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Le jour où Alex Ferguson a failli se faire virer…

Par Victor Le Grand, à Manchester
6 minutes
Le jour où Alex Ferguson a failli se faire virer…

Fin des années 1980, Alex Ferguson n’est pas encore assis confortablement sur le banc de Manchester United. Comme il le dit lui-même : « C’est la période la plus sombre de ma vie ». Avec une série de huit matchs sans victoire et une zone de relégation en forme d'épouvantail, la saison 1989-1990 est un véritable désastre. Ce match de coupe d’Angleterre du 7 janvier, contre Nottingham Forest, prendrait même l’allure d’un ultimatum lancé par ses dirigeants. Une défaite ? C’est la porte. Visiblement, personne n’en n’a jamais trouvé la clé… Souvenir.

« En fin de compte, ce n’était pas un si bon match que ça » . Au micro de BBC Sport, l’attaquant Mark Robins est d’un flegme étonnant. C’est pourtant lui, d’une tête rageuse, qui vient de donner la qualification à Manchester United contre Nottingham Forest, au troisième tour de FA Cup. « Ce n’était pas un moment particulièrement mémorable pour moi, ni pour l’équipe. Mais c’est évident qu’il est resté longtemps dans la mémoire des gens » . Pour sûr, ce 7 janvier 1990, une pression folle pèse sur les épaules des Red Devils et de leur manager écossais Alex Ferguson, 49 ans, zéro victoire depuis la mi-novembre. Pour le journaliste du Daily Express, John Bean, cette rencontre marque à coup sûr « le baroud d’honneur » de l’entraîneur mancunien. « Le résultat en coupe de United contre Nottingham Forrest est absolument crucial… Et il le sait » . Le match se joue à l’extérieur, sur le terrain hostile du City Ground. Mais à la maison, une banderole est restée accrochée sur les hauteurs de la Stretford End, la tribune côté ouest d’Old Trafford : « Trois ans d’excuses et c’est toujours la merde, Fergie » . Sur le pré, la tension est palpable. La qualité du jeu est pour le moins médiocre, presque dangereuse pour l’intégrité physique des spectateurs. « Ce match fait mal à l’œil nu. Il faut regarder le match à la télévision » , note David Lacey, cité par ESPN et plume du Guardian, présent en tribunes. Pourtant dès la reprise, d’un centre diabolique de l’extérieur du pied droit, Mark Hughes délivre un caviar pour la tête gagnante de Mark Robins, tout juste 20 ans. Score final dans la douleur : 1-0 pour Manchester. Merci Robins ? « Sir Alex a écrit un livre et, dedans, il s’est posé une question : ‘Est-ce que ce but a sauvé ma peau à la tête de Manchester ?, poursuit Mark sans amertume. Moi j’ai la réponse. Ainsi ai-je sauvé son emploi ? Oui. M’a-t-il déjà remercié pour cela ? Non, jamais » .

Far West, bières et noms de famille

Depuis son arrivée à Manchester en 1986, Alex Ferguson tente de refondre tous les aspects de la vie du club. Du centre de formation, surtout, aux méthodes d’entrainement, en passant par la culture alcoolique de certains de ces jeunes joueurs. De la bière, exclusivement. « J’ai eu du mal à me faire au changement rapide entre la liberté que nous donnait Ron Atkinson et l’approche moins ‘libérale’ de Sir Alex, explique Norman Whiteside, l’un des beaux de biberons de l’effectif, dans son autobiographie Determined : The Autobiography. Peu de temps après son arrivée, alors que Fergie était allé faire des courses un après-midi lors d’un voyage du club à Bahreïn, toute l’équipe s’est enfilée quelques bières. Nos chansons et nos plaisanteries ont fait tellement de bruit qu’il a fait irruption dans le bar, claquant la porte comme dans un saloon du Far West, serrant toujours son sac à provisions. Il m’a ordonné de partir. Je me suis immédiatement excusé et dit : ‘Allez patron, prenons un taxi et rentrons à l’hôtel’. Il s’est écrié : ‘Un taxi ? Tu te fous de ma gueule, tu vas marcher petit con’. J’ai marché. Mais ça faisait quand même 7 kilomètres ! » Au début de la saison 1989-1990, Ferguson met fin aux beuveries en éjectant Whiteside et son compère des « Booze Brothers United » (surnom donné par la presse à ce duo infernal en hommage au Booze Brothers, un groupe de punk irlandais, ndlr) Paul McGrath. Au total, Alex vend seize joueurs, achète 18 nouvelles têtes et conserve seulement Bryan Robson et Mike Duxbury dans son équipe-type. Malgré tout, sur le terrain, cette nouvelle mixture ne prend guère. La période de Noël sent bon le sapin et la zone de relégation : quatre défaites et un nul en cinq matchs, un affligeant 9-0 encaissé contre Liverpool ; un titre attendu depuis 23 ans qui s’éloigne définitivement puis une méthode Ferguson « acharnée, méthodique et terne » , lit-on sur le site d’ESPN, qui ne séduit guère les fans.

