Blokhine et Sheva, une histoire de Ballons d'or ukrainiens
L'histoire aurait pu être celle d'un passage de relais magnifique. Aux manettes, Oleg Blokhine, légendaire attaquant du Dynamo Kiev, Ballon d'or 75 qui n'a jamais pu mouiller un maillot ukrainien de sa vie pour cause d'URSS. Alors quinze ans après la démission de Gorbatchev et la naissance officielle du pays jaune et bleu, c'est en tant qu'entraîneur que Blokhine allait faire rêver ses compatriotes. Sous sa houlette, Andreï Shevchenko qui, à l'été 2006, a passé sept saisons à crever les plafonds à l'AC Milan, en y devenant le deuxième meilleur marqueur de l'histoire du club. Mais son aventure italienne a touché à sa fin, et Sheva sait déjà qu'il jouera à Chelsea à la rentrée au moment où il atterrit en Allemagne pour le Mondial. Il entre dans les dernières années de sa carrière ? Peu importe, Abramovitch a agité son chéquier et aligné 45 millions d'euros sans sourciller. Après tout, son jouet ukrainien vient de terminer une saison à 19 buts en Serie A, et surtout à 9 pions en Ligue des champions, avec un quadruplé de gala face au Fenerbahçe. Du très costaud, et avec Voronin et Vorobey à ses côtés, rien ne semble pouvoir empêcher Sheva de saccager quelques défenses à la Coupe du monde. Rien, sauf le plus vilain des scénarios. Dimanche 7 mai 2006, avant-dernière journée de Serie A face à Parme, Andreï abîme son genou et gagne le gros lot, une course contre la montre. 25 jours sans toucher un ballon, avant que Blokhine annonce avant le Mondial que rien n'est joué : « Je ne peux rien dire. J'attends de voir comment la situation va évoluer. S'il peut jouer, on mettra un système de jeu autour de lui, sinon on trouvera une autre stratégie. »
Les ouvriers
Mais Shevchenko est têtu, et débarque quand même en Suisse pour le stage de préparation comme si de rien n'était, et se montre moins prudent que son coach. « Pour l'instant, je ne suis pas prêt, mais il me reste deux semaines, et je serai au rendez-vous au Mondial. Notre équipe est jeune et peut provoquer une surprise. » Le destin donnera raison à la deuxième partie de sa phrase. Pour son rencard avec l'histoire, en revanche... Andreï est certes bien présent et assume le brassard de capitaine sur les pelouses allemandes. Après une rouste 4-0 face à l'Espagne en guise d'introduction, les Ukrainiens se dévergondent face à l'Arabie saoudite, et Shevchenko marque son premier but. Il lui faudra une chute exagérée dans la surface contre la Tunisie et un penalty pour envoyer les siens en huitièmes de finale, sans gloire et à la rame.
La suite est du même tonneau, et le huitième face à la Suisse est une horreur (0-0) conclue aux tirs au but. Comme en finale de C1 en 2005, Shevchenko rate le sien, et l'Ukraine n'a le droit de voir la suite du film que grâce à la performance surhumaine de son gardien, Shovkovskiy, transformé en gilet pare-balles ce soir-là. Le quart face à l'Italie, autre équipe en délicatesse avec la grâce depuis le début du Mondial, promet, et Blokhine doit se justifier du football d'ouvriers qu'il propose : « Qu'est-ce que ça veut dire, jouer prudemment ? L'essentiel, c'est que l'équipe obtienne un résultat. » Alessandro Nesta, coéquipier de Shevchenko à Milan, en fait la menace numéro 1 - « Il y a peu de joueurs comme lui dans le monde » –, mais l'air du Volksparkstadion d'Hambourg réussit mal à l'attaquant, qui prend le bouillon avec les siens (3-0). Curieuse impression que celle laissée par l'Ukraine cette année-là, entrée dans le top 8 mondial aux forceps après avoir retenu son souffle autour d'un attaquant dont elle attendait la lune. Habitué à marcher sur l'eau, Shevchenko aura commencé à boire la tasse au Mondial allemand. La suite à Chelsea achèvera d'en faire un bébé-nageur.
Par Alexandre Doskov
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