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Le Mondial de l’Arabie saoudite raconté par Laurent Bonadei, adjoint d’Hervé Renard

Avec Maxime Brigand, à Doha
Le Mondial de l’Arabie saoudite raconté par Laurent Bonadei, adjoint d’Hervé Renard

Sélectionneur adjoint de l’Arabie saoudite aux côtés d’Hervé Renard, Laurent Bonadei a été propulsé au milieu de l’histoire au Qatar, lors de cette Coupe du monde. Il raconte de l’intérieur ce premier tour qui a vu les Faucons verts battre l’Argentine et frôler une qualification historique pour les huitièmes de finale.

Dimanche 20 novembre : « Si on veut être le poil à gratter… »

« Nous sommes arrivés à Doha dans la nuit de mercredi à jeudi après avoir disputé un dernier match de préparation face à la Croatie, à Riyad. Malgré le résultat final (0-1), je trouve que le contenu a été intéressant : on a tiré treize fois au but, on a touché une fois le poteau, on a su se créer beaucoup de situations et on n’a finalement craqué qu’à huit minutes de la fin. Ça nous a un peu frustrés, mais l’essentiel est que les joueurs montent en puissance. Depuis qu’on est au Qatar, on s’est entraîné tous les jours. Jeudi, ceux qui n’ont pas beaucoup joué contre la Croatie ont fait du travail de courses, et vendredi, on a réuni tout le groupe pour une séance collective. On a vraiment la chance d’avoir un groupe qui montre beaucoup d’envie, qui met du cœur à l’ouvrage, qui respecte toutes les consignes. Ça nous met dans le confort, car la préparation a été longue, très longue même, puisqu’on est ensemble depuis le 17 octobre.

On est à cinquante kilomètres de Doha. Notre hôtel, le Sealine Beach, a été complètement privatisé, avec des villas individuelles. Je sais que beaucoup de fédérations ont envié notre site et je comprends pourquoi.

Il y a eu trois phases. Une première, qui s’est étirée du 17 octobre au 10 novembre, à Abu Dhabi, où on a disputé cinq matchs amicaux (une victoire, quatre nuls). Une seconde, assez courte, à Riyad, avec deux jours et demi de repos et trois jours d’entraînement. Puis, une troisième de précompétition, qui a commencé en arrivant à Doha. Pour les joueurs, on sait que ça peut être long, mais ils ont bien travaillé tout au long de la préparation. À notre arrivée au Qatar, on a aussi eu deux rendez-vous : un où il a été présenté aux joueurs une application pour qu’ils puissent récupérer toutes leurs données statistiques après leurs matchs de la Coupe du monde et un avec un formateur des arbitres, qui nous a fait un grand récapitulatif des règles, des petites choses à éviter pour ne pas se faire sanctionner bêtement durant la compétition.

L’autre moment important a été la découverte des installations. Pour cette compétition, on a fait un choix clair : on voulait un site qui avait des terrains à l’intérieur, ne pas avoir besoin de prendre le bus pour aller s’entraîner. On ne voulait pas non plus être à Doha, où ça grouille de monde. L’idée était plutôt d’avoir un lieu calme, où les joueurs pourraient se reposer. Tout est là : on a deux terrains de très haut niveau qui sont situés à dix mètres à peine de la petite maison où je vis et à proximité de la plage. On est à cinquante kilomètres de Doha. Notre hôtel, le Sealine Beach, a été complètement privatisé, avec des villas individuelles. Je sais que beaucoup de fédérations ont envié notre site et je comprends pourquoi.

Notre tête est maintenant tournée vers un seul objectif : le match de l’Argentine, qui se jouera mardi. Il y a eu beaucoup d’engagement dans nos premières séances, celle de vendredi a d’ailleurs été assez exceptionnelle en matière de qualité. On ne s’enflamme pas, mais on sent que les joueurs ont passé un petit cap, qu’ils sont prêts à relever le défi de taille qui nous attend. Ils commencent aussi à ressentir les effets de la préparation. Comme je l’ai dit, elle a été très longue, mais rien n’a été laissé au hasard. La première décision a été prise en concertation avec la ligue. Le championnat d’Arabie saoudite a démarré fin août et il y a eu quatre journées organisées en quinze jours avant notre rassemblement de septembre. Sur ce rassemblement, on a relâché un peu la pression au niveau intensité. Puis, il y a de nouveau eu quatre journées de championnat organisées en quinze jours avant notre stage à Abu Dhabi.

