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Le FC Schalke 04 et la mauvaise réputation

Par Sophie Serbini
Le FC Schalke 04 et la mauvaise réputation

Champion d'Allemagne à six reprises entre 1934 et 1942, Schalke 04 souffre depuis l'après-guerre d'une mauvaise réputation. La légende voudrait que le club de la Ruhr ait été un peu trop proche du NSDAP et de son chef Adolf Hitler, voire favorisé par les nazis. La réalité est évidemment bien plus complexe que la légende.

« Schalke est un club de loser. » Cette phrase un brin péjorative, chaque supporter de Null-Vier l’a déjà entendue. Depuis l’instauration de la Bundesliga en 1963, Schalke n’a jamais gagné de titre de champion. De tous les grands clubs allemands, c’est le seul à ne pas être Deutscher Meister. Enfin pas tout à fait. Car le club de la Ruhr est en réalité sept fois champion, mais comme tous ses titres ont été gagnés avant la création de la Ligue, tout le monde (ou presque) les a oubliés. Outre le temps qui passe, le contexte historique n’aide pas Schalke à imposer son palmarès. Lorsqu’on jette un coup d’œil à ce dernier, certaines dates interpellent. En effet, sur sept titres de champion, six ont été obtenus pendant l’ère nazie. De là à dire que le club était aidé par le régime national-socialiste, il n’y a qu’un pas, malheureusement souvent franchi. « Schalke n’était pas un club nazi. J’entends par là que le club n’était pas dirigé par les nazis » , explique Marc, 40 ans, supporter des Knappen depuis son enfance et historien de formation. « Il y avait des accointances assez fortes que personne ne peut nier. Mais ce n’était pas un club d’État, à l’inverse du Dynamo Berlin par exemple, qui était un club gouverné directement par la Stasi. Il faut bien distinguer club apprécié et club contrôlé. »

Souvent pris à tort pour un fan de Schalke, Adolf Hitler n’avait, en réalité, aucune affinité avec le football en général. Ses sports préférés étaient tous des sports individuels. Aider le club de Gelsenkirchen ne lui est donc jamais venu à l’idée. « Autant que l’on sache, Hitler ne s’est rendu qu’à un seul match de football dans toute sa vie. C’était la défaite surprenante de l’Allemagne face à la Norvège (0-2) lors des JO 1936. Une défaite qui l’a beaucoup énervé, il a même quitté le stade avant la fin du match » , raconte Markwart Herzog, historien allemand spécialiste de l’histoire du football sous le régime nazi. « Le fait qu’Hitler ait rendu visite à l’équipe de Schalke et se soit fait photographier en compagnie des joueurs ne signifie en rien qu’il a été membre du club. Il n’y a aucune source qui en fait mention. Si Hitler avait été fan de Schalke, cela se serait vu dans la presse locale de Gelsenkirchen. Mais ce n’était pas du tout le cas » , ajoute-t-il. Selon la rumeur, les nazis auraient, malgré le désamour de leur Führer pour ce sport, privilégié Schalke, mais pour le professeur Herzog, c’est « une théorie du complot pour laquelle il n’y a aucune preuve historique » . Schalke n’a reçu aucune aide du gouvernement en place. Les résultats obtenus à l’époque l’ont donc été de façon tout à fait honnête.

Propagande et opportunisme

Si Schalke n’a donc rien à se reprocher sur le plan sportif, son état d’esprit pendant cette époque sombre pose tout de même quelques questions. Si la majorité des clubs allemands étaient opportunistes sur le plan politique, la facilité avec laquelle les dirigeants de Null-Vier ont accepté les nouvelles règles dérange. « À l’époque, le Dr. Paul Eichengrün (un Juif) était le deuxième président de Schalke. Alors que les autres membres du comité directeur sont probablement entrés au NSDAP, Eichengrün s’est retiré du club. Sans le moindre esprit critique, Schalke a suivi une injonction de la DFB, selon laquelle tous les Juifs devaient être exclus des comités directeurs des clubs » , raconte le professeur Herzog. Certains joueurs d’origine polonaise, parfois très lointaine, ont aussi pris des noms à consonance plus allemande, pour cacher leur origine. Au fur et à mesure que Schalke gagne en notoriété, son destin se retrouve de plus en plus lié à celui du NSDAP. Mais cette association est forcée par la presse sportive, qui cherche à faire du zèle auprès du pouvoir, plutôt que par le NSDAP lui-même. « De 1934 à 1942, Schalke a été six fois champion d’Allemagne. C’est pour cette raison que l’ascension du club a été comparée à celle du NSDAP. Les médias ont également vu d’autres parallèles : le NSDAP est un parti de travailleurs, Schalke un club de foot de travailleurs » explique l’universitaire.

