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« Le foot féminin est encore à la recherche de son équilibre économique »

Propos recueillis par Nicolas Kssis-Martov
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Le développement du football féminin est souvent abordé exclusivement sous l’angle de la problématique sociétale, voire du combat politique pour l’égalité hommes/femmes. Or, sans le nerf de la guerre, c’est-à-dire l’argent, on imagine mal un véritable essor de la pratique féminine. Cette question se pose évidemment chez les pros, mais aussi au plus bas niveau des districts. Les économistes du sport Luc Arrondel et Richard Duhautois publient un ouvrage gavé de chiffres et de stats, mais qui soulève avant tout le fondamental dilemme dès son titre : Comme des garçons ?

Dès le titre, vous posez la question de la comparaison avec les hommes…Le titre est un clin d’œil au film de Julien Hallard, Comme des garçons. Pour revenir à votre question, restons lucides. Le développement économique du football féminin est incomparable à celui du football masculin et ne peut pas suivre tout à fait le même modèle et la même trajectoire. D’une part, les clubs féminins sont de plus en plus souvent adossés aux clubs professionnels masculins, ce qui, comme on le verra plus tard, présente certains avantages. D’autre part, même si les parcours de formation pour les jeunes joueuses ont fortement progressé au cours des dernières années en France, le statut non professionnel du championnat de D1 a un effet sur son développement. Certaines équipes accueillent des jeunes joueuses en partenariat avec un lycée de la ville, mais peu ont des centres de formation intégrés, notamment pour leurs joueuses U19, comme c’est le cas à l’OM, à l’OL, au PSG et à Guingamp. Les jeunes joueuses n’ont notamment aucune convention de formation.

La professionnalisation est-elle la prochaine étape ?Sans doute. Notamment pour permettre à ces jeunes joueuses de se former dans des conditions juridiques comparables à celles des jeunes joueurs. Tout cela doit bien sûr s’accompagner d’une plus grande exposition du football féminin dans les médias. Mais il est nécessaire également de considérer que le « bien » football est différent chez les femmes et chez les hommes et d’éviter de les comparer systématiquement.

Pour la saison 2020-2021, neuf clubs sur douze en Division 1 sont les sections féminines de clubs professionnels de Ligue 1 ou de Ligue 2, et onze sur douze dans le championnat anglais, la FAWSL, ont pour club parent des membres de la Premier League ou du Championship.

Cela pose évidemment l’enjeu essentiel de savoir si le foot féminin doit s’adosser sur les grands clubs masculins pour grandir.La tendance des championnats féminins européens de première division à ressembler aux compétitions masculines est déjà une réalité. Cette homogénéisation des élites procède de plusieurs phénomènes : volonté de certaines fédérations de professionnaliser les compétitions (en Angleterre, au Japon, en Italie, en Espagne, etc.) et de les rendre plus compétitives ; désir de certains clubs professionnels aux moyens importants de créer ou de promouvoir une section féminine ; rachat d’équipe féminine déjà existante. Pour la saison 2020-2021, neuf clubs sur douze en Division 1 sont les sections féminines de clubs professionnels de Ligue 1 ou de Ligue 2, et onze sur douze dans le championnat anglais, la FAWSL, ont pour club parent des membres de la Premier League ou du Championship.

Quels sont les avantages ?Les avantages de l’adossement à un club professionnel masculin sont nombreux : moyens financiers conséquents ; mise en commun de certaines infrastructures et de personnel ; notoriété de « marque » ; disposition d’un grand stade pour les « affiches » ; etc. Même si, vraisemblablement, avec une homogénéisation complète, le football féminin y gagnerait en professionnalisme ce qu’il perdrait en ancrage territorial.

Même s’il est difficile d’obtenir des informations précises quant au financement de ces déficits, ce sont vraisemblablement les clubs de football professionnel masculin qui payent aujourd’hui les pertes d’exploitation de la section féminine.

Comment le foot féminin peut-il espérer bâtir un modèle vertueux ou du moins suffisant quand le marché du sport (sponsors, etc..) semble déjà saturé et dominé par le foot masculin ?Il n’est pas facile d’obtenir les budgets des clubs de football féminin. La structure du budget de la D1 française (environ 19 millions € en 2017-2018, 4,7 millions sans Lyon et le PSG) est la suivante (d’après les chiffres fournis par W. Andreff) : environ 50% sont issus de revenus commerciaux (droits de télévision, merchandising, frais d’abonnement), environ 40% du sponsoring et des subventions et une part très faible, en général moins de 5%, de la billetterie. Mais les dépenses des clubs sont finalement nettement supérieures à leurs recettes : en 2017-2018, 8 clubs sur 12 étaient déficitaires, avec un déficit global de 13,5 millions € (dont 7,6 millions € pour les deux clubs phares, l’OL et le PSG) soit 72% du budget total. Et ce déficit augmente de saison en saison : 75% d’augmentation en moyenne sur les cinq derniers exercices comptables. Même s’il est difficile d’obtenir des informations précises quant au financement de ces déficits, ce sont vraisemblablement les clubs de football professionnel masculin (pour les équipes adossées à une équipe féminine) qui payent aujourd’hui les pertes d’exploitation. Le football féminin est donc encore pour l’instant à la recherche de son équilibre économique.

