- Billet d'humeur
- Taxe de 75% sur les revenus
Le foot professionnel choisit l’opposition
Alors que le handball vit son VA-OM avec une animatrice de NRJ12 en Ève tentatrice, la nouvelle passerait presque inaperçue : le football français passe dans l’opposition. Pas vraiment une surprise. A la majorité d’une voix, Frédéric Thiriez (président de la Ligue de football professionnel), Jean-Pierre Louvel (président de l'UCPF, syndicat des clubs professionnels) et Philippe Piat (président de l'UNFP, syndicat des joueurs professionnels), bref les principaux protagonistes du foot pro français, ont émis un avis « politique » définitif sur « une mesure fiscale irréfléchie », cette taxe de 75% au-delà d’un million de revenus annuels chère au candidat Hollande.
Les esprits affutés ont noté l’absence de la FFF et de son président Noël Le Graët, dont on peut penser qu’il partage un tout autre positionnement sur le sujet. N’empêche, c’est officiel, la L1 est dans l’opposition ! Plus sérieusement, pour en revenir au fond, le petit communiqué en question discrètement diffusé comme un fait exprès mérite le détour. Il ferait presque passer le MEDEF pour une ONG défendant la cause du commerce équitable. Caricatural au point que les adeptes de la théorie du complot pourraient presque imaginer une opération souterraine instiguée conjointement par L’Humanité et le Front de Gauche. Au-delà d’une contestation basique d’un impôt supplémentaire (limité à deux ans, détail passé sous silence dans le communiqué), l’argumentaire révèle une conception pour le moins surprenante de la place sociale du foot pro dans la société, et une analyse assez atypique des principales victimes de la crise.
En effet, en termes de logique économique forcément imparable, nous avons droit à de la grande gymnastique. Premier principe, ce n’est pas le foot qui a besoin de la France, mais bien le pays qui vit sur le dos de ses braves footballeurs. Ce secteur et ses « 25 000 emplois » (si on pousse jusqu’à intégrer le vendeur de chez Décathlon) apporte une « contribution fiscale et sociale cumulée des clubs et des joueurs » qui s’élève « en 2010-2011 à 622 M€ » . Un mauvais esprit dirait que n’importe quelle activité connaissant une flambée de son secteur, comme c’est le cas depuis l’arrivé des Qataris, vivrait forcement la même chose. Ce qui est plutôt bon signe d’ailleurs. Les plus mesquins pourraient même rétorqué qu’avec la très large contribution des collectivités territoriales et de l’Etat aux stades de l’Euro (Lens en est en le dernier exemple en date), la L1 se trouve très largement remboursée – dédommagée pense-t-elle de son côté – de son sens du partage.
Assignés à résidence fiscale?
Mais tout cela ne compte finalement pas, puisque c’est juste oublier le grand malheur vécu par le football tricolore. « Les joueurs, quant à eux, ne revendiquent aucun régime dérogatoire alors même que contrairement à d’autres sportifs ou à certains artistes, l’obligation de résider à proximité de leurs clubs les conduit à payer intégralement leurs impôts en France. » Touché-coulé. On connaissait le discours classique de la droite sur les risques de fuite vers l’Angleterre et la Belgique. En gros, l’évasion fiscale des fortunes tricolores qui privent notre économie de leurs généreuses prébendes (c’est vrai que le patriotisme reste d’abord un sentiment de pauvre et un alibi de riche). Mais pousser des cris d’orfraie au prétexte qu’on est déjà assez puni de ne pas pouvoir frauder comme les tennismen, voila qui est inédit et doit amener à relativiser les débats sur le fait de chanter ou non la Marseillaise à chaque match des Bleus !
Enfin le meilleur pour la fin. « La nouvelle taxe entrainera une hausse très importante de l’imposition de la totalité des meilleurs joueurs de Ligue 1, qui ne tient pas compte de la spécificité de leur courte carrière. » Dans un pays où le taux de pauvreté explose et où la moitié des salariés gagne moins de 1700 euros mensuel, une taxe qui ne va concerner qu’environ 1500 personnes (dont peut-être une centaine de footeux au-dessus de leur premier million de salaire) constituerait donc une menace pour leur futur et celui de leurs enfants ? On aimerait penser au pire. Pour demeurer dans l’univers footeux, pleure sur le sort des recalés des centres de formation qui pigent en CFA ou des soudards semi-pros du National, mais on se trompe encore dans les grandes largeurs. Pour les pontes du football professionnel, leurs chers employés sont les nouveaux martyrs de la précarité du football professionnel. Quelqu’un sait comment on dit RSA en suédois ?
Par Nicolas Ksiss-Martov