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La Corse, Île de Beauté et terre de foot

Par Aymeric Le Gall
La Corse, Île de Beauté et terre de foot

Avec ses 320 000 habitants et ses trois clubs professionnels, dont deux évolueront en Ligue 1 cette année, la Corse est bel et bien de retour au premier plan du foot français. Quels sont les ingrédients de la vitalité du ballon rond sous pavillon maure ? Tentative d'explications d'un irrationnel succès du football au pays des sangliers.

La Corse est une anomalie. Loin d’être provocateur, ce constat brut est, bien au contraire, un des plus beaux compliments qui puissent être. Car il faut entendre par là que l’Île de Beauté est une anomalie footballistique. Une bizarrerie qui ferait baver d’envie un bon nombre de régions dans l’Hexagone. Jugez plutôt : selon le dernier rapport de l’INSEE, la Corse compte un peu plus de 320 000 habitants, ce qui représente l’équivalent en matière de population d’une ville comme Nantes ou Nice. Pourtant, cette île ne compte pas moins de trois clubs professionnels de football avec le Sporting Club de Bastia et, fait quasi exceptionnel en France, l’Athletic Club et le Gazélec tous deux issus de la même ville d’Ajaccio. Si l’on ajoute à cela le CA Bastia qui évolue en National, les fans de logique ont de quoi se fracasser la tête contre les murs. Et cette année encore, comme lors de la saison 2012-2013 et 2013-2014, la Corse sera fièrement représentée dans l’élite du football français par deux clubs insulaires, le Sporting et le Gaz’. De quoi hanter les rêves et pourrir l’été ensoleillé de la plus célèbre moustache du foot hexagonal. Alors, à l’heure où les mots « Corse » et « football » résonnent à l’oreille des Français comme l’alarme incendie dans celles d’un étudiant en socio siestant en amphi après la pause déjeuner, il paraît opportun de donner un coup de projo à cette « anomalie positive » et de comprendre pourquoi, cette année, encore 1/10e des équipes de Ligue 1 seront sous pavillon maure.

L’histoire avec un grand H

Pour tenter d’expliquer l’irrationnel, nous avons fait appel à un « pinzutu » , ou pinsut en français (prononcer pine-soute), c’est-à-dire, pour les Corses, un Français venu du continent. Mais pas n’importe lequel, puisqu’il s’agit de Frédéric Hantz, cet ancien coach du Sporting (2010-2014) toujours adulé à Bastia pour le travail effectué, l’amour et la dévotion dont il a fait preuve lors de son passage remarqué à Furiani. Pour lui, « l’explication est avant tout historique » et trouve son origine dans « l’invasion des troupes de Louis XV, en 1769, alors même qu’il y avait un accord avec la France pour protéger la Corse des Génois. Pour moi, tout part de là. » On pourrait penser qu’on est bien loin de notre sujet initial, mais en fait pas tant que ça. Car même si la réalité historique diffère sensiblement de ce que dit l’ancien coach bastiais (il précise lui-même ne pas être « historien, mais passionné de football » ), le royaume de Louis XV ayant au contraire tenté de protéger les possessions génoises en Corse, avant finalement de se faire céder l’île par les Italiens, sa conclusion est en revanche tout à fait crédible : « C’est une île de combat tout simplement, et ça, il ne faut jamais l’oublier. » Que ce soit contre les Italiens ou les Français, le peuple corse est historiquement un peuple en lutte. L’ex-entraîneur de Bastia va même plus loin : « Cette vitalité s’explique par ça, par ce que sont ces hommes et ces femmes ici en Corse. Elle commence à partir d’une invasion de la France qui n’a jamais été reconnue. Je pense que la Corse lutte symboliquement contre la France à travers le football. »

