On le trouve très tendu et confus. De notre côté, cela fait quand même quinze ans qu’on est dans la lutte contre l’homophobie, et on constate cette grande confusion depuis le début de saison. On peut même parler d’une crise qui s’est amplifiée à propos du traitement de l’homophobie dans les stades par la LFP. En gros, la Ligue a décidé d’arrêter les matchs en cas d’actes homophobes en conformité avec les règlements de l’UEFA et la FIFA, en conformité aussi avec les orientations données par le président le 7 juillet, ainsi que par la ministre des Sports depuis le mois de mars. Simplement, on voit bien que ça se passe très mal, car le travail de prévention, de sensibilisation et d’information n’a pas été fait auprès de supporters. Résultat : cela fait trois semaines que nous sommes dans une situation un peu inextricable.
Avez-vous été surpris par la première interruption de match fin juillet, puis par celles qui ont suivi depuis ?
Oui, bien sûr.
Comment expliquez-vous ce basculement soudain ? Il y a encore quelques mois, c'était presque la normalité d'entendre ces chants dans les stades. Et personne ne réagissait vraiment.
Il faudrait le demander à la LFP. Pourquoi est-ce que Nathalie Boy de la Tour est passée du folklore en mars à la bombe atomique des arrêts de matchs en août ?
Le collectif Rouge Direct a-t-il été convié à la réunion organisée à la Ligue en début de semaine ?
(Il coupe.) Non, nous n’étions pas invités.
Et savez-vous pourquoi ?
Ça, il faut le demander à Mme Boy de la Tour, que voulez-vous que je vous dise ? On n'en sait rien, je ne sais pas, c’est regrettable.
Mais avez-vous déjà eu des échanges avec Nathalie Boy de la Tour ?
Vous laissez entendre que vous auriez donc été plus virulents que les autres.
Bien sûr qu’on aurait été plus durs si on avait été présents. L’issue de la réunion confirme d’ailleurs qu’on n'avait peut-être pas notre place dans une réunion qui aboutit à un recul considérable.
En quoi est-ce un recul considérable ?
Vous avez vu la conférence de presse de Mme Boy de la Tour ? Je me réfère tout simplement aux mots prononcés à l’issue de cette réunion et c'est très inquiétant.
Il y a aussi eu les propos de Noël Le Graët sur France Info en début de semaine. Qu’en pensez-vous ? Peut-on parler d’une maladresse de sa part ?
(Il coupe.) Il n’y a aucune maladresse dans ses propos, c’est juste le révélateur d’une absence de prise en considération de l’homophobie dans le foot, qui est pourtant un fléau. Au-delà de notre indignation de militants, l’indignation a été générale dans la société, car faire un tel deux poids, deux mesures entre l’homophobie et le racisme, c’est indigne. Depuis plusieurs mois, Le Graët fait un doigt d’honneur à la ministre, puis elle s’occupe de le recadrer. On se demande quand est-ce que ce cirque va s’arrêter et quand va-t-on mettre en place un plan d’action pour lutter contre l’homophobie dans le foot sans les confusions et les imprécisions envers les supporters. Les supporters et les arbitres sont en première ligne, ils ont besoin de clarification.
APPEL À LA DÉMISSION DU PRÉSIDENT DE LA @FFF Noël Le Graët qui annonce ce matin sur @franceinfo avoir décidé de ne plus arrêter les matchs de foot pour actes homophobes. Il s’essuie les crampons sur les décisions d’@EmmanuelMacron et de @RoxaMaracineanu. #pasdecadeaupourNoel
— Rouge Direct (@RougeDirect) September 10, 2019
Mais du coup, comprenez-vous la réaction des ultras depuis plus d’un mois ?
On comprend l’incompréhension et la brutalité de ce basculement. Comme je l’ai dit, il aurait fallu des actions de prévention depuis des années.
Qu’avez-vous pensé des dernières banderoles provocatrices déployées dans les stades de Ligue 1 pour répondre aux interruptions de matchs ?
Il ne faut pas perdre de vue que c’est une minorité de supporters. Il ne s’agit pas de stigmatiser. Quand on discute avec les ultras, ils expliquent qu’ils sont contre toutes les discriminations, y compris l’homophobie, mais quand on voit ces banderoles, ces jeux de mots douteux, sournois, puérils sur le thème de l’homophobie... Franchement, on ne joue pas avec ce sujet comme ils le font.