Un limogeage ? Les meilleurs managers du pays se tiennent prêts, car un ultimatum serait fixé pour le match de coupe contre Nottingham Forest. « Le match à Forest était un objectif important, ne vous méprenez pas, je ne pense pas que cette victoire ait sauvé mon emploi. Qui peut dire ce qui serait arrivé sans elle, hein ? On ne sait jamais dans le football, contre-attaque Ferguson quelques années plus tard. Une chose est sûre, cependant. Bobby Charlton n’aurait rien laissé (le changement de manager) faire. Il connaît mieux que quiconque le pouls de ce club de football, qui avait besoin de la jeunesse pour faire du bon travail » . En effet, avec Mark Robins, Deiniol Graham, Russell Beardsmore ou Lee Martin, une nouvelle génération de jeunes joueurs formés au club pointe le bout de son museau. On les appelle les « Fledglings’s Fergie » . Première génération. « Il avait toujours du temps pour nous les jeunes, et Dieu sait qu’il était très occupé, se souvient Mark Robins. Je suis arrivé au club à 16 ans, et je me suis tout de suite senti accepté. Vous le croisiez, vous le regardiez, vous aviez tout de suite compris. Puis je me demande encore aujourd’hui comment il a réussi à apprendre tous nos noms par cœur ? » Aligner autant de jeunes pouces dans un match aussi capital, quand votre survie est en jeu, qui plus est, c’est peut-être le coup de maître le plus déterminant dans la carrière de Ferguson. L’histoire d’un pari réussi. « Après le match contre Forest, les supporters applaudissent ces jeunes joueurs dans une atmosphère délirante et teintée d’une légère incrédulité, poursuit rageur David Lacey. Pour l’instant, malgré les signes avant-coureurs d’une catastrophe, un sursis heureux est offert à leur manager » .

« La période la plus sombre de ma vie »

La catastrophe durera finalement 27 ans. Histoire pour Ferguson d’écrire les plus belles pages de son club en remportant, notamment, 13 titres nationaux et deux Ligues des champions. Un sursis de 27 ans pour 49 trophées au total. Pour ce qui reste de l’année 1990, « la période la plus sombre de ma vie » , dit-il, l’Ecossais évite le pire et termine à la 13ème place du classement. Mais comme un joli clin d’œil, il arrache la coupe d’Angleterre en finale contre Crystal Palace. Ce soir-là, les joueurs se réunissent dans une boite de nuit de Londres pour célébrer le premier titre de l’ère Ferguson. Exceptionnellement, l’alcool coule à flot. Même le « grandpa » du club Matt Busby, 80 printemps et tout sourire, est présent. « Cette nuit était magique, rappelle Bobby Charlton au Daily Mail. Le vieil homme était si heureux. Il aimait beaucoup Alex, qui a changé beaucoup de choses et posé les bases de notre succès » . Pour le Ballon d’or 1968, toute cette histoire autour du match contre Nottingham n’est finalement qu’un délire de journaliste, sans réel fondement : « Ce sont les médias qui ont fait pression pour son éviction. Ils avaient leurs petites habitudes avec l’ancien staff, leur petit confort. Mais en coulisses, il n’y avait aucune réflexion sur son avenir. Même si nous avions perdu à Nottingham Forest, rien ne serait arrivé. En aucune manière » . Pour Mark Robins, aujourd’hui entraîneur du petit club d’Huddersfield Town en deuxième division, cette confrontation n’est peut être pas le meilleur souvenir de sa carrière. Néanmoins, il se rappellera toute sa vie d’un homme assis sur son banc de touche, un grand Écossais, gouailleur, sans chewing-gum et pas encore anobli par la reine d’Angleterre. Le prototype parfait d’une future légende : « Dès le premier jour, j’ai su qu’il entraînerait jusqu’à son dernier souffle » .

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