Avant de partir, on a été reçus par le prince Mohammed ben Salmane. Il a eu des mots très chaleureux, nous a dit de faire de notre mieux et a enlevé tout stress d’objectif. On sait qu’on a aussi un gros soutien de notre ministre des Sports. On a quand même envie d’être ambitieux, de jouer notre va-tout. On a vu la Corée du Sud en 2002, on en a souvent parlé, et avant l’Argentine, on affine les derniers détails.

Tout a été pensé pour habituer les joueurs au rythme, et l’autre décision a été de programmer des matchs le 22 octobre, le 26 octobre et le 30 octobre, comme on allait jouer nos matchs de poules le 22 novembre, le 26 novembre et le 30 novembre. À ces matchs-là, on a ajouté deux matchs – le 6 novembre et le 10 novembre – pour maintenir la cadence. Démarrer la préparation assez tôt était pour limiter le risque de blessures tardives, faire en sorte que les têtes soient à 100% avec nous. On a vu en Europe ce qu’il s’est passé. Je trouve que ça a été une aberration de laisser les joueurs avec le stress de leur vie en club, des rencontres à très haute intensité, tous les trois jours… Quoi qu’on en dise, ils avaient la tête à la Coupe du monde, et quand on a peur de se blesser, généralement, la blessure arrive. Quand on sait que la période octobre-novembre est déjà critique pour les joueurs qui ont fait une prépa en juillet, je trouve ça très brutal. Nous, ça nous a permis d’avancer progressivement : le physique d’abord, puis la vitesse, puis une phase d’entretiens. On s’est aussi enfermés, puisque nos trois premiers matchs ont été joués à huis clos, sans caméra, histoire de ne donner aucune information à nos adversaires, notamment sur toutes nos phases arrêtées.

L’autre travail intéressant a été celui fait sur le corps des joueurs. Tout a été analysé grâce aux trackers GPS. On a surveillé la dépense calorifique des garçons après chaque séance, chaque match, et le nutritionniste a ajusté les assiettes des joueurs. Il faut savoir que c’est un vrai enjeu en Arabie saoudite, car le profil des joueurs varie en fonction de leur région. Une personne qui a toujours vécu à Djeddah avec un taux d’humidité élevé n’a, par exemple, pas la même absorption des matières qu’une personne qui a toujours vécu à Riyad, où il y a un taux d’humidité très faible. Une personne qui vit à Abha, à 2200m d’altitude, c’est encore autre chose. On surveille donc le poids des garçons, sachant que certains ont pris du muscle quand on a bossé la puissance lors du stage à Abu Dhabi.

Le dernier travail avant l’Argentine est sur les émotions. On sait que Lionel Messi dispute certainement sa dernière Coupe du monde, que la rencontre va être très suivie, mais on sait aussi que si on veut être le poil à gratter de ce tournoi, ça commence dès le premier match. Hervé insiste énormément sur la discipline, le team spirit, l’idée de famille. Avant de partir, on a été reçus par le prince Mohammed ben Salmane. Il a eu des mots très chaleureux, nous a dit de faire de notre mieux et a enlevé tout stress d’objectif. On sait qu’on a aussi un gros soutien de notre ministre des Sports. On a quand même envie d’être ambitieux, de jouer notre va-tout. On a vu la Corée du Sud en 2002, on en a souvent parlé, et avant l’Argentine, on affine les derniers détails. On ajuste notamment nos coups de pied arrêtés : sur les dernières Coupes du monde, 43% des buts ont été marqués sur ces phases de jeu. On termine aussi de régler notre bloc équipe. On a jusqu’ici été une équipe de possession, mais on se prépare à moins avoir le ballon. On est lucide, mais aussi conscient de notre potentiel. On veut donner une belle image du football saoudien. On a hâte d’en découdre. »


Vendredi 25 novembre : « Là, je repense à l’Euro 2000 et je profite »

Chaque nation ou chaque groupe a besoin d’une performance pour prendre confiance. La France a eu besoin de l’Euro 1984, de Prost, de Noah, de tout ça pour donner le sentiment aux Français et aux Françaises qu’ils pouvaient, eux aussi, gagner.

