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Junya Ito, incité au sacre

Par Florent Dabadie, à Tokyo
Junya Ito, incité au sacre

Avec ses mèches blondes, son énergie folle et ses - déjà - deux buts lors des deux dernières journées contre Lyon et Angers, difficile de ne pas arrêter ses yeux sur Junya Ito, le Japonais débarqué cet été à Reims. Si son pays a mis du temps à le considérer comme un phénomène, l'Europe ne mettra pas longtemps à succomber.

Junya Ito ne connaît ni les années de misère ni les années de gloire du football japonais. Né au printemps 1993, à quelques jours du lancement tout feu tout flamme de la première ligue professionnelle, la J-League, il n’avait même pas un an lors de la tragédie de Doha, l’équivalent pour les supporters ici de notre France-Bulgarie, quand l’équipe nationale nipponne du fameux Kazu Miura était cruellement éliminée dans les arrêts de jeu du dernier match de qualification pour la Coupe du monde 1994.

Il nous a sauvés de la catastrophe, et son règne ne fait que commencer.

Si tous les fans de football du pays du Soleil Levant de plus de quarante ans vont y repenser lors de la Coupe du monde au Qatar, Ito, lui, n’y partira pas en croisade. Il sera là pour confirmer un statut de leader incontestable depuis les qualifications de ces deux dernières années. « Il a un gros mental, une intelligence de jeu qui nous fait du bien à tous », raconte son ami et ancien arrière de l’OM Hiroki Sakai. Déjà une pièce clef lors de la phase de qualification, il est désormais la pièce indispensable du système Moriyasu. « Il nous a sauvés de la catastrophe, et son règne ne fait que commencer. Vous comprenez, l’équipe actuelle n’a pas d’identité collective ni d’autres joueurs capables de faire la différence individuellement », raconte Yosuke Ikushima, journaliste sportif du magazine Number. Une équipe japonaise qui, depuis cette fameuse et terrible élimination d’octobre 1993, n’a plus jamais raté une Coupe du monde. Aujourd’hui, le but est d’atteindre les huitièmes de finale.

Contre Vent-forêt et marées

Ce destin qu’on prête à la sélection et donc à Ito est aussi fabuleux qu’inespéré. Qui aurait cru, alors qu’il aura déjà 30 ans l’année prochaine, que ce joueur qui n’était pas destiné à une carrière professionnelle serait un jour le flamboyant attaquant international qu’il est devenu ? Voyageons dans le passé, Junya est né dans la banlieue sud de la ville de Yokohama, sur le port de Yokosuka, pas loin du mont Fuji. Enfant des villes, il est déjà un feu follet dans les cours de récréation et pourtant en minimes se voit refuser l’entrée du centre de formation des Yokohama F. Marinos, un club dont le président est alors… un certain Carlos Ghosn. L’enfant est jugé trop frêle, trop petit, et ses parents décident de faire une croix sur le sport-études, afin que leur rejeton poursuive une scolarité normale. Les rêves de professionnalisme s’éloignent, même si le jeune Ito s’accroche à ses derniers espoirs. Il intègre l’université de Kanagawa dont l’équipe de football est de réputation rugueuse, mais pas très farouche.

Après des débuts timides, il réussit néanmoins à attirer l’attention d’un recruteur de J-League. « C’était un match où il avait débuté sur le banc, il restait trente minutes à jouer et j’ai vu débouler une fusée le long de la ligne de touche. Il a changé le cours du match à lui tout seul », se souvient avec nostalgie Jun Mori, décrivant un diamant qui demande à être poli. « À l’époque, il ne centrait pas aussi bien, je n’ai pas non plus le souvenir d’un technicien hors pair, il ne faisait pas le pressing défensif. En revanche, il dégageait une énorme confiance en lui », poursuit ce recruteur dont le plus grand fait d’armes est d’avoir découvert Hidetoshi Nakata dans les années 1990. Comme Nakata, Ito est un bosseur, il sait qu’il part de loin et a une énorme envie de progresser, de s’entraîner. Devenu titulaire, il réussit lors de sa dernière saison à terminer meilleur buteur de la ligue régionale universitaire du Kanto. C’est au Vent-forêt Kofu, un club au nom digne d’Olive et Tom, qu’il fait enfin ses débuts professionnels en mars 2015, à 22 ans. Les journalistes cherchent alors dans leurs fiches cet ovni qui sort de nulle part. « Il nous était totalement inconnu dans les catégories de jeunes, contrairement à ses deux autres rivaux actuels que sont (Take) Kubo et (Ritsu) Doan, déjà des petites stars en devenir », confirme Ikushima.

À l’époque, il ne nous avait pas frappés, il a changé de dimension ensuite, en très peu de temps.