Un des sujets qui interpellent un peu l’opinion semble résider dans l’inégalité salariale entre footballeurs et footballeuses, surtout en sélection nationale. En quels termes se pose ce débat ? Le football n’échappe donc pas à cette question sociétale. Cependant, parmi les arguments avancés, les confusions et les amalgames ne manquent pas, entre les salaires des joueuses professionnelles, les primes des internationales, etc. L’égalité de traitement pour les internationales des grands pays de football est une question importante et justifiée. En plus de devoir élaborer des stratégies pour concilier leur vie professionnelle, familiale et sportive, les joueuses internationales font face à un manque de moyens pour financer leurs déplacements. Afin d’aider les footballeuses internationales, de plus en plus de fédérations participent, en plus du club quand c’est le cas, à leur rémunération, ce qui est tout à fait normal.

Et pour le football de club ?Le problème est différent. Même si la mise à l’écart des femmes par les hommes dans le monde du football au XXe siècle est une réalité, nous pensons que le marché du travail des footballeuses et des footballeurs est disjoint : autrement dit, les femmes et les hommes ne postulent pas réellement les mêmes postes. Ces inégalités de rémunération entre hommes et femmes ne résultent pas d’une discrimination, mais plutôt de la taille du « gâteau » (la rente) à partager (droits TV, billetterie, sponsoring, etc.) : en 2019, le budget des clubs de Ligue 1 est de 1,9 milliard d’euros et celui des clubs de D1 est de 19 millions d’euros, soit 100 fois moins…

À la puberté, les jeunes filles peuvent subir des pressions sociales ou culturelles, ce qui les contraint souvent à abandonner leur activité sportive en général, et le football en particulier.

Si les sommes sont moindres, l’économie du sport amateur et associatif est tout aussi essentiel pour le foot féminin. Or peut-être encore plus à cette échelle, les filles ont le sentiment d’être la dernière roue du carrosse dans le budget du FC ou de l’AS locale ?Voilà 45 ans que nous arpentons les terrains de la région parisienne, et de nombreux clubs ont créé des sections féminines sans qu’il nous apparaisse que ce soit la dernière roue du carrosse dans le budget du club local. Les éducateurs et les présidents de clubs sont en effet de plus en plus sensibles au développement du football féminin. Par ailleurs, de nombreuses jeunes filles bénéficient des infrastructures des clubs comme les jeunes garçons. Le problème ne réside pas dans la discrimination des clubs, mais plutôt dans l’organisation des compétitions, surtout dans la petite couronne de la région parisienne. Certains districts ont mis tout en œuvre pour faire jouer les jeunes filles dès le plus jeune âge et inciter les clubs à créer des catégories de jeunes pour pérenniser la pratique féminine. Les problèmes sont plutôt ailleurs : d’une part, dans ces zones très denses, les infrastructures ne sont pas extensibles, et pour accueillir les compétitions de jeunes filles, il faudrait construire des stades (le manque de terrains est un frein à l’évolution du football féminin). D’autre part, à la puberté, les jeunes filles peuvent subir des pressions sociales ou culturelles, ce qui les « contraint » souvent à abandonner leur activité sportive en général, et le football en particulier.

La crise sanitaire a peut-être brisé (ou on l’espère, retardé) l’élan de cette Coupe du monde dont on observe souvent les effets à plus long terme.

La crise de la Covid-19 va durement frapper l’ensemble du sport et du football. Les filles vont-elles en être les premières victimes ?Pendant le confinement, l’aide de l’État à travers le chômage partiel est venu compenser les pertes de salaires des joueuses, car la plupart de celles qui ont un contrat fédéral sont payées en dessous de quatre fois le Smic. La crise sanitaire et économique va maintenant toucher beaucoup de secteurs, notamment celui des clubs de football masculins. Les difficultés financières de ces derniers vont mécaniquement se répercuter sur les sections féminines dont le budget provient souvent, comme on l’a vu, de la section masculine. Mais les sommes en jeu sont beaucoup moins importantes. Plus que le manque à gagner financier, les conséquences de la crise de la Covid sur le football féminin sont peut-être plus dommageables en matière de développement de son économie. Pendant la Coupe du monde en France, l’équipe de France féminine s’est presque hissée, en matière d’audiences, au niveau des hommes. Même si supporter l’équipe nationale n’est pas du même ressort que supporter un club, l’événement a suscité un réel engouement qui est une des conditions nécessaires pour faire décoller l’économie du football féminin. La crise sanitaire a peut-être brisé (ou on l’espère, retardé) l’élan de cette Coupe du monde dont on observe souvent les effets à plus long terme : augmentation du nombre de licenciées, hausse de la fréquentation des stades, arrivée des sponsors et augmentation des droits TV.

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