Avant le match contre l’Argentine, je trouve les joueurs très calmes, en contrôle. Ils le sont d’ailleurs depuis le début de la préparation. En revanche, dès que le match commence, je les vois trop gentils, trop bons garçons. À la mi-temps, je le dis d’ailleurs à notre attaquant, Saleh Al-Sheri. Je lui demande d’être un peu plus bad boy. Il a des entailles de partout, mais depuis le début de la rencontre, il ne fait que s’excuser après les coups d’épaule qu’il donne aux Argentins. On a encaissé un but après dix minutes de jeu, et je trouve qu’on respecte trop cet adversaire. Il y a un complexe d’infériorité qui s’explique. Chaque nation ou chaque groupe a besoin d’une performance pour prendre confiance. La France a eu besoin de l’Euro 1984, de Prost, de Noah, de tout ça pour donner le sentiment aux Français et aux Françaises qu’ils pouvaient, eux aussi, gagner.

La causerie d’avant-match d’Hervé a été excellente. Il a évoqué la famille, l’enjeu d’image par rapport au pays, la fierté… Il a aussi été très précis dans la présentation de notre plan de jeu, même si les résultats du Qatar et de l’Iran ont un peu crispé un groupe qui s’est aussi avancé avec le souvenir de 2018, où il y avait eu ce match d’ouverture face à la Russie (5-0). En 2002, l’Arabie saoudite a également perdu son premier match de façon assez brutale contre l’Allemagne (8-0). Sur le terrain, les joueurs ne font donc pas les malins et ils ont d’abord été un peu inhibés. Le plan de jeu a été de ne pas se jeter dans la gueule du loup. On n’oublie pas que c’est un premier match, que si on dépense une trop grosse énergie sur la première mi-temps, que l’on y ajoute l’adrénaline et le stress, les crampes peuvent vite arriver au milieu de la deuxième mi-temps. Il faut gérer émotionnellement, mais aussi athlétiquement les garçons. L’idée est alors de s’avancer avec un bloc médian, très compact, que l’on a travaillé tout au long de la préparation avec des jeux sur la largeur, sur la verticalité, un travail très précis de positionnement sans ballon pour nos différentes lignes. On ne veut surtout pas que l’Argentine nous pousse dans un bloc bas : rester dans notre premier tiers, avec les qualités de dribble et de frappe de Messi, Di María ou Lautaro Martinez, aurait été trop dangereux sur 90 minutes.

Tactiquement, pourtant, un avantage s’offre vite à nous, car l’Argentine a décidé de jouer avec Paredes et De Paul, Messi un cran devant, Lautaro Martinez devant et Di María sur le côté droit. Notre 4-5-1 avec trois milieux nous donne donc un avantage numérique. S’ils avaient mis un 4-3-3 avec Messi en faux 9 qui aurait fait office de quatrième milieu plutôt qu’un 4-4-2, on aurait été en infériorité numérique et en difficulté. Là, leur organisation se cale bien sur la nôtre. C’est ce que Hervé veut faire comprendre aux garçons à la mi-temps, et c’est l’objet de la raison de sa colère dans un speech mémorable. On a choisi de ne pas presser haut l’Argentine pour ne pas lui offrir la possibilité de nous transpercer trop facilement, mais en même temps, il ne faut pas laisser cette équipe dans un confort de jeu : elle a une telle habileté technique, une telle synchronisation dans les appels que si tu la laisses distribuer dans la profondeur… Notre première ligne doit empêcher cette relance et elle ne l’a pas fait sur la première période. Par chance et aussi grâce à l’excellence de notre ligne défensive, notamment Ali Al-Boleahi, qui a très bien communiqué, l’Argentine a été mise sept fois hors jeu sur les 45 premières minutes. Il faut ici souligner la compacité de notre bloc équipe, qui a été étiré sur 15-20 mètres là où, d’habitude, les blocs sont plutôt étirés sur 35 mètres. On a laissé peu d’espaces entre les lignes et, si on n’a pas joué le hors-jeu comme le Milan de Sacchi, notre bloc et la communication de notre ligne défensive nous ont permis de rester en vie.

D’un coup, les mots de la mi-temps sont matérialisés. Hervé a dit aux garçons : Vous ne sentez pas que c’est possible de revenir, que cette équipe joue tranquille ?! Quelque chose se passe.