Bel et bien française aujourd’hui, l’Île de Beauté n’en reste pas moins une région, un pays à part. Avec sa culture, ses codes, son histoire, ses valeurs. Et ce sont justement ces valeurs, cette âme corse auxquelles Frédéric Hantz fait référence. « L’omu di tanti nemici un more mai » ( « L’homme chargé d’ennemis ne meurt jamais » ). Si ce proverbe corse ne s’applique pas en toutes circonstances et en tous lieux, il est en revanche taillé sur mesure pour le peuple de l’Île de Beauté. Il en est le reflet éclatant de son histoire. D’abord frappée du joug de la domination de la République de Gènes, puis conquise par le royaume de France, la Corse n’en a pour autant jamais perdu son identité ni sa soif de liberté. Quelque 250 années plus tard, c’est à travers le football que celle-ci tente d’exister, envers et contre tous. Selon l’ancien entraîneur du Sporting, « la Corse a du mal à exister d’un point de vue politique et économique et c’est donc à travers le football qu’elle parvient en partie à le faire aujourd’hui. Le foot est un vrai curseur de comparaison : quand un club corse est en première division, ça veut dire qu’il est avec Paris, Lyon, Marseille, etc. C’est pour ça qu’autant d’énergie est mis en œuvre pour le foot parce que c’est un véritable moteur pour l’île. Quand tu as Bastia et Ajaccio en Ligue 1, les gens se disent qu’ils sont à la hauteur de ce qui se fait ailleurs en France. »

La Corse te rend ce que tu lui donnes

C’est bien beau tout ça, mais faut-il rappeler qu’à l’inverse des années 70, lorsque la plupart des effectifs corses étaient quasi uniquement composés d’éléments du sérail, les clubs aujourd’hui comptent bien moins de joueurs locaux que par le passé ? Entraînant inexorablement un effritement de cette identité et de ce caractère propre aux Corses. Pour Hantz, pas besoin d’être né là-bas pour porter haut et fier les couleurs d’un club comme le Sporting : « Quand tu arrives là-bas, tu te prends l’histoire de l’île en pleine gueule. Quand tu vas jouer ou entraîner dans un club corse, tu sais que tu vas ailleurs que Toulouse, Bordeaux, Saint-Étienne ou n’importe quel club français. Je dis « français » volontairement, car on peut dire ce que l’on veut, la Corse, ce n’est pas la France et il faudrait que tout le monde l’admette. » Lors de son arrivée en Corse, Hantz a très vite compris qu’il mettait les pieds en terre sacrée : « Je ne viens pas entraîner un club de foot, je viens entraîner le Sporting » , avait-il ainsi déclaré. Le mariage était scellé. Et même si, pour ce Corse d’adoption, « il faut évidemment garder une ossature corse dans l’effectif, les joueurs qui viennent d’ailleurs savent exactement où ils mettent les pieds. Ils savent lire l’histoire du club et ils s’y inscrivent instantanément. Tu n’as pas besoin d’être corse pour arriver là-bas et t’adapter. Même si tu recrutes des Gaulois (sic !), ils vont s’y mettre de suite. » Un sentiment partagé par l’historien Didier Rey, maître de conférence à l’université de Corse et spécialiste du football local : « Ce qui est intéressant ici, c’est qu’on assiste à une affirmation identitaire ouverte. C’est-à-dire que peu importe le joueur qui porte le maillot à partir du moment où il donne tout pour le club et qu’il s’identifie à ses valeurs… »

Système D, amateurisme et carte postale

Pour Patrick Secchi, le journaliste de Corse-Matin, les arguments sont plus factuels et contemporains. Selon ce reporter basé à Ajaccio, trois mots résument les clubs de football professionnels sur l’Île de Beauté : « La débrouille, l’entraide et l’implication. » « Au Gazélec aujourd’hui, il n’y a presque que des bénévoles et ça reste fondamentalement un club amateur dans la gestion. Il y a des exemples frappants : c’est le directeur sportif qui a installé la pelouse avec des bénévoles pas plus tard qu’il y a deux semaines ! Ça traduit un état d’esprit. Il y a un côté famille où tout le monde est soudé, où on essaye de faire plus que ce qui est possible. C’est cet état d’esprit que les clubs essayent d’inculquer tout de suite aux joueurs. De toute façon, quand ils débarquent à Ajaccio et voient les infrastructures du club, ils comprennent vite ! » Signer en Corse n’est pas un geste anodin. On vient ici pour se frotter à de nouvelles expériences, chercher une aventure comme on n’en a jamais connue ailleurs. « Le moteur de tout ça, c’est l’envie de découvrir quelque chose de vraiment différent, confirme Fred Hantz, de mettre du piment dans sa vie et dans son métier. » En venant évoluer ici, les joueurs sont donc mentalement prêt à affronter ce flot d’émotion pure.

