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Le jour où Lille a connu la première embrouille autour de la vidéo

Par Eric Carpentier
6 minutes
Le jour où Lille a connu la première embrouille autour de la vidéo

Les Monégasques de France n'ont pas franchement profité de la vidéo contre l'Espagne. Les Lillois, eux, auraient un penalty annulé à leur box-office. Sauf que c'était en 2002, en Ligue 1, que c'était interdit et que personne n'est vraiment d'accord sur la réalité des faits.

Mardi 28 mars 2017, 21h47, Stade de France : Antoine Griezmann peut courir au poteau de corner, il vient d’envoyer la gonfle au fond des filets espagnols. Mbappé le rejoint pendant que, sur le banc, Mendy, Bakayoko et Lemar ont la banane. Oui, mais non. Après que le speaker du stade a appelé à scander le nom du buteur, les Monégasques et leurs poteaux bleus font l’ascenseur émotionnel : le VAR, pour Video Assistant Referee, a indiqué à M. Zwayer que Kurzawa était hors jeu au moment de sa passe décisive. L’arbitrage vidéo vient de faire une entrée fracassante en France, lors d’un match de gala.

Une première, vraiment ? Pas si sûr. Car ce mardi soir, les insolents monégasques vont rencontrer un club qui, selon la rumeur, aurait déjà bénéficié de l’arbitrage vidéo. C’était il y a près de quinze ans, le samedi 21 septembre 2002 à 21h55 précisément. Alors que Lille mène 1-0 face à Guingamp, l’arbitre de champ annule un penalty accordé à l’En Avant sur les conseils de son assistant. Les Bretons hurlent à la vidéo, s’indignent, déposent une réserve technique. L’assistant jure ne s’être servi que de ses yeux. Alors, mythe ou réalité ? Retour sur une histoire d’un autre temps, d’une époque où l’on ne se demandait pas comment l’arbitre remplaçant peut rester le quatrième arbitre alors qu’ils sont désormais cinq à s’occuper du terrain.

Frappe de Le Roux… main de N’Diaye ?

Rewind. Guingamp, troisième du championnat après huit journées, est en pleine confiance au moment d’aller rendre visite à un LOSC moribond du fond de sa 19e place. Alors, quand Hector Tapia ouvre la marque au retour des vestiaires, les coéquipiers du capitaine Coco Michel font le forcing pour revenir. À la retombée d’un corner repoussé des poings par Malicki, Christophe Le Roux arme une jolie reprise de volée, mais voit sa tentative repoussée par Sylvain N’Diaye, resté sur sa ligne et qui peut dégager. Sauf que le sifflet de M. Auriac retentit, une main indiquant le point de penalty, l’autre brandissant un carton rouge. D’Amico conteste, N’Diaye montre sa cuisse, rien n’y fait : l’arbitre reste inflexible. Jusqu’à l’intervention, quelques secondes plus tard, de son arbitre assistant le plus éloigné, Mme Viennot.

Quinze ans plus tard, elle n’a rien oublié, ou presque : « Je suis à la ligne médiane, mais je n’ai aucun joueur devant moi » , resitue Nelly Viennot. « L’action se passant sur le but adverse, je regarde un éventuel dégagement et une contre-attaque, c’est important d’observer en amont. Sur le moment, c’est très clair pour moi, monsieur Balmont (en fait N’Diaye, ndlr) touche de la cuisse. Je ne sais pas où sont ses mains, je sais seulement qu’il touche le ballon de la cuisse. Droite, si je me souviens bien. » Correct. Elle appelle Thierry Auriac, qui complète : « Je n’étais pas trop bien placé. Mon arbitre assistant côté corner me dit : « C’est de la main. » Donc moi je siffle. À ce moment, Nelly Viennot m’appelle, elle me dit qu’avec Pierre Tavelet, le quatrième arbitre, ils sont sûrs d’avoir vu la cuisse. Alors je change la décision. Et bien sûr, les joueurs de Guingamp se sentant lésés, disent qu’ils vont déposer une réserve technique, tout le protocole quoi. » Voilà pour la reconstitution des faits par les juges.