C’est d’ailleurs ce que je dis à Hervé, qui est très remonté, quand on marche dans le tunnel à la pause : « C’est vrai que nos offensifs ne font pas le boulot, mais le bloc équipe est parfait. » 90% du plan était bon, il fallait simplement l’ajuster avec de l’agressivité. Et le but que l’on va marquer trois minutes après la mi-temps en est le symbole. Il part d’une perte de balle de Messi, qu’Abdulelah Al-Malki utilise pour jouer tout de suite une transition verticale vers Firas (Al-Buraikan) et Saleh (Al-Sheri). Les deux font un appel dans le même sens, le ballon revient sur Saleh qui finit l’action et c’est quelque chose sur laquelle on a beaucoup travaillé, parce que nos joueurs ont plutôt l’habitude de s’installer dans de la possession. La transition et la projection rapide à la récupération ne sont pas dans leur culture. C’est en partie lié aux conditions atmosphériques en Arabie saoudite où, avec la chaleur, les équipes ont pris l’habitude d’enchaîner les temps de possession. D’un coup, les mots de la mi-temps sont matérialisés. Hervé a dit aux garçons : « Vous ne sentez pas que c’est possible de revenir, que cette équipe joue tranquille ?! » Quelque chose se passe. Ça fait plus d’un mois que les joueurs ont 120 minutes dans les jambes et on se disait que l’Argentine sera peut-être moins bien physiquement au fil du match. On a une première réponse, et derrière, il y a cette frappe de Salem Al-Dawsari qui nous donne le 1-2.

Quand un match bascule, il y a deux phases. Une émotionnelle, où on sent des larmes monter, une joie, une fierté, sauf que le match n’est pas fini et que le plus dur commence. L’autre phase est celle des petits détails.

Ce deuxième but est un autre symbole parce qu’on encourage les joueurs à frapper au but. À Al-Hilal, Al-Nassr, Al-Ahli, ils sont tous tellement installés dans un jeu de possession qu’ils oublient parfois l’essentiel : pour marquer, il faut frapper. On sentait vraiment que quelque chose était possible, que ce match pouvait tourner. Hervé a transmis toute son énergie au groupe à la mi-temps, et là, la rencontre bascule. La courbe s’inverse, les joueurs prennent de l’assurance, montent en puissance, et les Argentins, eux, sont tendus, tétanisés. Quand je vois les visages de Messi, Di María et De Paul à la fin du match, je m’aperçois qu’ils ne comprennent pas ce qu’il vient de leur arriver. L’Argentine n’avait plus perdu depuis 36 matchs. Je me dis que cette défaite peut relancer son appétit et qu’on verra une toute autre Argentine contre le Mexique et la Pologne.

Quand un match bascule, il y a deux phases. Une émotionnelle, où on sent des larmes monter, une joie, une fierté, sauf que le match n’est pas fini et que le plus dur commence. L’autre phase est celle des petits détails : gagner du temps sur une possession haute dans un coin de corner, faire des changements les plus habiles possibles pour gagner en solidité, éviter de trop cumuler les cartons (on en a quand même pris six en deuxième période)… C’est du millimètre, car si on dit au joueur de faire attention, bien souvent, le carton arrive. Notre travail est alors juste de maintenir les gars en éveil pour que le match ne rebascule pas. Il n’a pas rebasculé.

Habituellement, je rentre assez vite au vestiaire, mais là, je repense à l’Euro 2000. Après leur victoire, les Français étaient restés sur le terrain pour profiter de l’instant présent. Je me suis dit qu’il fallait le faire, qu’on aurait le temps d’analyser, que le vestiaire pouvait attendre. J’ai voulu savourer l’instant présent avec les joueurs, les supporters, le staff… Sur le moment, on ressent de la fierté. Le discours tenu au début du stage le 17 octobre, tous les schémas dessinés, toutes les séances réalisées, tous les sacrifices faits par les joueurs : tout s’est passé comme prévu. On n’est pas des magiciens, ni des voyants, mais quand ça se passe comme ça, le crédit du coach est renforcé, tout comme celui du staff. Derrière, tu peux enchaîner les séances sereinement. D’ailleurs, le soir du match, on s’est entraîné pendant une heure avec les remplaçants : ils ont couru six kilomètres, on a fait des jeux… Rien n’a changé, on a gardé la tête froide. Hervé a, comme toujours, gardé son humilité. Il nous donne beaucoup de confiance, nous laisse nous exprimer, partage constamment les choses, et j’estime que c’est la force d’un grand entraîneur. Un grand entraîneur doublé d’un grand homme. J’ai connu Carlo Ancelotti au PSG, Hervé m’y fait penser dans le rapport humain.

Hervé est un grand entraîneur doublé d’un grand homme. J’ai connu Carlo Ancelotti au PSG, il m’y fait penser dans le rapport humain.

