Foot instrumentalisé
De fait, si le foot devient un enjeu ou thème durant cette campagne présidentielle, ce sera probablement par ce biais de l’instrumentalisation. Les candidats s’en empareront pour diffuser leur discours ou occuper l’espace médiatique, sans avoir à trop rentrer dans le détail. Un petit clash sur les Bleus ou la violence dans les tribunes par-ci, un débat sur les joueurs mal élevés ou « nouveaux riches » par-là, et le grand public est touché au cœur ou aux tripes. Deux tweets, une matinale et on peut retourner regarder les sondages. À ce petit manège, l’extrême droite désormais « plurielle » se révèle particulièrement douée. Le RN avait démontré lors de l’Euro et l’affaire Youssoupha sa prétention à assumer désormais le pouvoir, pour le moment dans les esprits, et qu’en tant que futur parti de gouvernement, il allait falloir apprendre à le respecter. Une attitude qui anticipait les prémices de l’actuelle campagne de Marine Le Pen tout en « sens des responsabilités » . À coté, le rookie Eric Zemmour, déjà habitué des saillies contre ce foot accaparé par les immigrés musulmans (ou noirs), voire les femmes, a mis la barre très haut. Partisan de briser « les tabous » et les principes de la République cosmopolite, il s’en est pris sans complexe au héros national Zidane, exigeant qu'il change de prénom, tout comme par ailleurs il se décide à douter de l’innocence de Dreyfus ou réhabilite Pétain.
La vraie du politique du foot
Pour le moment, les autres candidats demeurent sur une prudente réserve. À gauche, la foire d'empoigne des candidatures multiples laisse peu d’espace pour aborder un sujet que par ailleurs les prétendants et prétendantes (Hidalgo, Roussel, Taubira, Mélenchon, Jadot) maîtrisent peu. De son coté, Valérie Pécresse paraît surtout pour le moment soucieuse d’exister sur le terrain sécuritaire. Les spécialistes de la question sportive, de la députée Marie-George Buffet au sénateur Michel Savin, n’ont malheureusement que peu l’oreille des candidats et candidates, ce qui est regrettable au regard de leur travail dans les divers hémicycles. Naturellement, l’actualité dictera les éventuelles prises de position, tout comme les questions des journalistes sur les plateaux télé, sans oublier l’inévitable interview dans la presse spécialisée. C’est dommage, car le foot, notamment en cette année 2022, mériterait une véritable approche politique. On pourrait évidemment commencer par le poids de la crise sanitaire, du récent pass vaccinal, sur le monde amateur, la crise du bénévolat, l’épuisement associatif qui touche plus de deux millions de licenciés dans les différentes fédérations. Une telle problématique ne sera sûrement pas en tête de gondole dans les déclarations des postulants à l'Élysée. La Coupe du monde au Qatar s’avérerait en revanche par exemple une parfaite entrée pour expliquer quelle est leur vision de la France dans le monde, quelle représentation de notre pays sur la scène internationale, quelles exigences dans le domaine diplomatique, sans parler d’un éventuel boycott diplomatique à l’instar des USA en Chine. Une campagne présidentielle ne constitue-t-elle pas le moment idéal pour évoquer ce sujet et préciser aux Français l’importance, et donc le poids, d’une telle compétition ? Autre point, alors que les débordements dans les stades ont défrayé la chronique (certes désormais entre parenthèses avec l'instauration des jauges), ne serait-il pas sain de tenir un débat public posé, politique, étayé sur ce problème qui interpelle autant la conception de la sécurité, des devoirs et des droits des citoyens, que la place des forces vives (ici les ultras) de la nation ? Finalement, nous nous contenterons probablement des lieux communs sur les valeurs du foot ou la dénonciation de tel ou tel comportement de joueur.
Par Nicolas Kssis-Martov
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