« Tout comme Adolf Hitler, les joueurs de Schalke « se sont élevés depuis les profondeurs du peuple ». Néanmoins, cette image de Schalke comme un club de prolo était un mythe. À l’époque, il n’y avait pas de travailleurs dans l’équipe première du FC Schalke 04. Les meilleurs joueurs étaient payés comme des pros, même si c’était interdit en Allemagne » , précise-t-il. Le NSDAP ne voit pas toujours d’un bon œil cette association. « La National-Zeitung, la presse locale du NSDAP à Gelsenkirchen, s’énervait souvent à cause de cette interprétation. Elle a notamment écrit que « la conception national-socialiste du monde est trop sacrée » pour pouvoir expliquer l’ascension d’une équipe de sport, qui relève du profane » , explique le professeur Herzog. Mais conscient de la popularité du club, le pouvoir s’associe de plus en plus à ce dernier. Au début de la Seconde Guerre mondiale, Schalke en arrive même à fondre ses trophées pour contribuer à l’effort de guerre. Par la suite, le club se rendra en tournée en Europe pour distraire les soldats. Un des matchs les plus suivis par les médias fut sans doute Schalke contre un onze de soldats basés à Paris. Plus de 40 000 militaires étaient présents au Parc des Princes ce jour-là. Et même si Schalke n’était pas une exception, puisque le 1. FC Kaiserslautern, l’Eintracht Francfort ou encore Hanovre 96 ont joué aussi contre des équipes militaires, le club ne ressort pas grandi en ayant accepté de le faire sans broncher.

Les cas Fritz Szepan et Ernst Kuzorra

Là où l’histoire se fait encore moins accommodante pour Schalke, c’est lorsqu’on se penche sur le cas de ses deux icônes : Fritz Szepan, considéré encore aujourd’hui comme le meilleur joueur du club, et Ernst Kuzorra, un des plus grand attaquants allemands de l’histoire. Indissociables sur le terrain, ils l’étaient aussi dans la vie puisqu’ils étaient beaux-frères. Contrairement à la majorité des joueurs du club, les deux « frères » ont rapidement choisi leur camp. « Szepan et Kuzorra se différenciaient de la plupart des autres joueurs de Schalke par le fait qu’ils se sont publiquement engagés en faveur du national-socialisme. Szepan était l’un des rares membres du NSDAP parmi les joueurs du FC Schalke 04. Dans les journaux d’annonces, ils ont appelé à voter Hitler pour les élections au Reichstag » , résume le professeur Herzog. Des deux, c’est Fritz Szepan qui aurait été le nazi le plus fervent. « Ce qui est particulièrement honteux, c’est qu’il a profité économiquement du national-socialisme. Sa femme Elise a repris un magasin de textile qui appartenait à des Juifs qui ont été dépossédés de leurs biens. Szepan et sa femme ont été de parfaits profiteurs de l’aryanisation » , révèle l’historien. En 2001, la ville de Gelsenkirchen et le FC Schalke 04 ont voulu donner le nom de Kuzorra et Szepan à plusieurs rues. Très vite, des remarques sont faites sur le rôle problématique qu’ont joué ces deux footballeurs du temps du national-socialisme et de nombreuses histoires sont déterrées par les chercheurs. Au final seul Kuzorra aura le droit à sa rue, près de la Veltins Arena. « Ces mecs-là sont toujours des icônes à Schalke, on ne parle pas trop de ce qu’ils ont fait. Du reste, avant 2001, je pense que beaucoup de supporters n’étaient pas vraiment au courant de certaines histoires » , explique Marc. Car pendant plus de 40 ans, les deux stars n’ont jamais été remises en question et ont même occupé certains postes clés au sein du club.