L’autre bonheur est pour la confédération asiatique, qui n’est pas vraiment suivie en Europe. Quand on s’est qualifiés pour la Coupe du monde avec un nombre historique de points devant le Japon et l’Australie, on a eu le sentiment de ne pas être regardés. Quand on a regardé Allemagne-Japon, j’ai repensé à notre match et je me suis dit qu’on avait peut-être donné de la confiance aux Japonais, qu’on respecte beaucoup. On a aussi renforcé la place de l’Arabie saoudite dans la région. Jusqu’à il y a encore quelques mois, on parlait d’un Big Four – Japon, Australie, Corée du Sud et Iran -, mais un Big Five est bien né.

Maintenant, le plus dur commence, car dans notre bonheur, on a aussi perdu deux de nos meilleurs joueurs : Yasser Al-Shahrani, qui a été percuté par notre gardien et souffre d’une fracture de la mâchoire, d’une commotion cérébrale, d’une hémorragie interne, et qui va être opéré du pancréas, et notre capitaine, Salman Al-Faraj, sorti sur blessure à la pause. Malgré ce coup dur, on maintient notre philosophie et dès le lendemain de l’Argentine, on a enchaîné : séance de récupération – bain glacé, vélo, massages, étirements, alimentation avec boisson énergétique – avec tout le monde. On surveille aussi notre gardien, très touché par ce qui est arrivé à Yasser. Il en a pleuré.

On se prépare à un tout autre match contre la Pologne, qui est une équipe caméléon, capable de jouer cinq systèmes différents. On a une opportunité historique : se qualifier après deux matchs. Ce serait exceptionnel, alors que certains viennent de disputer leur premier match de Coupe du monde. Il ne faut pas s’enflammer, laisser le groupe avancer, et avoir conscience que l’effet de surprise n’est plus là. En plus, la Pologne risque gros. Nos joueurs ont eu une préparation physique qui doit leur permettre d’aller au bout d’eux-mêmes pour faire plier nos adversaires et sont capables d’avoir un autre visage tactique que contre l’Argentine. Ça va être intéressant.

On ne se plaint pas. Parfois, les marins partent trois mois en mer et ne voient pas leur famille. C’était le bon moment, on l’avait décidé avant le stage. Maintenant, place à la Pologne.

Pour la séance avant ce deuxième match, on a quand même invité les familles et quelques amis. Ils sont tous arrivés vers 15h30, ont dîné avec nous… J’ai fait venir Richard Déziré et Jérôme Arpinon, deux amis entraîneurs avec qui je voulais partager ce moment de bonheur dans une période où ils sont sans club. D’autres proches sont venus : un cousin, mon ancien coéquipier Frédéric Cadiou, ma femme, mes trois filles… Je n’ai pu les voir que deux jours depuis le 17 octobre, ça m’a fait du bien et ça a été une occasion de leur faire partager ce moment d’intense émotion. On ne se plaint pas. Parfois, les marins partent trois mois en mer et ne voient pas leur famille. C’était le bon moment, on l’avait décidé avant le stage. Maintenant, place à la Pologne.


Mardi 29 novembre : « On a montré un football qui nous ressemble plus, mais… »

Il est 9h, le soleil est déjà levé bien haut, mais on doit digérer cette défaite face à la Pologne (0-2). On s’attendait à un match complètement différent, même si on connaissait très bien cet adversaire. Avec Hervé, on était allé les superviser aux Pays-Bas et contre la Belgique. Les autres membres du staff avaient suivi les autres matchs, tout avait été étudié, et on savait que cette équipe est très athlétique, qu’elle a du vice, de l’expérience, qu’elle aime bien attendre, jouer long sur Lewandowski en pivot pour des joueurs qui se projettent vite vers l’avant… Notre projet a été très simple : essayer de marquer un but et obtenir la qualification. Sur le début de match, je crois qu’on a montré nos valeurs, et un football qu’on n’avait pas montré contre l’Argentine, mais un football qui nous ressemble plus. Le problème est qu’on n’a pas réussi à concrétiser nos occasions.

