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L’Energie du désespoir

Par Julien Duez
6 minutes
L’Energie du désespoir

L’information a fait grand bruit en Allemagne : il y a quelques jours, le groupe ultra Inferno Cottbus 99 a proclamé son auto-dissolution, après dix-huit ans d’existence. Il s’était imposé comme l’une des formations de supporters les plus violentes de tout le pays, et son importance n’avait d’égale que l’agonie permanente de l’Energie Cottbus, qu’il prétendait représenter.

Personne ne s’attendait à ce que les choses ne dégénèrent de la sorte. Lorsque par un tiède vendredi soir d’avril, l’Energie Cottbus se déplace chez son voisin et rival de Babelsberg, ni le public, ni les stewards, ni la police anti-émeutes ne prédisaient un tel déferlement de violence pour un match de D4. Jets de fumigènes, de fusées, de pétards, saluts, slogans et banderoles nazis, le tout dans un parcage majoritairement vêtu de noir. Très vite, les responsables sont pointés du doigt : il s’agit des Inferno Cottbus, l’un des groupes hooligans les plus violents d’Allemagne qui, sans le savoir, s’apprête à vivre ses derniers jours.

Pompiers pyromanes

Remontons quelques années en arrière. Des années qui font office de décennies tant la situation du club brandebourgeois s’est dégradée à vitesse grand V. En 1999, l’Energie Cottbus vient de monter en D2 pour la première fois depuis la Réunification. Le passage dans le purgatoire sera rapide puisque les Lausitzer accèdent à l’élite seulement deux ans plus tard. À l’époque, le RB Leipzig n’existe évidemment pas encore, et Cottbus fait office de seul et unique ambassadeur du territoire de l’ancienne RDA au sein de la Bundesliga. Avec le passage au XXIe siècle, les groupes ultras commencent à se structurer et deviennent de mieux en mieux organisés. À Cottbus, les joueurs de l’Energie ont désormais de nouveaux fidèles qui les suivent contre vents et marées : les Inferno.

Hélas, en Allemagne plus qu’ailleurs, le football est indissociable de la politique. Et dans le Land du Brandebourg, comme dans les autres anciennes provinces de RDA, l’extrême droite prend un malin plaisir à venir racoler auprès des perdants de la Réunification. Des groupuscules insignifiants aux partis plus structurés, c’est toute une région socio-économiquement défavorisée qui offre une tribune aux différents mouvements d’extrême droite, qui infiltrent volontiers les tribunes pour propager leurs discours de haine et de violence. Rapidement, les Inferno Cottbus entrent dans la danse néo-nazie et ne s’en cache absolument pas. Le cocktail devient alors explosif : entre les discours racistes et antisémites, les faits de violence et l’usage d’engins pyrotechniques, le club essuie moult amendes, ce qui n’aide pas à se stabiliser financièrement. Après avoir fait l’ascenseur entre la D1 et la D2, Cottbus sombre définitivement en 2009 et s’enfonce dans les divisions inférieures, jusqu’à disparaître du football professionnel à la fin de la saison dernière. Cette descente aux enfers a été une aubaine pour les Inferno. Plus la visibilité du club faiblissait et plus ils pouvaient se permettre de multiplier leurs agissements. Jusqu’à progressivement prendre le pouvoir dans toute la tribune.

En attendant la rupture du mauvais sort

La rencontre face à Babelsberg était retransmise à la télévision, régionale certes, mais les incidents ont été vus en direct par des dizaines de milliers de téléspectateurs. De quoi faire rejaillir la passivité de la direction de l’Energie, qui s’est fendue après coup d’un communiqué laconique dans lequel elle assimile les fauteurs à des « criminels » , qu’elle ne veut « plus voir » . Sauf que le mal était fait – une fois encore –, le groupe et ses agissements étaient de notoriété publique et aucune mesure drastique n’a été prise, ni par le club ni par les pouvoirs publics. Après dix-huit ans d’existence, la complicité est générale. Et les premières victimes sont les supporters eux-mêmes. Peu après les incidents de Potsdam, les langues ont commencé à se délier, après des années de mutisme justifié par la peur. « Jamais je n’ai vu autant de saluts nazis et entendu de « Sieg heil ! » en tribune que la saison dernière » , écrivait un supporter sur le site du quotidien Lausitzer Rundschau. D’autres ont pris leur courage à deux mains et témoigné, sous couvert d’anonymat, dans une enquête menée par des journalistes locaux et publiée la semaine dernière. Les résultats sont affligeants : bien que le noyau dur des Inferno Cottbus ne compte qu’une soixantaine d’individus, leur influence est telle que les autres spectateurs du kop n’ont d’autre choix que de suivre leurs directives sous peine de se faire rosser.

Un exemple récent s’est produit au mois de mars lors d’un déplacement à Bautzen, dans l’Est de la Saxe. Excédés par le comportement violent des Inferno et les jets d’engins pyrotechniques sur la pelouse, des supporters ont commencé à crier : « Nous sommes Cottbus et pas vous ! » Mal leur en a pris, ils ont été frappés, et le parcage est resté silencieux jusqu’à la fin de la rencontre. Car parmi les membres du groupe, on compte des hooligans professionnels, pratiquant les sports de combat à haut niveau et, dans un autre registre, des personnes liées au milieu du trafic de drogue et de la prostitution. Le tout sur fond de haine raciale et de nostalgie du nazisme. L’un des témoins de l’enquête affirmait qu’au fil des années, il s’était développé « une mafia d’extrême droite très structurée » .

Toute cette accumulation de violence et de haine a fini par prendre un tournant inattendu : l’auto-dissolution des Inferno, prononcée le 10 mai. Dans un communiqué publié sur Facebook, le groupe affirme sans ironie être victime d’une incompréhension totale de l’amour qu’ils portent à leur club et de campagnes de diffamation de la part de la direction. Estimant que les limites ont été franchies, ils proclament en conséquence la fin de leur existence. En réalité, le bad buzz avait atteint le point de non-retour, et cette décision n’est qu’un subtil moyen d’empêcher une interdiction de stade généralisée à l’égard des membres, qui n’aurait vraisemblablement pas tardé à tomber. Le week-end dernier, l’Energie a joué son premier match à domicile sans Inferno invectivant le public et l’adversaire. Mais les fans ne sont pas dupes. Des témoignages recueillis par un reporter de la télévision locale dépêché le jour du match affirment avoir vu des membres du groupe en tribune, incognito, ou à proximité de sa jeune garde Unbequeme Jugend (en français, la jeunesse gênante), désormais indépendante.

Sur le terrain sportif, l’Energie Cottbus terminera la saison à la deuxième place et devra par conséquent encore patienter avant de retrouver le football professionnel : seul le vainqueur du championnat participe aux barrages pour remonter en D3. L’année qui s’annonce va être déterminante : si la dissolution des Inferno est un signal clair envoyé vers un retour au calme, il est fort à parier que les hooligans reviendront très vite, plus forts et mieux organisés. Il appartient donc désormais à chacun de prendre ses responsabilités.

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