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L’Autriche, la nouvelle conquête de Ralf Rangnick

Par Maxime Brigand, à Vienne
7 minutes
L’Autriche, la nouvelle conquête de Ralf Rangnick

Arrivé sur le banc de l'Autriche début juin après être finalement parti de Manchester United, où il devait dans un premier temps accompagner Erik ten Hag dans un rôle de consultant, Ralf Rangnick a vite digéré son échec anglais et vit des débuts encourageants dans son nouveau costume. Cette nouvelle aventure est surtout l'occasion pour lui de prouver qu’il sait encore, à 63 ans, mêler les paroles aux actes. Difficile de ne pas l'en croire capable.

Au premier jour, il y a d’abord eu une fable, racontée entre deux clopes et un whisky sans glace par le poète argentin César Luis Menotti. Une histoire, vieille comme le monde, de chiens et de voleurs : « Mettez un chien devant la porte de chez vous. Imaginez ensuite deux voleurs. Le chien féroce se précipite sur le premier. Il aboie, se jette dessus, le poursuit, mais s’éloigne aussi de la porte. Du coup, l’autre voleur peut entrer tranquillement dans la maison et mener à bien son travail. Le chien de garde, lui, aboiera également sur le premier voleur, mais reviendra toujours vers la porte et ne cessera jamais de surveiller la maison. La morale est simple : le chien de garde joue en zone, le chien féroce joue l’homme. »

 Face au Danemark, vous avez pu voir que nous avions un très bon plan, que les choses ont bien fonctionné pour nous sur le terrain. Le sélectionneur ne veut pas qu’on laisse nos adversaires respirer, et c’est quelque chose qui correspond aux qualités de cet effectif.

Puis, pour Ralf Rangnick, il y a ensuite eu des rencontres, beaucoup de rencontres. Celle de Helmut Groß, un ancien ingénieur civil chargé de construire des ponts dans la région du Bade-Wurtemberg devenu allié fidèle, mais aussi celles, entre autres, de Valeri Lobanovski, d’Arrigo Sacchi ou encore de Zdeněk Zeman. Que des hommes intimement convaincus qu’il n’existe pas de vie plus enthousiasmante qu’une vie de voyages en zone, d’autant plus lorsqu’on l’enrichie d’un pressing haut et agressif, puis d’une vague de mouvements offensifs coordonnés déclenchée dès la récupération du ballon pour profiter de la désorganisation temporaire d’un adversaire. « À la perte du ballon, c’est comme un essaim d’abeilles qui s’abat sur l’adversaire, décrypta il y a quelques années Groß. Cela peut paraître parfois un peu chaotique, mais c’est un chaos d’une nature contrôlée et hautement créative. »

Cette petite musique, qui faisait doucement rire certains sceptiques à la fin des années 1990, est désormais connue de tous, chantée par une grande partie des coachs depuis le début des années 2010, et il n’existe plus vraiment aujourd’hui de doutes sur le bienfondé d’une telle approche du foot. La preuve : malgré son récent échec (qui n’est pas à 100% le sien, même s’il n’a jamais réussi à interrompre la chute en cours) dans le fond et dans les chiffres à Manchester United, où son passage de six mois n’a pas empêché le club de boucler le dernier exercice avec son plus petit total de points sur une saison depuis 1990, Ralf Rangnick, théoricien du gegenpressing et maître à penser de toute une génération de coachs allemands à succès, a vite retrouvé un fauteuil. Débarqué sur le banc de l’Autriche début juin, il n’a même eu besoin que d’une poignée de séances et de deux petites rencontres – une victoire en Croatie (0-3) et une défaite face au Danemark (1-2) – pour voir sa nouvelle armée recracher ses préceptes.

« L’Autriche a été impressionnante… »

Rangnick, qui a retrouvé l’ombre et le calme derrière ses fines lunettes après plusieurs mois passés la tête dans une machine à laver, a même réussi à faire briller les yeux d’un mec qui a déjà pourtant tout connu dans sa carrière : David Alaba, 29 ans et plus de 550 matchs pros sur le CV, qui s’était d’ailleurs dépucelé en sélection un soir de match face aux Bleus en octobre 2009.