Il y a, selon moi, aussi eu un fait de jeu important, qui m’a d’ailleurs valu un carton jaune parce que je me suis agacé sur le banc, où on a des iPad pour revoir les actions. Entre la 15e et la 20e minute, la Pologne a pris trois jaunes mérités, mais derrière, on a surtout vu Cash agresser – un coup de coude en plein visage – notre latéral gauche, Mohammed Al-Burayk. Il doit prendre un rouge et se faire expulser. À ce moment du match, si la Pologne est à dix, je pense que l’histoire n’est pas la même. On a bien démarré cette rencontre, on a eu la possession du ballon, et je pense ça aurait pu les mettre en difficulté pour nous manœuvrer en contre. Ils auraient peut-être davantage été dans une logique de match nul que de victoire. Cependant, on prend un but largement évitable avant la pause : on n’est pas attentifs sur un six-mètres, on se fait bouger dans le duel, et en deux passes, les Polonais se retrouvent dans nos 18 mètres. Le deuxième but nous a aussi fait mal, car il est arrivé à la 82e et nous a laissé peu d’espoirs de revenir.

Si notre match a d’abord été bon, c’est parce qu’on a réussi à jouer avec la structure sans ballon de la Pologne. Le but a été de les attirer pour pouvoir, via Al-Malki, toucher nos côtés, et on l’a très bien fait. Malheureusement, on n’a pas été assez précis sur nos centres. On en a fait 20, je crois qu’on est rentrés 34 fois dans la surface adverse, mais on a manqué de justesse dans le dernier geste. Il y a aussi eu ce penalty manqué, qui aurait, selon nous, dû être retiré. Avant la compétition, on a eu un briefing avec les arbitres qui nous ont expliqué que le pied pouvait être en l’air au-dessus de la ligne, mais en aucun cas avant la ligne. Là, Szczęsny a les deux pieds en avant et ça doit être revu à la VAR. Comme le coup de coude, d’ailleurs… Mais on ne veut pas s’apitoyer sur notre sort. On aurait dû être plus justes : on a eu deux belles occasions en deuxième mi-temps pour revenir au score, on a laissé passer notre chance, et face à une équipe qui a Lewandowski, vous ne pouvez pas laisser passer votre chance, sinon, vous êtes punis.

Le sentiment après ce match est étrange. Le groupe est à la fois frustré et content parce qu’on a de nouveau montré qu’on pouvait rivaliser avec des équipes qui sont dans les 25 meilleures au classement FIFA, ce qui prouve la progression du groupe, la capacité des joueurs à élever leur niveau, mais on a aussi laissé filer une balle de match.

Les sorties de balle sont un point intéressant, car c’est quelque chose que l’on travaille depuis trois ans et demi. On a des circuits préférentiels, avec des mouvements travaillés sur les côtés à trois, quelques automatismes quand on fait circuler le ballon de gauche à droite ou de droite à gauche, on a créé des systèmes qui nous permettent de créer des décalages et de se projeter pour être dans la surface. On a été assez performants dans ce domaine-là parce que les Polonais sont parfois attentistes, mais peuvent aussi venir te presser assez vite, avec un fort impact. Dans ces situations, il faut être précis techniquement, et on l’a été. C’est vraiment dans les 25 derniers mètres que l’on a péché et où on a un peu manqué de lucidité. On a empilé les centres, mais on ne pouvait pas vraiment lutter dans le domaine aérien avec eux, mis à part si Mohamed (Kanno) se retrouvait dans la zone de finition. On aurait peut-être dû un peu plus jouer dans les intervalles, davantage miser sur des projections, des combinaisons dans les interlignes, sur des passes courtes ou du dribble.

Le sentiment après ce match est étrange. Le groupe est à la fois frustré et content parce qu’on a de nouveau montré qu’on pouvait rivaliser avec des équipes qui sont dans les 25 meilleures au classement FIFA, ce qui prouve la progression du groupe, la capacité des joueurs à élever leur niveau, mais on a aussi laissé filer une balle de match. Il ne nous en reste qu’une face au Mexique. On va la jouer sans complexe, sur nos valeurs, face à un adversaire de qualité qui, si le Portugal n’avait pas passé les barrages, aurait été dans le chapeau 1.

Je pense que sur le match de la Pologne, les joueurs ont aussi appris des choses. On a parfois été naïfs, comme lorsque Abdulelah Al-Malki reçoit un carton jaune après l’action du coup de coude de Cash. On voit les images, il est en colère, mais à cause de ce carton, il ne va pas pouvoir jouer contre le Mexique. On a aussi dit à Salem (Al-Dawsari) de prendre exemple sur Lewandowski : un attaquant peut rater un penalty un jour et marquer au match d’après. Chaque grand joueur a raté un penalty un jour. C’est le lot des grands joueurs de parfois se retrouver face à l’échec et aux doutes alors qu’ils sont à 99% de réussite dans leur carrière. C’est des remises en question, et on sait que Salem va se relever. On sait aussi qu’Abdulelah (Al-Malki) va se relever après son erreur qui amène le deuxième but.

