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La comète s’en est allée…

Par Rico Rizzitelli
8 minutes
La comète s’en est allée…

Stéphane Paille, l’ancienne météorite du FC Sochaux et de l’équipe de France Espoirs, est mort mardi dans un hôpital lyonnais. À sa façon, discrète, singulière et paradoxale ; après une existence empreinte de bruit et de fureur.

Peut-être que tout a finalement commencé à dérailler en ce samedi de juin 1988. Dans l’étuve du Parc, en ce jour de finale de Coupe qui préfigure l’été, le FC Sochaux-Montbéliard laisse échapper une finale qu’il ne doit jamais perdre. Le club de Peugeot sort pourtant d’une saison vertigineuse qui le voit survoler le groupe A de la deuxième division (16 points d’avance sur l’OL, humilié à Gerland (1-7), au tout début de la mandature Aulas) et fracasser quatre équipes de l’élite (PSG, Montpellier, Nice et Lens) pour accéder à l’ultime match de la saison. « On venait de descendre et le coach, Silvester Takac, a misé sur une ossature de jeunes qui avaient remporté la Gambardella (en 1983) avec Faruk (Hadžibegić) et Meša (Baždarević) pour nous encadrer. Dès le début, notre jeu s’est mis en place et ça a duré deux ans. Comme on était potes en dehors du terrain, notre collectif et l’insouciance de l’âge ont fait des miracles » , assure Jean-Christophe Thomas, coéquipier de l’époque et futur vainqueur de la Champions’ avec l’OM.

Baždarević : « Stéphane était un flambeur, mais il était propre à l’intérieur »

Stéphane Paille – mort ce mardi à l’hôpital de la Croix-Rousse à Lyon, le jour de son cinquante-deuxième anniversaire – ne se doute pas encore que sa vie et sa carrière ne seront qu’une longue variation autour de L’Enfer de Dante. Bien qu’évoluant en D2, Sochaux aborde cette finale contre Metz dans la peau du favori. Les Doubistes survolent la première mi-temps et ouvrent le score sur une volée superbe de Paille. Le collectif messin, peuplé de barbons retors (Cartier, Zanon, Zénier, Hinschberger…), plie, mais ne rompt pas. Il égalise juste avant la pause par l’Écossais Eric Black. Plus rien ne sera marqué jusqu’aux tirs au but. Sochaux déploie son brillant jeu collectif en vain ; les meilleures occases sont pour Metz. « Nous avions éliminé à la régulière quatre équipes de 1re division et on se disait que ça allait finir par passer. Avec Stéphane (Paille), Franck (Sauzée) ou Meša, on possédait une grosse puissance de feu. Sur les coups de pied arrêtés, on avait en plus Faruk et Franck Silvestre, mais rien n’y a fait. Arrivé à la prolongation, le match nous a échappé et la pression a changé de camp » , soutient Fabrice Henry, titulaire lors de cette finale. Un jeune professionnel de vingt ans prend le cinquième tir un brin dilettante. Ettore, le portier lorrain, l’arrête. Le FC Metz remporte sa seconde Coupe de France, quatre ans après la première. En 1988, Mickaël Madar portait déjà la poisse…

L’été suivant, tous les grands clubs français veulent enrôler un Sochalien, mais seul l’OM de Tapie y parvient, avec la signature de Franck Sauzée. Bonne pioche, dix mois plus tard, le natif d’Aubenas donne le titre aux Phocéens contre le PSG. Le premier depuis dix-sept ans. Sochaux poursuit sur sa lancée avec sa pouponnière et termine 3e ex aequo, devancé au goal average par Monaco. Il jouera la Coupe de l’UEFA. Arrivé en 1982, à dix-sept ans, dans l’arrondissement de Montbéliard depuis sa Haute-Savoie natale, Stéphane Paille prend le temps de s’amuser. « Il était connu par ici pour aimer faire la fête et brûler la vie par les deux bouts, promet Gilles, un supporter du 12 sochalien.Peut-on reprocher à un gamin de vingt balais de profiter de la vie et de claquer de la thune ? » Dans toute la « French County » , tous les noctambules connaissent la générosité de Paille. Il aime la bringue et se faire des amis. « Stéphane était un flambeur, mais il était propre à l’intérieur. C’était une belle personne, avec une vraie gentillesse » , défendait, hier, Mecha Baždarević, sur le site de France Football.

Il dompte l’Italie de Maldini et l’Angleterre de Gascoigne

Tous ces à-côtés sont pour l’instant sans conséquence… En décembre 1988, le Sochalien est élu « meilleur joueur français de l’année » après… cinq mois de première division. Il le doit pour beaucoup au parcours de l’équipe de France Espoirs, sacrée championne d’Europe à Besançon, en octobre. Ses coéquipiers s’appellent alors Blanc, Cantona, Roche, Galtier, Guérin, Sauzée, Buisine et Silvestre. Paille a été décisif contre la RDA en poules, l’Italie de Maldini et Rizzitelli en quarts de finale et l’Angleterre de Gascoigne et Keown au tour suivant. En finale, ce sera au tour de ses potes de club, Sauzée et Silvestre, de faire la différence. Éric Cantona est absent (suspendu) après avoir insulté Henri Michel ( « sac à merde » ), le sélectionneur des A. Il le retrouvera quelques mois plus tard à Montpellier.