« C’était une vidéo sans la vidéo ! »

Côté guingampais, l’entraîneur d’alors, Bertrand Marchand, n’est pas exactement de cet avis : « Le juge central va voir son arbitre de touche et revient sur sa décision. C’était une vidéo sans la vidéo ! Nelly Viennot, pour nous, avait fait un excès de zèle. Même Lille n’avait pas protesté. » Ce qui interpelle, c’est l’annulation d’une décision déjà signifiée. Sur ce point, les trois protagonistes s’accordent : ce sera la seule fois de leur carrière qu’un assistant aura fait déjuger l’arbitre central, car, selon Marchand, « à cette époque, on disait souvent que l’arbitre n’avait pas le droit de revenir sur sa décision » . Or, qui dit situation exceptionnelle, dit doute. La réserve technique est déposée.

Plus grave, pour Nelly Viennot, le commentaire du résumé du match dans le Téléfoot du lendemain : « L’arbitre assistant madame Viennot appelle monsieur Auriac après un petit coup d’œil à la vidéo et lui affirme qu’il n’y avait pas main. Monsieur Auriac annule le carton rouge et le penalty. » La première femme à avoir arbitré au plus haut niveau national l’a encore en travers de la gorge : « Ça m’a mis… J’étais… Je vois ça, j’étais furieuse quoi, parce que c’était faux ! C’est pour ça que dans le journal L’Équipele lendemain, il y a eu un démenti expliquant que j’étais sûr à 300% de ce que j’avais vu. » Pas sur un écran, faut-il le préciser.

Lille, c’est pas la Ligue des champions

Les Guingampais, eux, arguent que l’arbitre assistant aurait entendu le consultant télé indiquer l’erreur après avoir vu le ralenti. À cette hypothèse, M. Auriac botte en touche : « C’est sûr qu’il y a des commentateurs qui ont accès à la vidéo. Est-ce qu’eux sont intervenus auprès de Pierre Tavelet ou Nelly Viennot, ça je ne sais pas, c’est trop lointain. » Nelly Viennot, elle, est catégorique : « Ils disaient que j’avais regardé la vidéo, mais à l’époque, il n’y avait pas de vidéo sur le terrain, ça n’existait qu’en Ligue des champions ! » Après le match, Nelly Viennot aura « une note très élevée ! Mais on n’a pas le droit de révéler nos notes. (rires) » Quant à la réclamation de l’En Avant, elle sera retirée avant que la commission ne se réunisse. Et quand bien même, explique Marchand : « Ça fait 45 ans que je suis dans le football, je n’ai pas encore vu une réclamation contre un arbitre changer la face du match. C’est toujours classé sans suite, parce que sinon on n’en finirait plus, il y en aurait tous les week-ends. » M. Auriac, lui, préfère retenir une chose : « Finalement, avec la vidéo, tout cela aurait été réglé en quelques secondes. Alors que là, le match a été interrompu pendant cinq minutes. Oui, la vidéo est un progrès, c’est indéniable. »

Et le match, dans tout ça ? Guingamp égalisera par Wagneau Eloi, formé à Lens, avant que Lille l’emporte par Mile Sterjovski sur un but que les Bretons diront entaché d’un hors-jeu. Ce qui fait sourire la star de la soirée : « Oui, mais toutes les décisions que je prenais après celle du penalty étaient mauvaises pour Guingamp ! » Quelques mois plus tard, l’histoire retrouvera la place qui est la sienne, celle d’anecdote. Car Guingamp terminera septième du championnat, un classement encore et toujours historique pour les pensionnaires du Roudourou. Avec ou sans vidéo.

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Par Eric Carpentier

Merci au blog Drogue, Bière et Complot contre le LOSC d'avoir exhumé cette soirée de ses archives inestimables.

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