Il a fait un super match, c’est un pion essentiel de notre organisation, on l’aime beaucoup. Il faut savoir qu’il s’est rompu les ligaments croisés en février, au Japon, qu’il a beaucoup travaillé pour être présent à cette Coupe du monde. Vu son niveau, on peut imaginer l’engagement mis dans sa récupération. Là, sa déception est double : il y a la suspension, l’erreur… Il s’est excusé, c’est un joueur de devoir, qui ne lâche jamais rien, et il va vraiment nous manquer face au Mexique. C’est quand même une perte de plus, et ça fait beaucoup. Malgré tout, on répète depuis le premier jour qu’on a construit un groupe et on le voit avancer. Tout est encore possible. Ça va être un combat : le Mexique est dans l’obligation de gagner, même peut-être avec un score large pour avoir son destin en mains. Il est possible qu’ils viennent nous presser, nous agresser rapidement pour essayer de faire la différence. Il va falloir reproduire le même genre de match que contre l’Argentine. On croit aux huitièmes de finale.


Samedi 3 décembre : « Ça s’est arrêté et c’est brutal »

On a préparé le Mexique comme nos deux matchs précédents et comme la plupart des matchs que l’on a dirigés depuis qu’on a la charge de cette équipe. La séance de la veille a été assez courte pour garder de la fraîcheur. Nos joueurs ont souffert des impacts physiques subis lors des deux premières rencontres, mais ils sont arrivés très concentrés. On a cherché à retrouver le bloc qui a été si précieux contre l’Argentine pour faire front et saisir les opportunités d’attaques rapides.

Maintenant, il faut accepter le fait que le Mexique a fait une entame de match extraordinaire et pas que. Ils ont été pied au plancher pendant 85 minutes. On a seulement réussi à respirer sur la fin, où on leur a mis ce but qui les a un petit peu assommés. Ils ont vraiment fait le match parfait.

Maintenant, il faut accepter le fait que le Mexique a fait une entame de match extraordinaire et pas que. Ils ont été pied au plancher pendant 85 minutes. On a seulement réussi à respirer sur la fin, où on leur a mis ce but qui les a un petit peu assommés. Ils ont vraiment fait le match parfait. On a eu beaucoup de mal à contenir les vagues. La rapidité, la puissance, les appuis, la technique, l’organisation tactique… Ça a été très impressionnant, et les joueurs ont dû faire le dos rond. Il y a eu 0-0 à la mi-temps, mais c’était inespéré au vu des occasions. En deuxième période, on a changé quelque chose pour empêcher les vagues de venir : on était toujours un de moins dans les zones clés, on subissait, Ochoa venait aussi créer du surnombre… On a également peiné à gérer leurs appels dans la profondeur. Le staff mexicain a bien étudié notre bloc de l’Argentine et, même si on a baissé ce bloc d’un cran, ils nous ont quand même attaqué à la vitesse et à l’enthousiasme. En plus, on a encore perdu un joueur – Ali Al-Boleahi – en première période. On a pu aussi sentir que c’était le troisième match, que ça devenait plus dur de répéter les efforts… On espérait tenir longtemps, mais il aurait fallu être à 0-0 à la 80e pour voir s’ouvrir des brèches. On aura réussi à sauver l’honneur, et ça nous a fait plaisir. Les joueurs n’ont jamais rien abandonné dans cette Coupe du monde.

Malheureusement, on a pris deux buts sur coup de pied arrêtés. Ça m’a rappelé le scénario de l’Argentine, sauf que cette fois, tout s’est emballé contre nous. Sur le banc, tu es là, tu souffres avec les joueurs, tu les vois faire tout ce qu’ils peuvent avec leurs moyens, tu les encourages, mais à 0-2, tu imagines un bateau qui est en train de couler, avec des fuites de partout, et on essaie de colmater du mieux possible. Je tire un grand coup de chapeau parce que même à 0-2, ils se sont arrachés. Le souci a été physique, mais aussi tactique parce que pour contourner le pressing mexicain, notre idée était d’engendrer des un-contre-un sur les côtés, mais leur animation les a constamment laissés en supériorité numérique. On a décidé de faire entrer Abdullah Madu à la mi-temps pour passer à trois derrière et contenir leurs trois attaquants, mais aussi avoir trois joueurs calés sur les deux centraux et leur sentinelle. On voulait qu’ils soient moins à l’aise, en stress, dans les premières relances, mais la marche a simplement été trop haute. À un moment donné, tout s’explique aussi : tu tombes contre plus fort.

