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Le football anglais est-il « atactique » ?
Outre-Manche, le terme « manager » désigne à la fois le meneur d’hommes et le preneur de décisions. En clair, le manager de Premier League dirige un groupe et décide des joueurs qui jouent le weekend. D’où une question : dans le pays des scores fleuves, des espaces infinis, des remontées folles et des défenses qui ne défendent pas vraiment, quelle est la place de la tactique ? Et quelle forme prend-elle ?
De la légende du kick-and-rush à la défense à trois de Mancini
Les légendes sont souvent trompeuses. On croit que le climat pluvieux d’Angleterre a eu son influence sur la naissance du kick-and-rush, ou « one-two-three » (dégagement, déviation, tir). Ainsi, le mythe de l’utilisation exclusive du 4-4-2 en Premier League persiste. Ce lundi sur Match of the Day 3, le défenseur de Liverpool des années 70 et 80 Alan Hansen revenait sur cette légende : « J’ai joué 620 matchs dans ma carrière et je pense n’avoir jamais joué en 4-4-2. On jouait en 4-1-3-1-1, et à l’intérieur des fondamentaux du système, il y avait une extraordinaire flexibilité. » Depuis les années 1990, la Premier League a eu le temps de se mondialiser, notamment avec l’arrivée massive de techniciens latins dans les années 2000. Pour quelles évolutions tactiques ?
Le 4-3-3 de Mourinho, concentré sur la conquête des seconds ballons, fit un carnage. Selon la disponibilité de ses joueurs, le 4-3-3 d’Arsenal a produit du très bon et du très mauvais. Il y eut le Swansea de Rodgers, certes. Mais globalement, et surtout depuis la fin de l’apogée du football anglais en 2008, les deux Manchester ennuient, Liverpool enchaîne les projets de jeu trop différents, et Chelsea offre un ersatz frustré de tiki-taka. Cette saison, Roberto Mancini a tenté d’innover avec une défense à trois « façon Serie A » . Une véritable révolution ? Oui, jusqu’à ce que Micah Richards ait la sympathie d’admettre qu’ « en fait, on ne s’est jamais vraiment entraîné à défendre à trois derrière » . Un coup de bluff ?
Un Royaume sans défense
Si seulement Churchill pouvait voir les défenses anglaises aujourd’hui… Mardi 30 octobre 2012, Arsenal se déplace à Reading en League Cup. Match fou, remontée dingue, et finalement douze buts marqués, pour presque autant d’approximations défensives. Le même soir, Chelsea et Manchester United offrent le second 3-2 consécutif après celui de Premier League trois jours plus tôt. Celui des erreurs de David Luiz, des deux cartons rouges et du but absurde de Chicharito. Ce type de match où la transition devient la phase de jeu « normale » .
Beaucoup d’erreurs, beaucoup de buts et tout le monde adore ça, comme en témoigne le succès médiatique qu’a connu le 5-7 des Gunners. On se rappelle aussi du huitième de finale de la dernière édition de la Ligue des champions entre Arsenal et Milan (4-0 à Milan, 3-0 dès la mi-temps à l’Emirates). Un manque d’ordre, d’équilibre, d’intelligence, d’expérience. De maîtrise tactique ? Et si le Chelsea européen de Di Matteo n’était que l’exception qui confirme la règle ? Du football anglais, on aime les buts, les espaces, les courses, les duels, l’engagement, les remontées, les frappes. Mais comment expliquer tous ces espaces ? En 2012, la vieille technique des centres en retrait marche encore. Lucescu en rigole encore.
Deux symboles : le supersub et le franchise player
En Espagne, les techniciens sont jugés sur leur capacité à installer un système de toque : plus il y a de combinaisons et de pressing au milieu, plus le técnico est doué. En Italie, les Mister tâchent de trouver un savant mélange entre les deux concepts sacrés que sont « l’équilibre » et la « dangerosité » . En revanche, quand les Anglais parlent de coaching, les sujets sont le timing des changements, la gestion et deux phénomènes locaux : le supersub et le franchise player. Il est très facile de dresser un tableau vulgaire des tactiques des deux Manchester. Celle de City ? Faire jouer les onze joueurs les plus en forme, et faire entrer Džeko quand cela ne suffit pas. Manchester United ? Idem, avec Chicharito.
De ses six buts, Džeko en a marqué quatre en entrant après la 70e minute. Avec les trois points toujours au bout. De son côté, Chicharito vient de faire basculer deux rencontres d’affilée. Sans eux, les animations mancuniennes étaient atrocement peu distinguées. Le principe est simple et a le mérite d’avoir un grand impact psychologique sur l’équipe : c’est le manager qui décide. D’autre part, le franchise player n’est pas seulement la star de l’équipe. Il est son équilibre, sa base, son métronome. Au lieu de donner des responsabilités au collectif, il semble que certaines tâches cruciales (lancement du pressing, départ de la construction) reposent uniquement sur les épaules d’un joueur : Rooney, Lampard, Gerrard, Nolan, Fellaini… Ainsi, le choix des hommes finit par devenir plus déterminant que la formation tactique.
Le Royaume de la liberté
Pas de tactique ? Pas de problème. Et même quelques avantages. Si la majorité des joueurs rêvent de rejoindre ce « paradis du footballeur » qu’est la Premier League, c’est bien souvent pour la liberté qu’elle leur offre. Dans le numéro 101 de SO FOOT, Cesc Fàbregas déclarait : « Je suis surtout différent de par mon expérience anglaise. Avec lui (Wenger), je me déplaçais où je voulais sur le terrain. J’allais là où je considérais que je devais être et j’aimais ça. » La Serie A avait séduit les joueurs des années 1990 car c’était la plus compétitive. Si la Premier League séduit encore aujourd’hui alors qu’elle est dépassée par les cadors de la Liga, c’est pour sa liberté. Et ses lacunes tactiques. On ne peut pas tout avoir. Comme on dit dans le royaume italien de la tactique, « on ne peut pas avoir la flasque pleine et la fille bourrée » .
À visiter :
Le blog Faute Tactique sur SoFoot.com
Par Markus Kaufmann