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L’étoffe des héros

Par Nahuel Gallotta, à Buenos Aires / Photos : Ignacio Colo et XXX
L’étoffe des héros

Au pays des papelitos, du « Decime que se siente », du papier toilettes dispersé sur les pelouses et des barras bravas, Rody Soria est aux banderoles ce que Banksy au street art. Une star. Qui compte notamment Carlos Tévez parmi ses clients.

Il gesticule et multiplie les gestes d’agacement comme un entraîneur sur son banc de touche. À l’ombre de sa casquette aux couleurs de Boca et affublé d’un T-shirt noir imprimé avec la tête du boxeur argentin Marcos « Chino » Maidana, Rody Soria s’excite, crie et bouge au milieu du rond central d’un modeste city stade de la banlieue de Buenos Aires. L’écho de sa voix et les airs lancinants d’une cumbia crachée par un vieux transistor poussiéreux résonne sur les murs blanc et bleu d’un endroit reconverti pour l’occasion en atelier d’artiste. Malgré la cacophonie ambiante et la sueur qui dégoulinent par tous leurs pores, ses assistants tentent tant bien que mal de comprendre ses indications : « Levez-le bordel, comme j’ai l’habitude de le faire ! Allez putain ! On se bouge ! » , râle Soria. Ce bordel, qui recouvre la totalité du parvis du gymnase et que les quatre hommes piétinent de leurs running est en fait une énorme banderole de 88 mètres de long et 45 mètres de large à la gloire des Xeneizes.

La toile, offerte par Carlos Tévez himselfpour se mettre dans la poche les barras bravas de la Doce avant son retour au bercail, a nécessité des litres de peintures, le domptage d’une machine à coudre capricieuse et pas mal de nuits blanches pour Soria et son équipe. Au total, un mois de customisation pour que le bout de chiffon devienne un « Telón » – sorte d’immense tifo de tissu – qui puisse fièrement être brandi par les ultras de la Bombonera lors du Superclásico contre River, comptant pour les huitièmes de finale de la Copa Libertadores. « Cela fait des semaines que je pense au jour où mon travail sera déployé dans le stade, s’émeut Rody. J’aurais pu finir le telon en 10 jours si j’avais voulu, mais j’y ai mis beaucoup d’amour pour que tout soit parfait. Faire des telon, c’est mon travail, j’y mets toujours du mien, mais celui-ci, c’est pour Boca : c’est mon sang, ma vie. Ça représente aussi un accomplissement, car mon travail sera vu par des millions de personnes à travers le monde. »

Tremblements, tombola et braquages à mains armées

Le métier de Soria, – customiser des méga-drapeaux pour différents groupes de supporters, donc -, n’existe qu’en Argentine. Tout a commencé il y neuf ans, au niveau de la porte 12 située juste derrière les cages. C’est dans cette tribune, véritable QG de la Doce, que le ciment de la mythique Bombonera commence à trembler à tous les matchs sous l’impulsion du groupe de supporters le plus sulfureux d’Amérique du Sud. À l’époque, Soria, alors (et toujours) membre de la Doce, décide d’organiser une tombola pour financer un drapeau de 30 mètres de long et 4,5 mètres de large. La banderole est, en soi, déjà énorme, mais Rody, sans s’en rendre compte, va révolutionner le monde des tribunes latino-américaines en passant un coup de fil à un ami carrossier. Avec l’aérographe de ce dernier, habituellement utilisé pour repeindre les tôles des voitures, Soria réalise en effet le premier telon 2.0. Le message est simple, flashy et télégénique : « Jugador N*12 » .

Les retombées médiatiques, elles, sont énormes, et les groupes de supporters adverses ne tardent pas à se rencarder sur les secrets de fabrication de la véritable star du Superclásico 2006. Les premiers à passer commande à Rody sont les barras bravas de Lanus. Quelques semaines plus tard, ce dernier réalise même son premier voyage d’affaire jusqu’à Mendoza, près de la frontière chilienne, pour customiser le telon de 110 mètres de la barra brava de Gody Cruz. Depuis, le designer improvisé a définitivement troqué les armes pour les aérographes. Une reconversion en forme de résurrection pour ce natif de la Boca. « À neuf ans, je volais déjà des autoradios pour m’acheter du mate et des petits gâteaux pour tremper dans le lait. J’ai été élevé dans la rue. Je n’ai jamais connu mon père et j’ai très peu fréquenté ma mère. En réalité, ma maison, ça a toujours été la Bombonera. J’y suis allé pour la première fois quand j’avais 7 ans. À 10 ans, je rentrais sans payer et à la fin des matchs, j’allais sur la pelouse pour demander des maillots aux joueurs. » Un destin cabossé pour celui dont la sortie de piste à vraiment eu lieu à l’âge de 16 ans. « C’est à cet âge-là que j’ai commencé à voler les touristes dans la zone de Caminito. En parallèle à cela, je faisais aussi des braquages à mains armées et d’autres conneries dans le même genre qui m’ont valu deux séjours en prison. Ce n’était pas une vie, c’était de la survie. »