J’ai un peu suivi le résultat du match Argentine-Pologne en deuxième période et quand il y a eu 1-0 pour l’Argentine, j’ai compris qu’un deuxième but argentin allait donner encore plus d’enthousiasme à un Mexique qui n’en avait déjà pas besoin parce qu’avec trois buts d’écart, les Mexicains pouvaient se qualifier. Ça n’est finalement pas arrivé, mais ce qu’on retient, quand même, c’est que l’écart a été réduit. Il n’y a plus de matchs faciles pour les favoris. Dans le football moderne, tous les matchs sont difficiles, accrochés, encore plus dans une Coupe du monde, et on l’a vu au premier tour de ce Mondial.

On n’accepte jamais la défaite, mais il faut apprécier ce qu’on a fait. On dit souvent que soit on gagne, soit on apprend. Là, on a appris et on a gagné : on est passés par toutes les émotions dans ce Mondial, et c’est prometteur. On est sur un travail de fond, ça nous servira.

À la fin, ça a surtout été des mots de réconfort pour les joueurs. On est heureux : ils ont progressé, ont su élever leur niveau de jeu, ont accepté de nous suivre… En juin, on a joué la Colombie et le Venezuela, et on s’est fait bouger de partout. En septembre, on a fait deux fois 0-0 contre l’Équateur et les États-Unis. Là, ils ont battu l’Argentine et regardé la Pologne dans les yeux. On ne va pas refaire l’histoire, mais avec d’autres décisions, peut-être qu’on réussit à se qualifier après deux matchs, qu’on fait tourner sur le troisième… On a surtout donné une belle image du football saoudien. Il y a un potentiel dans ce pays, et on va continuer notre mission, profiter des fêtes de Noël en famille, récupérer. En janvier, il y a une Coupe du Golfe en Irak. Normalement, on va laisser nos U23 la disputer. Ils ont un beau challenge à relever : se qualifier pour les Jeux olympiques de 2024. On va faire une équipe mixte avec quelques joueurs du Mondial. On avait déjà fait ça à l’Arab Cup 2021 pour permettre à nos jeunes d’acquérir de l’expérience et venir ainsi renforcer dans les mois et les années à venir l’équipe A.

Ce soir, je suis devant ma télé. J’ai regardé la première mi-temps du Brésil contre le Cameroun et la deuxième de Serbie-Suisse. Il y a deux jours, on était au stade de Lusail. C’est brutal, quand même, mais c’est le football. On n’accepte jamais la défaite, mais il faut apprécier ce qu’on a fait. On dit souvent que soit on gagne, soit on apprend. Là, on a appris et on a gagné : on est passés par toutes les émotions dans ce Mondial et c’est prometteur. On est sur un travail de fond, ça nous servira. En juin, nos U23 ont remporté la Coupe d’Asie de leur catégorie, Nasser Larguet est arrivé il y a peu avec une dizaine de collaborateurs qui vont développer les sélections de jeunes, mais aussi le football dans les régions du pays. Ce n’est que le début.

Cette Coupe du monde a été un concentré de prise d’informations du haut niveau qui va me faire grandir. Ça me conforte aussi dans ma décision d’être venu auprès d’Hervé dans cette aventure après seize années passées à la formation. Maintenant, je suis le premier supporter de l’équipe de France, notamment de Kingsley, d’Adrien, d’Alphonse… Je pense aussi à Christopher (Nkunku), à Presnel (Kimpembe) et à Mike (Maignan). Je suis heureux de les voir à ce niveau. Il y a dix ans, on gagnait l’Al-Kass Cup, à Doha, on se disait qu’on se donnait rendez-vous en 2022. On a été ensemble au Qatar, j’aurais aimé vivre ce huitième de finale contre et avec eux, ça aurait fait une belle photo souvenir, mais on se reverra, parce qu’on ne va rien lâcher.

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José Mourinho en Arabie saoudite ? « Il ne faut jamais dire jamais »
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Avec Maxime Brigand, à Doha

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