagner leurs clubs.

Ils devraient se tenir : les groupes E et F

Une analyse qui se poursuit plus encore avec les pays des groupes E et F, où ceux qui ont le plus à craindre du Belgique-Irlande, ce sont les fûts de bière. Seule la Hongrie demeure une inconnue, pour Nicolas Hourcade : « Pour les Hongrois, c’est une compétition extrêmement importante, parce que c’est leur retour sur la scène internationale. Après, ça dépend contre qui ils jouent. Vu le calendrier, je ne pense pas que ça suscite des débordements. D’autant que le match Autriche-Hongrie, qui est plutôt amusant en matière d’affiche au niveau de l’histoire, se déroule en semaine et à Bordeaux. »

In fine, la configuration de chaque match (lieu, date, enjeu sportif) reste donc prévalente, au-delà des réputations de chacun. Mais, surtout, réduire chaque pays à sa frange de supporters violents et oublier trop vite la masse festive serait une erreur. S’il faut prévoir le pire pour espérer le meilleur, il convient aussi de rappeler l’essentiel : dans deux jours, 24 pays vont s’affronter pour savoir qui est le plus fort balle au pied. Et la France va se retrouver au centre de l’Europe le temps d’un mois. Vite, le jeu !

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Par Eric Carpentier

* Le prénom a été changé par souci d'anonymat

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