« On se l’était juré avec Canto, on allait emmerder le monde… »

Début 1989, il continue sur sa lancée. Quinze buts dans l’élite, après les dix-huit de l’exercice précédent. « C’était un avant-centre complet, technique, puissant, qui savait décrocher, remiser, participer au jeu, doué pour tout dire. Il avait trouvé à Sochaux l’environnement idéal pour s’épanouir » , se rappelle Thomas. Ce sera comme son chant du cygne. En mars, il connaît sa dernière sélection chez les A. Déjà, Stéphane Paille préfère la vie à son métier. Les plus anciens supporters dégainent depuis toujours un seul refrain : « S’il avait été sérieux, il aurait été titulaire en équipe de France avec Cantona. Papin était moins doué et l’a été… » En juillet, Louis Nicollin reconstitue le duo des Espoirs. « On se l’était juré avec Canto, on allait emmerder le monde. Se foutre de ce que l’on nous conseillait ; jouer ensemble, c’est tout » , dira joliment Paille un peu plus tard. Cette morgue teenage lui sera fatale. La lune de miel ne dure pas. Montpellier s’enlise. Au mercato d’hiver, Paille file à Bordeaux, tandis que Cantona reste et finit par gagner la Coupe de France avec le club héraultais en fin de saison. Leurs trajectoires ne se croiseront plus jamais, même si le Haut-Savoyard ne se dédira jamais de cette amitié qui s’étiole…

Nicollin, Paille et Cantona

À partir de là, rien ne sera plus pareil. Paille file à Porto l’été suivant. Il a vingt-cinq ans et sa carrière est déjà derrière lui, ou presque. Au Portugal, Artur Jorge le fait jouer au début (22 matchs, 8 buts) avant d’en faire un remplaçant. Depuis son départ de Sochaux, et à l’exception de son séjour à Caen (1991-1993), ce sera un club par an, voire moins : Montpellier, Porto, Caen, Bordeaux, Lyon, Servette, Mulhouse, Heart of Midlothian. En Normandie, il donne le change (26 buts en deux exercices) et enflamme même les téléspectateurs de TF1 contre Saragosse en Coupe de l’UEFA, un soir de septembre 1992, avec un doublé. Une performance un peu vaine puisque le Stade Malherbe est éliminé au retour. « Je suis triste, mais il laissera une grande image, celle d’un mec atypique, pétillant, boute-en-train, déconneur et emmerdant. C’était quelqu’un d’assez généreux dans tout ce qu’il faisait, dans tous ses excès » , résumait mardi au micro de France Bleu Normandie Xavier Gravelaine, son coéquipier de l’époque.

Cannabis, amphétamine, cocaïne et prison

Le temps passe, Stéphane Paille aime toujours autant la teuf et glisse parfois dans la rubrique des faits divers. En septembre 1995, il est contrôlé positif au cannabis et assure vouloir arrêter sa carrière. Après une suspension d’une paire de mois, il retrouve Gilles Rousset, son pote de Sochaux, à Heart of Midlothian, en Écosse, à l’été 1996. Il s’éclate avant que la vie ne le rattrape. En avril 1997, lors d’un « contrôle aléatoire » de la Fédération écossaise avant un match contre Kilmarnock, l’ancien international français est positif au Dinintel, un amphétamine puissant, destiné à l’amaigrissement. Hearts casse son contrat. L’année précédente, en juin 1996, Paille avait été mis en examen dans le cadre d’une enquête sur les ramifications d’un réseau de drogue dans l’Ain. Un trafiquant lui fournissait de la cocaïne, et le livrait à domicile à Monaco, Marignane, Annemasse ou Megève pour un total estimé à 120 grammes. Fin 1994, alors qu’il évoluait au Servette de Genève, Stéphane Paille prête à son dealer 50 000 francs (8000 euros) « sans avoir, à l’époque, de doutes sur le personnage » . Ces affinités électives lui valent d’être condamné en juin 1997 à dix-huit mois de prison, dont 14 avec sursis par le tribunal correctionnel de Bourg-en-Bresse, pour « acquisition, détention, transport, usage et complicité de trafic de stupéfiants » . La paille et la poudre : sa carrière est officiellement terminée.

Deux ans plus tard, il reprend comme entraîneur de la réserve là tout a commencé, à Sochaux. Son cocon. Il y reste trois ans avant de prendre en charge Besançon avec Bruno Génésio comme adjoint. Il est promu en Ligue 2 avant d’être relégué l’année suivante et d’être licencié. Son parcours de coach ressemble vite à la trajectoire erratique de sa carrière de joueur. Il reste un an ou moins au Racing, à Angers, à Cannes, à Évian, à Vénissieux ou à la JSM Béjaia, en D2 algérienne. Incapable de se fixer. « Si vous ne me l’aviez pas rappelé, j’aurais oublié qu’il a entraîné le SCO » , cingle, malgré lui, un dirigeant du club du Maine-et-Loire, d’où il sera limogé au bout de six mois, en janvier 2006. Parfois, le sort s’en mêle. Au Racing, en 2005, après une première saison encourageante (6e), le club fait faillite. À Évian, il est mis à pied en janvier 2010, alors que le club est leader du National… « Sa vie laisse un goût d’inachevé infini, glisse un coéquipier des jeunes années dans le Doubs. Il était doué, brillant et promis à un immense avenir. Ce n’est pas un hasard s’il s’entendait à merveille avec Cantona. Au lieu de quoi, il s’est abîmé et sa vie a ressemblé à un enfer. Il n’en laissait rien paraître, ce doit être l’élégance des meilleurs fêtards. Après, on peut se demander pourquoi il est allé si loin, pourquoi avait-il besoin de la reconnaissance de parfaits inconnus… C’est d’une tristesse absolue. » Une tristesse qui a pris fin hier à Lyon, des suites d’une « maladie foudroyante » …

C’était Stéphane Paille…
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