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Le destin de Lysá, la ville au centre de l’Euro
Les images endiablées de l'Euro à Budapest, à Londres ou Copenhague ont toutes un point commun, Lysá nad Labem. Si ce patelin de Bohême en Tchéquie vit encore dans l'ombre, sa destinée pourrait bien basculer. La science le prouve, c'est ici, à 30 bornes au nord-est de Prague, que se trouve le centre géographique de l'Euro. C'est indiscutable. Coordonnées GPS : Latitude: 50° 12' 5.1552'' N ; Longitude: 14° 49' 58.1484'' E. Alors que la Tchéquie peut s'envoler ce samedi en demi-finales, voyage au beau milieu de nulle part, au centre de l'Euro.
Toucher du doigt le centre géographique de cet Euro est une sensation bien singulière. Tels les chemins menant tous à Rome, c’est bien Lysá nad Labem la ville éternelle en cet été où l’Europe du football vibre à nouveau dans les stades. Encore faut-il que la population locale – un peu moins de 10 000 âmes au dernier recensement – en soit consciente. Parce qu’au premier abord, Lysá, sous ses airs de belle endormie de la campagne tchèque, apparaît un tantinet fermée à la discussion.
À la mairie, la standardiste de l’édile Karel Otava botte en touche. L’un des prêtres du village jure dans un anglais plus incompréhensible que celui d’un highlander écossais qu’on « parle très peu football ici » et un employé de la résidence senior en face du monastère – l’édifice le plus connu avec le château – regagne ses pénates à la moindre question dans la langue de Shakespeare.
Le cœur battant de l’Euro est-il vraiment là ? C’est une expédition, une quête. Un début de piste se trame au Maka Koffee, sur la place centrale, où le serveur invite à « se rapprocher du club de foot. Il y a un terrain sympa, à 500 mètres du centre. Vous y trouverez ce que vous cherchez ». Devant le kebab, point de ralliement à la mode, une bannière de l’Euro s’affiche en façade. Un ultime recours au GPS, le parking d’un Penny Market fera l’affaire pour la bagnole, le stade se dévoile. Encastré entre des HLM qui plairaient à Renaud et la cheminée de l’usine Hans, fabriquant de béton, le FK Slovan Lysá nad Labem trône. Ici, pas de Pogba, de Cristiano Ronaldo ou machin chouette. Deux terrains, l’un encerclé par des herbes folles, deux tribunes sous la tôle et plus d’un siècle d’histoire. « Le club a été créé en 1913 », balance Ales Schneiberg, ingénieur agronome au quotidien. Le défenseur local vient de voir débarquer des extraterrestres. « Mais que foutent des Français ici ? Quand j’ai reçu un message me disant qu’on était le centre de l’Euro, j’ai cru à une connerie. Comment c’est possible ? »
Une « simple » histoire de sciences, de calcul et de tableau Excel façonné par Jean Rosenfeld, jeune Bruxellois dont la thèse de doctorat portait sur les algorithmes et les stats. « J’ai pris les données GPS des villes accueillant l’Euro. Un premier centre géographique a été trouvé. » Mais Dublin et Bilbao finissent par se retirer des villes hôtes, et le Belge revoit ses calculs en poussant la barre un peu plus loin. « Il fallait pondérer par rapport au nombre de matchs joués dans chaque ville. Ça n’avait pas de sens que Bakou pèse autant que Londres, alors qu’il y a bien plus de matchs à Wembley qu’en Azerbaïdjan. À la base, ça tirait le truc totalement à l’Est. » Conséquence directe, le centre un temps déterminé près de la Pologne rebascule sur Lysá nad Labem. « Il n’y a qu’avec un Euro éclaté un peu partout qu’on pouvait le faire, poursuit Jean. Si c’était comme d’habitude avec un seul pays organisateur, ça n’aurait eu aucun intérêt. Là, on peut affirmer scientifiquement que Lysá nad Labem est le point de départ géographique de tout dans cet Euro. »« Putain, j’espère que l’UEFA fera venir le vainqueur de l’Euro ici pour un match amical, se marre Ondrej Poborský, milieu de terrain du FK Slovan. On mérite au moins ça maintenant. Ça pourrait attirer du monde. » Parce qu’en ces temps de pandémie, les p’tits gars de Lysá doivent surtout se contenter de miettes sur les terrains. Un tournoi local remporté face à cinq bourgs du secteur – « des derbys à chaque fois, c’était chaud », appuie Ales –, mais seulement une centaine de personnes derrière la main courante.
D’après l’agronome, « les gens n’aiment pas trop le foot ici ». Il y a bien le géant Sparta Prague, club phare du coin, mais le coach Matej Brabec, 42 balais, confirme la tendance. « C’est compliqué de recruter des joueurs (le FK Slovan compte environ 150 licenciés, NDLR), de monter un budget(1,5 million de couronnes tchèques, 58 000 euros, NDLR), d’avoir des sponsors, etc. Les gars ne sont pas payés lorsqu’ils signent chez nous. » Avec la double casquette d’entraîneur-joueur, Matej symbolise finalement le football dans ce qu’il a de plus simple. Des passionnés prêts à tout pour faire vivre le moindre club.« Peut-être que si les gens savent désormais que nous sommes au centre de l’Euro, ça pourrait aider à changer certaines choses, mais je n’y crois pas trop. » Après quelques gorgées de bière dans le club house blindé d’archives et d’un écran plan diffusant les courses hippiques, Ondrej, employé d’une compagnie d’assurance, est un brin plus optimiste. « C’est un honneur. Peut-être que l’année prochaine, nous aurons des Français qui viendront nous voir jouer à Lysá. Ce serait fou, mais après tout, qui aurait pu croire que notre village était aussi important ? » Le destin Lysá, le destin.
Analyse, paris à prendre & meilleurs bonus : Retrouvez notre pronostic Tchéquie – Danemark sur le premier quart de finale de ce samedi !Par Florent Caffery à Lysá (Tchéquie) - Photos Manon Cruz