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La Serie A et le tabou espagnol

Par Alexandre Pauwels
6 minutes
La Serie A et le tabou espagnol

Mata, Torres, Cazorla, Reina et quelques autres. L'Espagnol s'exporte bien en Angleterre, beaucoup moins en Italie. De Mendieta à Bojan actuellement en passant par Javi Moreno, le Calcio est impitoyable avec les transfuges de la Liga. Tentative d'explication.

L’Espagne, championne du monde et double championne d’Europe. Une tradition de techniciens de classe, des joueurs de valeur qui s’exportent bien. Sauf en Italie. Un pays qui pourtant fut par le passé l’une des destinations parmi les plus prisées, « the place to be » pour un joueur souhaitant être reconnu au niveau international. Mais pour un club italien, l’achat d’un Espagnol, aussi doué et expérimenté soit-il, relève de la prise de risque plus qu’autre chose. C’est drôle, mais c’est comme ça, et cela fait trente ans que ça dure. Parce que si ça n’a pas toujours été le cas, sur les 39 Espagnols qui ont foulé les prés de Serie A, ils sont bien peu à s’y être imposés. Pourquoi ? C’est là toute la question. Mais le tabou est bien réel.

Les Espagnols en Italie, des débuts en fanfare et une rupture

Pourtant, l’Italie a aimé les Espagnols à une époque, et ils le lui ont bien rendu. Le précurseur n’est autre que Luis Suárez, qui rejoint l’Inter en 1961, pour finalement rester douze ans dans le calcio. Il sera notamment le playmaker de la célèbre Inter d’Helenio Herrera, qui raflera trois titres de champion d’Italie, et deux Ligues des Champions. Luis Suárez, ou le seul Espagnol de l’histoire à avoir raflé un Ballon d’or, soit dit en passant. La même année, le milieu de terrain Juan Santisteban débarque à Venise, où il restera deux saisons. Et l’année suivante, deux nouveaux Ibériques arriveront en Italie, eux aussi pour y rester un moment : le milieu Luis Del Sol, qui portera huit saisons le maillot de la Juve avant de jouer deux ans à la Roma, et Joaquín Peiró, qui passera quant à lui huit saisons entre le Torino, l’Inter et la Roma. Ces quatre premiers joueurs espagnols ont tous apporté satisfaction à leurs clubs. Or, 26 ans s’écouleront entre l’arrivée des Del Sol et Peiro, et celle d’un nouveau compatriote. Une durée bien longue, ce qui est étrange au fond, tant ces joueurs avaient posé les bases de ce qui devait être une collaboration fructueuse.

Le plus étrange dans tout ça, c’est que rien ne sera plus pareil. À partir de 1988, et l’arrivée de Víctor Muñoz à la Super Samp, aucun Espagnol ne trouvera la réussite dans le calcio. Avec trois pics de déception, qui n’ont fait qu’entretenir l’idée d’un tabou : Iván de la Peña, José Mari, et surtout Gaizka Mendieta. Le premier débarque à la Lazio en 1998, après avoir ses preuves au Barça. Coût de l’opération pour le club romain : 15 millions d’euros. Auteur de bons débuts, de la Peña semble régresser, et se tire finalement dès la fin de saison. José Mari, lui, a coûté plus de 20 millions au Milan AC, et possède en 1999 un statut de pépite, du fait de ses 21 ans et de bons débuts à l’Atlético. Il jouera trois saisons pour les Rossoneri, présentant des stats faméliques, avec 5 buts en 52 rencontres. Mais rien ne peut être pire que Gaizka Mendieta. La Lazio, qui n’a pas compris la leçon, enrôle la star du FC Valence contre 46 millions d’euros en 2001. Un transfert qui restera comme l’un des plus gros bides de l’histoire : Mendieta ne jouera qu’une saison et une vingtaine de matchs, en raison notamment d’une condition physique déplorable. S’ils n’y avaient qu’eux, passe encore. Mais on pourrait citer Rafael Martín Vázquez (Torino), Francisco Farinós (Inter), Javi Moreno (Milan), Ivan Helguera (Roma)… Des joueurs qui ont tous suscité des attentes, et qui ont tous déçu. La plupart ne sont d’ailleurs restés qu’une saison, preuve que quelque chose coince en Italie pour les joueurs espagnols. Mais quoi ?

Une histoire de jeu et d’environnement

« Si j’étais président d’un club, je ne prendrais pas d’Espagnols. Pour une question de culture et d’environnement, ils ont des difficultés d’adaptation. Plus précisément, ils n’ont jamais réussi en Italie. Je ne sais pas pourquoi, mais en Italie, ils ne fonctionnent vraiment pas. » Ernesto Bronzetti, agent spécialisé dans le mercato espagnol, exprimait cet été à SkySport un sentiment partagé par beaucoup d’observateurs. Mais des raisons à la difficulté d’adaptation des Espagnols, il y en a. À commencer par le jeu, sensiblement différent : « Pour un joueur, il y a une énorme différence entre l’Espagne et l’Italie. Disons qu’en Espagne, on est axé sur le beau jeu avec le plaisir de jouer, l’Italie, c’est la rigueur défensive et tactique. Du moins, du temps où j’étais joueur, c’était beaucoup plus contraignant et dur en Italie. Mentalement, ça bouffe énormément » , résume Jocelyn Angloma, ancien international français qui a joué trois ans en Serie A, et cinq saisons en Liga (avec Mendieta, d’ailleurs). Il argumente : « Pour moi, cette différence peut expliquer le manque de réussite des Espagnols en Italie. Parce que les Espagnols sont tellement habitués à jouer, à avoir des entraînements moins contraignants… Est-ce qu’ils sont suffisamment préparés sur le plan physique pour ce genre de travail ? Je ne pense pas. Après, quand tu vois jouer les Espagnols, contre des Italiens par exemple, ils ont le contrôle du ballon. Mais en Espagne, il y a beaucoup moins de contacts. » Autre élément inhérent à la vie du footballeur de Serie A, plus qu’à un joueur de Liga, la pression médiatique, qui atteint un niveau monstre dans la Botte. Et ce, quel que soit le club : « L’environnement est également difficile en Italie. En Espagne, tu as deux clubs à forte pression médiatique. Le Barça, et le Real surtout. Mais en Italie, l’exigence est partout : les médias, le public, il y a énormément de pression. En Espagne, on a beaucoup plus le temps de vivre le foot » , poursuit Angloma. Des arguments qui peuvent tout aussi bien expliquer les échecs répétés d’Espagnols très attendus, que la réussite actuelle d’un Borja Valero.

Parce que si le milieu florentin réalise un excellent début de saison, il le doit aussi à la tactique d’un Vincenzo Montella, et sa philosophie de jeu basée sur la possession, ce qui permet à un joueur technique de s’épanouir. D’autant plus s’il est espagnol, et habitué « à jouer et prendre du plaisir » . Comme le conclut le principal intéressé : « Au début, c’était difficile, la Serie A est beaucoup plus physique et tactique que la Liga. Mais j’ai réussi à surmonter les difficultés, et ce championnat me plaît beaucoup. Je veux prouver qu’un Espagnol peut réussir en Italie. » Après de très bons débuts, Borja Valero n’a plus qu’à espérer qu’il ne fera pas une « de la Peña » . Et vous l’aurez compris, on ne dit pas ça pour une éventuelle ressemblance capillaire.

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