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L’asile albanais

Par Raphaël Gaftarnik
4 minutes
L’asile albanais

Ce vendredi soir, les Albanais se rendent sans pression à Rennes pour y disputer un amical de gala face aux Bleus. En 1991, la confrontation entre l'EDF et les Rouge et Noir n'a pas revêtu plus d'enjeu sportif. Mais pour certains joueurs de la sélection, elle a constitué une occasion rêvée d'échapper à la situation de leur pays.

Dans l’antre du Parc des Princes, la sélection albanaise ne nourrit que peu d’espoirs. En déplacement dans la capitale française pour y rencontrer les Bleus de Platini, les Kuq e Zinjtë ne résistent d’ailleurs pas longtemps. Un doublé de Sauzée avant la fin du premier quart d’heure, un autre de Papin avant la mi-temps viennent de balayer les infimes prétentions de cette petite nation du football. 5-0, score final, la démonstration attendue a eu lieu sur le terrain. D’un intérêt sportif limité, la rencontre va pourtant trouver un écho plus considérable une fois l’enceinte quittée. Car ce 30 mars 1991, profitant de leur présence dans l’Hexagone, certains membres de la sélection font le choix de l’exil et ne rentreront jamais dans un pays miné par la dictature d’inspiration communiste. Une cavale entre Genève, Bruxelles ou encore Le Mans, rythmée par les accidents de voiture, des hommes à lunettes noires et Jean-Pierre Papin.

Parc des Princes puis exil

Plongée depuis près de 45 ans sous la coupe d’un régime stalinien, l’Albanie est un pays coupé du reste du monde. Appauvrie, la population subit alors les conséquences de la politique isolationniste d’Enver Hoxha, (décédé en 85 et laissant place à Ramiz Alia). Mais en 1990, le vent de la révolte souffle sur cette république : manifestations étudiantes, statue de Staline déboulonnée, réformes d’apparat effectuées par les dirigeants du Parti… Malgré ces mouvements, beaucoup ne croient pas en un changement de régime. Une partie de la population choisit l’exil, à l’instar de ces footballeurs, et ce, en dépit des premières élections libres organisées le lendemain du match dans le pays. « La situation n’était pas claire en Albanie, les gens n’étaient pas sûrs. Je ne sais pas comment je suis arrivé à prendre la décision à ce moment-là. Mais quand tu es désespéré, qu’est-ce que tu veux faire ? Quand tu veux vraiment réussir, tu as besoin de chance, et en plus de la chance il faut la saisir avec ton cœur. C’est ce que j’ai fait » , se souvient Rudi Vata, pas près d’oublier cette journée particulière. La veille, lui et ses coéquipiers n’avaient pu que constater la défection de 3 membres de la sélection (Kaçaçi, Ibro et Leskaj), ayant profité d’une escale à Genève pour se faire la malle. Et s’il foule la pelouse du Parc en ce soir de mars, le défenseur ne va pas tarder à emprunter le même chemin : « Mon frère était sur un bateau en route vers l’Italie, mais on n’avait pas d’infos d’où il se trouvait. Et puis, quand je suis arrivé à Paris, quelqu’un m’a appelé à l’hôtel en me disant que mon frère était en Italie du côté de Bari. Après le match, j’ai décidé avec des amis albanais de rester en France. J’étais avec Ardian Sukaj, Ilir Kepa lui est allé en Belgique. » À moins de 200 km, Josif Gjergji tente lui aussi sa chance vers l’inconnu. Mais le parcours s’avère plus sinueux.

205 GRD, JPP et Cantona

Depuis son lit d’hôpital, Josif répond aux questions des journalistes du Maine Libre. La veille, sur un tronçon de la N23, au niveau de Connerré (Sarthe), le numéro 9 albanais se trouvait dans une 205 GRD. Au volant, un réfugié algérien s’endort et cause l’accident. À leur arrivée, les gendarmes constatent que l’un des quatre passagers est plus touché que les autres. Le journal local raconte la scène : « Par recoupement, les gendarmes établissent rapidement son identité. En outre, dans ses bagages, ils retrouvent un vêtement qui n’est pas n’importe lequel : le maillot que portait samedi soir au Parc un dénommé Jean-Pierre Papin. » JPP n’est pourtant pas la personne la plus impressionnante que Josif rencontrera lors de son séjour : « Je suis rentré à l’hôtel Concorde La Fayette (après le match : ndlr), j’ai pris une douche. Quelqu’un est venu frapper à ma porte. C’était un homme portant des lunettes noires. Il a voulu m’entraîner en disant que je ne devais pas rester là, j’ai eu peur, je l’ai bousculé. » Le molosse est pourtant venu chercher Gjergji pour le départ. Un départ nécessaire et auquel Josif va se rallier en s’enfonçant dans la voiture, jusqu’à la déroute : « Je ne crois plus en ce régime, dans le gouvernement albanais. Je crois par contre à un régime ou un pays comme la France. Je veux rester en France. » Après une demande d’asile acceptée, Josif résidera dans l’Hexagone jusqu’à sa mort, en 96, sur un terrain de foot. Pour Vata, le destin se fera plus clément. Car malgré les blessures, Rudi connaîtra une carrière plus qu’honorable, en passant notamment par le Celtic Glasgow : « J’avais un rêve, j’avais de l’imagination, j’avais une image, et je connaissais la route. C’est simple comme ça my friend, mais c’était un long voyage qui en valait au final la peine. » Un voyage débuté avec cette rencontre au Parc, et au cours de laquelle Vata s’est vu tendre la main d’une autre façon : « J’ai échangé mon maillot contre Éric Cantona. Il doit avoir mon numéro 5 chez lui ! » Un collector.

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Par Raphaël Gaftarnik

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