Du sport à la politique

Vu le CV qui était le sien, pas étonnant, donc, que le repenti soit désormais un homme comblé. « Je n’ai jamais aimé travailler, mais j’adore confectionner des drapeaux. Le bordel qu’il peut y avoir dans les tribunes me rend fou. Le son des tambours, les papelitos, les fumigènes… C’est génial, s’extasie l’ancien repris de justice. Il a fallu que j’aie 35 ans pour que je gagne ma vie dans quelque chose qui m’émeut profondément… J’ai vu des gens chialer de joie en découvrant les telones que j’avais confectionnés. C’est très fort. » Tellement fort, que depuis quelques années, la réputation de Soria a largement dépassé les frontières argentines et du sport. Désormais, de nombreux partis politiques de tous bords, des entreprises privées, mais aussi des syndicats font appel à ses services. Des activités annexes qu’il n’a pas hésité à mettre en stand-by pour s’occuper de la banderole offerte par Carlos Tévez : « Je ne gagne pas un peso avec cette banderole, je la fais gratuitement. De toute façon je ne suis pas un chef d’entreprise, et je ne le serai jamais, avertit Soria. Je le fais parce que ça vient du cœur et parce que j’ai aussi envie que la fête soit complète. »

Seule certitude : Rody Soria ne pourra pas vivre ce moment de joie depuis la tribune. À l’instar d’autres membres de la Doce, il est interdit de stade depuis des années. « C’est un pur hasard si mon nom figure sur la liste de la police, parce que mes séjours en prison n’ont jamais rien eu à voir avec le monde du football, explique Soria sans grande conviction. Il m’est arrivé de pleurer parce que je ne pouvais pas rentrer dans le stade. Je suis un supporter de Boca, et quand je ne suis pas près de l’équipe, je sens que je dépéris. » C’est un peu la même chose avec Tévez, dont le frère appelle quasiment tous les jours Soria pour avoir un point de l’avancée du telon. « Il me demande où ça en est, quand est-ce qu’elle va être déployée en tribunes. Il a hâte et moi aussi » s’excite-t-il.

Gaz lacrymogènes et disqualification.

Le 14 mai dernier, comme prévu, Rody Soria n’a pas pu assister au match retour entre Boca et River comptant pour les huitièmes de finale de la Copa Libertadores. Assis devant sa télévision, il comptait bien se consoler en voyant le fruit de son travail être déployé par ses camarades de la Doce. Il n’en fut rien. Une heure avant le match, Sergio Berni, le secrétaire du ministère de l’intérieur argentin comparaissait devant les micros des télévisions locales pour informer que la banderole offerte par Tévez était interdite de stade pour des « raisons de sécurité » . Le match, placé à haut risque, finit par être suspendu au début de la deuxième mi-temps après que les joueurs de River Plate ont été aspergés de lacrymogènes par des supporters xeneize à leur sortie du vestiaire.

Disqualifié du tournoi, Boca a reçu un autre coup de massue, cette fois-ci en provenance de Turin. Carlos Tévez a en effet décidé, a priori, d’aller au terme de son contrat avec la Vecchia Signora, en juin 2016. Apparemment l’Apache, souvent critiqué pour ses relations étroites avec les barras bravas de Boca, serait revenu sur sa décision de tenter un come-back à la Bombonera en voyant les images de l’incident. Rody Soria peut être doublement déçu. Son illustre client l’a lâché. Surtout, il sait mieux que personne que les drapeaux blancs ne sont pas vraiment bons pour son business.

Après la trêve internationale, place au festin !

Par Nahuel Gallotta, à Buenos Aires / Photos : Ignacio Colo et XXX

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