Et ça continue, encore et encore
Cette énième escarmouche ne doit pas être réduite à des personnalités incompatibles ou au fossé des générations. Certes, l’enfant de Bondy et son entourage avaient peu goûté la communication de la FFF et les déclarations de Noël Le Graët, après son refus d’assister à une séance photo avec les partenaires des Bleus lors du rassemblement de mars à Clairefontaine. En cause, la volonté de laisser croire que le joueur était motivé par l’appât du gain, au détriment de ses coéquipiers, quand au contraire il mettait en avant des problèmes éthiques et la question de la redistribution de cette manne commerciale vers le foot amateur. Depuis, les avocats ont pris langue pour rediscuter les contrats.

De fait, la situation est assez inédite pour la Fédération, et la partition que récite Kylian Mbappé marque un tournant pour les Bleus. L’équipe de France, le principal « actif » de l’entreprise fédérale, a toujours été surveillée comme l’eau qui bout par les instances. Les échecs retombaient toujours sur les sélectionneurs et éventuellement le staff. En outre, les capés affichaient toujours le même profil du mouton noir, égoïste et mégalo, qui refusait la discipline et le respect de l’autorité qu’implique de porter le maillot bleu. Des personnalités faciles à disqualifier auprès de l’opinion, à l’exemple de Nicolas Anelka. Le désastre sud-africain l’illustre d’ailleurs parfaitement. La volonté des joueurs de s’ériger face à leur direction pour défendre l’un des leurs avait été complètement sabordée par une mise en scène désastreuse de la part des mutins.
Mbappé et le nouvel ordre
Or, et voilà qui nous ramène au cas actuel, Kylian Mbappé semble infiniment plus maître du jeu, et pas seulement sur le terrain, mais aussi dans sa communication, que la Fédération. Au point parfois de peser autant que l'institution. Il contrôle parfaitement son expression publique et médiatique, et a compris qu’il représentait bien davantage qu’un footballeur, surtout en sélection. Ses prises de positions et ses déclarations sont millimétrées et précises. Son interview sur le plateau du journal du soir de TF1, détaillant les raisons de sa prolongation au PSG, constituait un chef-d’œuvre en la matière, mixant élans patriotiques et choix professionnels, avec la petite touche personnelle sur la vie privée. Il n’ignore rien du modèle qu’il incarne désormais dans le pays. Un sportif que le président de la République appelle afin de le convaincre de rester en Ligue 1, et donc en France.

Le rapport de force a donc changé. Les coups d’intox ou de com' du président de la FFF trouvent en face une opposition qui pèse aussi lourd. Kylian Mbappé n’a plus peur de s’exprimer et de contredire. Il se sait incontournable dans l’effectif et peut compter sur la sympathie d’une grande partie du pays, par-dessus les divisions partisanes (à l’inverse de Karim Benzema, très clivant). Par ailleurs, Noël Le Graët se trouve affaibli dans une fin de règne qui s’éternise. La Fédération traverse elle aussi une période difficile, comme en témoignent les remous autour de son plan social ou encore le fiasco de la finale de la Ligue des champions. À cinq mois de la Coupe du monde, et après un mois de juin catastrophique en Ligue des nations, la suite promet d’être tout aussi passionnante à observer. Didier Deschamps, lui, ne pourra pas éternellement se tenir à l'écart.
Par Nicolas Kssis-Martov
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