Depuis plusieurs semaines, les ultras sont au cœur du débat. Mais avez-vous des exemples concrets d’homophobie en dehors de ces chants injurieux ? Par exemple, un homosexuel rejeté par un groupe ultra pour son orientation.
Donc, vous n’avez pas d’exemple d’un supporter homosexuel refoulé par un groupe ultra.
Nous sommes en contact avec beaucoup de gens qui témoignent, beaucoup d’hétéros aussi d’ailleurs, ils nous ont toujours accompagnés dans notre combat. Nous sommes aussi en contact avec des gays qui ont renoncé à aller dans les stades parce qu’ils ne supportaient plus d’entendre ces injures.
Personnellement, allez-vous souvent au stade ?
Oui, j’aime bien aller au stade. Je vais souvent au Parc, je suis supporter parisien, mais aussi à Bordeaux, car j’ai de la famille là-bas.
Et êtes-vous toujours attentif aux chants qui descendent des tribunes ? Ça vous touche encore aujourd’hui ?
On parle beaucoup des tribunes, mais l’homophobie est un problème dans le foot en général. N’avez-vous pas peur qu’on se détourne du vrai combat en se limitant aux supporters ?
Quand on voit les déclarations de Le Graët, on peut être très inquiets de ce qui se passe sur les terrains de foot partout en France, c’est sûr. En 2013, il y a eu la publication d’un rapport du ministère des Sports piloté par Patrick Karam, vice-président de la région Île-de-France. Un rapport très documenté, où le tableau dressé était très alarmant, c’est une mine de renseignements. Je me souviens d’une citation de Marc Batta dans celui-ci : « Les terrains de foot en France sont devenus des défouloirs d’injures homophobes et racistes. » Ce n’est pas rien quand le directeur de l’arbitrage français dit ça. C’était en 2013, aujourd’hui, on peut dire qu’on a perdu six ans et c’est très long dans la lutte contre l’homophobie. En 2019, on voit à quel point le mal est profond, mais il aurait peut-être fallu s’en préoccuper avant.
Et il n’y avait pas eu de suite après ce rapport ?
Il n’y a eu absolument rien de mis en place, notamment en direction des supporters. On a préféré fermer le couvercle sur la cocotte minute. Six ans après, cela explose, ce n’est pas une surprise.
Pensez-vous qu’il est trop tard aujourd’hui ?
Ce qu’il se passe, c’est logique. Maintenant, il n’est jamais trop tard, on ne peut pas baisser les bras, mais on revient à nos inquiétudes après cette réunion du début de semaine, on n’arrête pas de reculer.
Vous avez l’air de douter qu’un plan concret de lutte contre l’homophobie soit mis en place.
(Il réfléchit.) On peut douter, tant qu’on n’a pas de réponses. Il suffit d’avoir une réponse.
Vous n’avez pas de contacts avec les autres associations ? On a l’impression qu’il y a une scission entre votre collectif et d’autres associations LGBT.
Ce n’est pas un peu dommage de ne pas voir tout le monde travailler ensemble pour lutter contre l’homophobie ?
Mais ce n’est pas vrai, nous sommes en lien avec SOS Homophobie par exemple. Ils ont une vraie expertise, on n'a aucun problème avec eux. Mais avec Foot Ensemble, ce n’est pas le cas.
Qu’est-ce que Rouge Direct préconise dans ce climat ?
Vous voulez donc des sanctions concrètes.
J’ai été très précis, j’ai dit qu’il fallait un plan de prévention avec des échéances. Ça, on aurait pu le proposer à la réunion à la Ligue. Bien sûr, il faut de la prévention, mais il faut aussi un calendrier, il faut des objectifs en matière de temps et de moyens. Est-ce qu’on fait un moratoire sur les sanctions ? Cette question est floue.
Comment voyez-vous l’avenir de la lutte contre l’homophobie dans le foot ?
Je ne suis ni optimiste, ni pessimiste, je suis déterminé. On verra déjà ce qui va se passer ce week-end dans les stades. Que vont-faire les ultras ? Mais si on n'arrête plus les matchs en cas d’actes homophobes, on aura fait un pas en arrière. Ce qui ne change rien pour nous, on continuera à engager des actions en justice avec notre avocat et nos associations partenaires. Mais cela serait vraiment dommage.

Propos recueillis par Clément Gavard