Face à l’équipe de France, on va arriver avec le même objectif : garder notre philosophie, avoir le contrôle, réduire leur temps de possession, minimiser les erreurs en défense et essayer de se créer des occasions…

« Vous avez pu voir que nous avions un très bon plan, que les choses ont bien fonctionné pour nous sur le terrain, a ainsi lâché le capitaine de la troupe après le revers face aux Danois, lors duquel on a vu l’Autriche, organisée dans un 4-2-2-2 semblable à celui dessiné par Rangnick à Leipzig lors de la saison 2018-2019, davantage contrôler sa proie qu’en Croatie, avancer avec une ligne défensive très haute et envoyer des séquences de pressing très bien ficelées, dont une modèle qui a débouché sur le but de l’égalisation de Schlager. Le coach ne veut pas qu’on laisse nos adversaires respirer, et c’est quelque chose qui correspond aux qualités de cet effectif. Personnellement, je connais Ralf depuis longtemps et je peux assurer que c’est un entraîneur de classe mondiale. Ce qu’il a fait par le passé est assez unique. Je le vois maintenant de près, mais il a déjà montré ce dont il était capable à Hoffenheim, à Leipzig, à Salzbourg… »

Jeudi midi, trois jours après la première glissade de son mandat, Ralf Rangnick a également tenu à appuyer sur les premiers progrès d’un groupe déjà habitué à sortir les crocs sous les ordres de Franco Foda – aucune équipe n’a réussi plus de pressions par match que l’Autriche lors du dernier Euro – et qui possède dans ses rangs la référence du harcèlement en Europe (Konrad Laimer). « Même si le résultat face au Danemark n’a pas été positif, ce match nous a permis de voir que nous pouvions davantage contrôler le jeu(59% de possession contre 38% en Croatie, 0,92xG concédés contre 1,23xG à Osijek) et que l’on pouvait poser des problèmes à un tel adversaire en étant proactifs, a expliqué l’architecte du projet football de Red Bull, hier. Face à l’équipe de France, on va arriver avec le même objectif : garder notre philosophie, avoir le contrôle, réduire leur temps de possession, minimiser les erreurs en défense et essayer de se créer des occasions en nombre. On a hâte, mais on sait qu’on n’aura pas le droit à l’erreur. Ce n’est que si on garde ce désir d’avancer en groupe, cette volonté de courir et d’enchaîner les sprints, que nous aurons une chance de faire quelque chose. » Début 2020, dans un entretien donné à So Foot, Rangnick se félicitait d’avoir réussi à « créer des équipes qui ont leur propre modèle, leur propre façon de voir les choses », et c’est évidemment son défi avec une sélection – une première dans sa vie – éliminée de la course au Mondial 2022 par un doublé de Gareth Bale en mars dernier, mais dont les bases sont parfaitement en adéquation avec son projet de jeu.

Face aux Bleus, dont il connaît plusieurs éléments – lorsqu’il était directeur sportif de Leipzig, Ralf Rangnick a notamment tenté de recruter Kylian Mbappé fin 2014 et est venu, trois ans plus tard, séduire Ibrahima Konaté directement chez ses parents, dans le 11e arrondissement de Paris, avec une clé USB remplie de séquences du jeune défenseur alors à Sochaux -, le natif de Backnang a un coup à tenter et il le sait. Didier Deschamps se méfie d’ailleurs : « Sur ces deux rencontres, l’Autriche a été impressionnante de dynamisme, de fraîcheur physique… Ils sont malheureux sur le match face au Danemark, mais c’est une équipe qui va chercher ses adversaires, qui met beaucoup de vitesse, énormément d’intensité, et je m’attends aussi à ça face à nous. » « On a forcément noté ce pressing tout terrain, très fort, très haut, a, de son côté, complété Hugo Lloris. Il va falloir bien utiliser le ballon, déjouer ce pressing, et utiliser la profondeur, car c’est une équipe qui a aussi pris l’habitude de jouer avec une ligne défensive très haute. » Le cadre est posé et, pour Rangnick, l’occasion est belle de s’offrir un gros poisson. Cette nouvelle aventure ne fait que commencer pour lui, mais, quelques jours après s’être tiré de Manchester sous les critiques, l’Allemand, qui ne s’est finalement que rarement assis sur un banc au cours de la dernière décennie, a à cœur de se refaire la cerise et de prouver qu’il sait encore mêler les paroles aux actes sur un banc.

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