Les conséquences d’une réputation

Si, de nos jours, les Allemands n’assimilent plus autant qu’avant Schalke à la période nazie, l’amalgame se fait de manière plus sournoise. « Quand je parle avec des supporters d’autres équipes, on me vanne souvent sur le fait que Schalke n’a jamais été sacré champion. Je leur dis toujours que le club a sept titres, certes acquis il y a un bail. Et là, il y a toujours un type pour dire que ces titres ne comptent pas, car pour l’essentiel, ils ont été obtenus sous le IIIe Reich » , explique Marc. « Si Schalke avait gagné des titres depuis l’instauration de la Bundesliga, on en parlerait moins. Schalke a l’image d’un club deloser. Et quand les gens regardent le palmarès, ils voient que tous les titres de champion (sauf celui de 1958) ont été gagnés pendant l’ère nazie, du coup ils font le rapprochement » , assure-t-il. Certains de ses exploits sont régulièrement passés sous silence. Outre les titres, le peuple de Gelsenkirchen est très fier du « Schalker Kreisel » , le système de jeu mis en place par le Null-Vier juste avant la guerre, et estime qu’on ne le met pas assez en avant dans les médias. « Le jeu de Schalke dans les années 30 était fabuleux, c’était un peu un ancêtre du football à une touche de balle. À l’époque, ce système de jeu était un peu présent en Grande-Bretagne, mais pas du tout en Allemagne, et c’est Schalke qui l’a popularisé et qui l’a rendu si effectif. Si le club était si fort, c’était en grande partie parce que tactiquement, il était bien au-dessus du lot » , raconte Marc. Selon lui et beaucoup d’autres supporters, on ne parle pas assez de cette révolution tactique, car elle est intervenue lors d’une période sombre. « Lorsque Guardiola est arrivé en Allemagne, tout le monde a dit que son système de possession allait révolutionner le football outre-Rhin. Heureusement, un journaliste de la FAZ a remis les choses dans leur contexte et rappelé dans un papier que ce style de jeu avait déjà existé en Allemagne. J’espère que Guardiola a lu ce papier » , ironise Marc.

Minimiser pour réparer

De nombreuses voix s’élèvent aussi pour que Schalke puisse arborer des étoiles sur son maillot. En effet, depuis l’instauration de la Bundesliga, seuls les clubs ayant obtenu des titres depuis 1963 ont le droit d’arborer une étoile sur leur équipement. Une étoile pour trois titres, deux étoiles pour cinq titres, trois étoiles pour dix titres, etc. Le club de la Ruhr, qui a obtenu tous ses titres avant l’instauration de la Ligue, ne peut donc pas en porter. Ce système qui vise à quasiment annuler dans l’imaginaire collectif les titres obtenus avant 1963 favorise des clubs à l’hégémonie plus récente comme le Bayern Munich ou le Borussia Mönchengladbach. Comme si les titres obtenus avant n’avaient pas de valeur, alors que le trophée est par exemple le même depuis 1949. « Schalke est champion sept fois, mais n’a pas le droit de porter d’étoiles ? Si ce n’est pas une manière de dire que les clubs qui étaient forts à une certaine époque (comme Nuremberg) ne comptent pas, je ne vois pas pourquoi ils feraient ça » , assure Marc. L’Allemagne a toujours eu beaucoup de mal à vivre avec son passé nazi et a parfois un peu tout mélangé. En minimisant les exploits des équipes de l’avant-guerre, elle oublie que le principal pour les footballeurs de l’époque n’était aucunement la politique. Comme le rappelle le professeur Herzog : « D’une manière générale, les footballeurs durant le IIIe Reich n’étaient pas dans la politique. Ils n’avaient que le football en tête et étaient contents quand ils pouvaient jouer. Et cela vaut pour une grande partie des joueurs de Schalke. » L’Espagne moderne n’a jamais occulté ce qu’avait réalisé le Real Madrid dans les années 50 malgré la présence en filigrane du franquisme au sein de l’équipe. Le Real a dominé l’Europe, car il avait le meilleur football. L’Allemagne devrait, un peu à l’image de l’Espagne, accepter qu’une des plus belles équipes de son histoire ait vu son hégémonie coïncider avec sa période politique la plus sombre.

Dans cet article :
Marc Wilmots au secours d'un géant allemand en péril
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Par Sophie Serbini

Photos: Schalke Museum

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