Au point de se sentir investi d’une mission auprès du peuple corse ? « Complètement, nous répond du tac au tac Patrick Secchi, notamment parce qu’il y a une très grande proximité avec les supporters. Ajaccio et Bastia sont finalement assez petites, et il n’y a pas de barrière entre les deux mondes. Les gens peuvent directement venir discuter avec les joueurs et ceux-ci se sentent très vite investis d’une mission ou, du moins, ils se sentent très concernés. » Pour Didier Rey, les clubs aussi ont retrouvé ces dernières années un rôle de catalyseur identitaire puissant : « Les transformations de la société corse se sont vraiment accélérées avec une impression de perte totale de repères, le creusement des inégalités (la Corse est la première ou la deuxième région de France en terme de pauvreté de la population), l’appauvrissement, la spéculation et le sentiment de dépossession foncière. Ces problématiques nouvelles ont permis aux clubs de se voir investis d’un pouvoir identitaire très fort. Et ça, les entraîneurs successifs, que ce soit Hantz ou Printant à Bastia l’ont très bien compris et très bien utilisé vis-à-vis de leurs joueurs. »

On parle de valeurs, de fierté, de don de soi, mais on ne va pas non plus se la raconter. Parapher un contrat avec un club corse, c’est aussi l’assurance d’une vie ensoleillée, le tout dans un cadre paradisiaque de carte postale (encore que la fureur immobilière a quelque peu ravagé le charme naturel de la côte corse). Sur ce point, Frédéric Hantz se marre et acquiesce : « La première chose que je faisais quand on était en contact avec un joueur, c’était de lui montrer le terrain d’entraînement qui est juste à côté de la plage ! C’est sûr que le cadre de vie est un élément important à mettre au profit des clubs corses. Mais cela ne fait pas tout. Je pense qu’à challenge et salaire égal, Mika (Landreau, ndlr) comme Jérôme (Rothen, ndlr) par exemple n’auraient probablement pas signé à Valenciennes. Sans manquer de respect à Valenciennes bien sûr ! »

Le vilain petit insulaire ?

Le dernier point important qui pourrait permettre d’expliquer la puissance du foot à la tête de maure, c’est encore et toujours ce sentiment du « seuls contre tous » . Que ce soit à travers les médias ou les instances du foot, le foot corse a mauvaise publicité et il le fait savoir. Tantôt exagéré, tantôt parfaitement fondé, ce sentiment d’inégalité impacte forcément les mentalités des joueurs. « C’est effectivement une réalité, confirme Hantz dans un premier temps, même s’il y a en Corse une certaine forme de paranoïa, il faut dire le mot. Mais, dans un sens, cette paranoïa a maintes fois été confirmée dans les faits. L’exemple de Thiriez le prouve. J’en parle d’autant plus facilement que j’ai aussi vécu ces préjugés en allant en Corse quand j’entraînais d’autres équipes. Les médias nationaux font clairement de la désinformation et ne prennent pas la mesure de toutes les problématiques qui touchent le pays. »

Le constat est partagé par l’historien Didier Rey, quoique plus nuancé dans ses propos : « Oui, la victimisation à des bases réelles. Jusqu’à la fin des années 80, il y a effectivement des mesures clairement discriminantes (dans l’ancien règlement du foot amateur par exemple, seule la Corse ne pouvait pas avoir plus d’un club en CFA. Ça a duré jusqu’en 93 et la réforme du CFA !). Aujourd’hui, c’est un peu différent, même si les attitudes insultantes ou du moins très maladroites de Frédéric Thiriez n’arrangent pas les choses. Après, il faut être clair : aujourd’hui, les clubs insulaires se servent aussi de ça pour cacher leur déficience ou leurs erreurs. » À ce sujet, l’enseignant-chercheur tient également à modérer l’hypothétique hype du foot corse. « Je ne parlerais pas de vitalité, car si l’on excepte le parcours du Gazélec la saison dernière, pour le reste, c’est très médiocre (à des degrés différents, le SCB et l’ACA se sont maintenus dans la douleur, et le CA Bastia a été repêché de justesse en National, ndlr). Qu’est-ce qu’il ressort de tout ça au final ? La capacité sur le terrain à accéder au plus haut échelon, et après ? Après, il y a toujours l’éternel problème des infrastructures, des finances et de la pérennité dans l’élite. Donc oui, c’est bien, mais en même temps, c’est un peu l’arbre qui cache la forêt… » Force ou faiblesse, à chacun maintenant de se faire sa propre idée. En attendant, ce sont bien deux clubs made in Corsica qui tenteront la saison prochaine de représenter leur île en Ligain. L’anomalie leur va si bien.

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Par Aymeric Le Gall

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