Premier match pro, premier but, et déjà une pointe de vitesse qui donne le tournis à ses adversaires. Il n’est pas encore casque d’or, mais a une coiffure assez rétro à la George Best. Il progresse, mais son père reconnaît dans les colonnes de Number qu’il n’y croyait pas plus que ça : « Je ne pensais pas qu’il irait plus loin qu’une carrière (en J-League) de milieu de tableau. » Humilité ou véritable miracle ? Un plus gros club, Kashiwa Reysol, fait le forcing pour le recruter dès sa deuxième saison. Aujourd’hui, on peut dire que c’est peut-être parce que Milton Mendes, l’entraîneur brésilien d’alors, le convertit en arrière droit pendant la moitié de l’année qu’il a acquis « des grandes qualités de pressing et de défense », selon Ikushima. Il finira néanmoins à sa vraie position d’attaquant à peine l’entraîneur carioca remercié. Son premier exploit à l’échelle nationale est un but après une chevauchée de 70 mètres à l’été 2017. Il a 24 ans, dans sa tête, le temps presse, alors il court toujours plus vite. À la tête de l’équipe nationale japonaise, un certain Vahid Halilhodžić et son bras droit Jacky Bonnevay ont déjà l’énergumène sur leurs petits papiers. Il faudra attendre décembre de la même année et un match amical contre la Corée du Nord pour que Coach Vahid donne sa chance à Ito. Il ne fera pourtant pas la Coupe du monde en Russie, barré par le vétéran Keisuke Honda. « À l’époque, il ne nous avait pas frappés, il a changé de dimension ensuite, en très peu de temps », se souvient Bonnevay.

L’Europe lui va comme à Genk

Ito finit par se faire une place en sélection et marque son premier but avec les Samouraï Blue dans un match amical contre le Costa Rica à l’automne suivant. S’il semble se diriger vers une carrière tranquille au Japon, comme le confirme une saison 2018 où il est régulièrement appelé en équipe nationale, Kashiwa Reysol tombe en deuxième division en décembre. Il accepte alors in extremis une offre du club belge de KRC Genk lors du mercato d’hiver 2019. Le monde du football nippon s’en étonne encore aujourd’hui : « Il n’a jamais été d’un caractère très expansif et curieux », commente un de ses anciens coéquipiers. Pour Ikushima, Ito savait très bien où il mettait les pieds : « Il était conscient qu’il avait perdu du temps dans sa carrière en passant par l’université, il devait partir au plus vite à l’étranger pour progresser. » Au-delà de sa motivation intrinsèque, cet introverti allait-il se faire à la campagne flamande et aux rudes hivers européens ? L’intéressé répond du tac au tac : « À l’étranger ou au Japon, ça m’est égal, de toutes les façons je ne sors pas de chez moi. » Un élève sérieux oui, mais tout de même avec quelques carences de professionnalisme, dont la nutrition et la musculation. « Avant, je ne mangeais pas de légumes », avoue-t-il dans une interview récente. On a connu pire comme trouble-fête.

Dès sa première saison, il contribue au titre de champion du KRC Genk et signe un vrai CDI. Il a 27 ans. Sa vie s’accélère, il se marie. « La qualité de mes repas s’est améliorée nettement », commente-il sobrement. Lui se plaît à la frontière de la Hollande où il remporte une Coupe de Belgique, marque douze buts et délivre seize passes décisives lors de sa deuxième saison complète (2020-2021). S’il marque encore huit buts lors de sa troisième saison (2021-2022), l’équipe est en perte flagrante de vitesse. Dès l’été dernier, les offres pour Ito sont nombreuses. Reims qui le suit depuis longtemps, mais aussi les Allemands d’Hoffenheim, les Espagnols de Valladolid, deux championnats qui ont d’habitude les faveurs des footballeurs japonais.

Il prend les espaces comme personne, je n’avais pas sa qualité de course.

C’est contre toute attente qu’Ito demande à son club belge de le laisser partir pour Reims, conviction intime, car il sait qu’il va y « progresser, dans un championnat de très haut niveau ». Face à beaucoup de défenseurs internationaux très physiques qu’il n’a pas souvent croisés dans sa carrière, les journalistes japonais lui prédisent la misère, pourtant, comme contre l’OL le week-end dernier, Ito ne panique pas et dévoile ses secrets : « Tout est dans le premier contrôle (orienté) et l’équilibre du corps, peu importe la taille de l’adversaire. » Il mise aussi sur les une-deux, une de ses spécialités, et sur un sens créatif inégalé, comme le confirme le directeur sportif du Stade de Reims Mathieu Lacour au magazine japonais Soccer Digest : « Ses bonnes stats étaient constantes, c’était le meilleur passeur de Belgique, et surtout il n’y a plus beaucoup de créateurs de sa trempe(dans le football)aujourd’hui. » Troisième Japonais à marquer en Ligue 1, Junya Ito est sûrement le plus flamboyant de ses compatriotes depuis Daisuke Matsui, le ninja du MUC 72 des années 2000 aux 17 buts dans l’élite. Celui-ci, grand seigneur, avait d’ailleurs déclaré à son propos : « Il prend les espaces comme personne, je n’avais pas sa qualité de course. » Voilà qui colle donc parfaitement à son surnom au Japon, « Inazuma Junya ». En français : Junya l’éclair.

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Par Florent Dabadie, à Tokyo

Tous propos recueillis par FD, sauf mentions.

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