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Le Clásico de l’autre Luis Suárez

Par Antoine Donnarieix
5 minutes
Le Clásico de l’autre Luis Suárez

Tout le monde le croit unique au monde, mais en réalité, il est juste un homme parmi les autres. Un joueur de football, avec un sobriquet plutôt banal. La preuve, Luis Suárez n'est pas le premier du nom à jouer un Clásico.

15 juillet 2014. Dans toute la Catalogne, les médias sont au garde-à-vous suite à l’information qui a fuité pendant la journée : Luis Suárez doit arriver au cours de la soirée dans le patelin de Castelldefels, une petite commune dans la province de Barcelone. Accompagné de sa belle Sofia Balbi dans une Audi RS6 break, l’attaquant esquive les journalistes et fait profil bas. Sans contestation possible, son transfert sera celui de l’été, après son Mondial complètement fou pour relancer l’Uruguay face à l’Angleterre, pour disparaître des terrains pendant cinq mois suite à son coup de sang et de dents contre l’Italie et Chiellini. Un artiste ascendant taré vient de débarquer dans le club réputé pour sa discipline sans limite. De quoi avoir déjà une belle notoriété en arrivant sur les plages catalanes. Pourtant en Espagne, le nom de Luis Suárez a un goût de déjà-vu. Mais ça, seuls les anciens ou peuvent en témoigner. Un coup de DeLorean plus tard, la Liga est la propriété du Real Madrid, avec son serial buteur Alfredo Di Stéfano et son Estadio de Chamartin. Au-delà des soupçons qui pèsent sur le transfert de l’attaquant des Millonarios de Bogota à la Maison Blanche, pour lequel Franco aurait demandé la signature forcée du joueur plutôt attiré par le Barça, les Culés doivent s’activer pour faire face au Real et sa force de frappe. Déjà détenteurs de László Kubala en cartouche offensive, les dirigeants recrutent un homme pour alimenter leur machine à marquer au cours de l’été 1954, pour la jolie somme de 2 millions de pesetas. Un Galicien du nom de Luis Suárez Miramontes.

Première ratée

Âgé de seulement 21 ans, le milieu gauche mesure à peine 175 centimètres. Mais son talent, montré depuis le Deportivo La Corogne, l’expose à toute la péninsule ibérique. Cela fait déjà quatre saisons que le gamin joue pour l’équipe première du Depor grâce à ses qualités de vitesse et de technique bien au-dessus de la moyenne. Lors de sa dernière année en Galice, le joueur croisera pour la première fois celui qui fera de lui le seul Ballon d’or espagnol de l’histoire, en 1960 : Helenio Herrera. Entraîneur des Blaquiazules le temps d’une saison, H.H. voit partir le futur « Gallego de Oro » pour le stade de Les Corts, prédécesseur du Nou Camp. Avec Kubala et le grand projet de construction du nouveau stade, Luis Suárez arrive au Barça dans un club en plein développement, souhaitant faire valoir sa grandeur devant le Real Madrid. Le début de saison est prometteur, avec six victoires, trois nuls et une seule défaite pour les Blaugrana, de quoi partager la tête du classement avec l’Athletic Bilbao et le Real Madrid après dix journées de Liga. Et comme souvent lors du championnat espagnol, le Clásico décide de l’issue du championnat. C’est donc sur les terres castillanes que Luis Suárez doit affronter l’ennemi historique pour la première fois de sa jeune carrière, le 21 novembre 1954. Juste avant la mi-temps, Barcelone concède un penalty. Meilleur buteur du championnat l’année précédente pour sa première saison chez les Merengues, Alfredo Di Stéfano transforme la sentence. En deuxième mi-temps, Hector Rial et Joseito parachèveront le succès du club royal. Un score sans appel de 3-0, qui constituera la première étape du champion d’Espagne vers sa propre succession. Déclencheur du succès des siens, Di Stéfano voit pourtant le talent de constructeur de Luis Suárez au sein du collectif barcelonais. Bientôt ensemble sous le maillot de la Roja, Don Alfredo finira par trouver un surnom à son compagnon en sélection : l’Architecte.

Autre temps, même enjeu

Il est certain que de ce premier Clásico, Luisito a su en tirer beaucoup d’enseignements. Un plongeon dans le gratin du football espagnol, face au prochain vainqueur de la première Coupe d’Europe des clubs champions, c’est forcément une bonne expérience pour un joueur de sa trempe. Même lorsque l’on perd. « Quand j’étais jeune, j’avais mes idoles, comme tous les enfants, explique Luis. Je m’inspirais alors du joueur que j’ai toujours considéré comme étant le plus fort, le plus complet que j’ai vu de ma vie : Alfredo Di Stéfano. » Le succès national, Luis Suárez le connaîtra seulement en 1958 avec le Barça, malgré plusieurs victoires contre le Real. Le Barça récidivera l’année suivante, et Suárez récupèrera le Ballon d’or en fin d’exercice, à une époque où des légendes évoluent dans le camp d’en face. « Il y a eu énormément de grands joueurs espagnols qui ont mérité cette récompense, mais ça dépend beaucoup de la période, analyse l’intéressé. Il faut avoir un peu de chance. En même temps, c’est un vrai plaisir de l’avoir décroché à l’époque de Di Stéfano ou Puskás, qui sont d’immenses footballeurs. » Le Ballon d’or, Luis Suárez le cannibale ne le décrochera peut-être jamais. Peser 75 millions d’euros, ça ne fait pour l’instant pas un palmarès. En revanche, une telle somme d’argent va obliger El Pistolero à sortir l’artillerie lourde aussi vite que possible. En guise de coup de main, son homonyme, victime d’un partage des fans entre Kubalistas et Suaristas à son époque, possède un avis sur la question : « Messi marque moins de buts en ce moment, mais il fait beaucoup de passes décisives à Neymar. Avec son style de jeu, ça se passera de la même manière avec Luis Suárez. C’est le dernier arrivé et il sait qu’il aura besoin de Neymar et Messi. S’ils sont intelligents, il faut que l’un des trois renonce à ses ambitions personnelles pour le bien de l’équipe. » Dans le cas contraire, le spectre du 3-0 planera sur le Bernabéu.

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