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John Farnworth : « Et pourtant, j’ai peur du vide… »

Propos recueillis par Théo Denmat
10 minutes
John Farnworth : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Et pourtant, j&rsquo;ai peur du vide&#8230;<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

On dit qu'il fait partie des plus doués, mais le titre est réclamé par beaucoup. Une certitude néanmoins : dans le monde du freestyle, John Farnworth est assurément le plus taré. Une folie qui l'a mené des circuits de F1 à la finale du Mondial 2010, en passant par le Mont Everest et le marathon de Londres. Son dernier fait d'armes ? Jongler suspendu à une montgolfière.

Comment est venue l’idée de jongler suspendu à une montgolfière ?J’avais fait quelques vidéos où je jonglais à bord d’un parapente dans le passé, et j’étais en contact avec GoPro. Mon ami Kieran Brown – qui est dans la vidéo – et moi, on a eu cette idée de faire ça à bord d’un ballon à air chaud. Mais c’est eux qui nous ont proposé d’être suspendu en dessous. On s’est appelés et on s’est dit : « Allez putain, on le fait ! On le fait ! » Une semaine plus tard, on s’est rappelés pour se dire qu’on n’y arriverait jamais. (Rires.)

De quoi avais-tu le plus peur ? Que le ballon tombe ou que ce soit toi ?Ou que la montgolfière se crashe !

Ma peur la plus grande était que la corde rompe. On était au-dessus des Alpes autrichiennes, quand même.

J’avais peur de tout. Il faut comprendre un truc : le ballon à air chaud est immense, mais les nacelles ne peuvent pas contenir plus de cinq personnes. Dans mon esprit, je me disais : « Mais comment ce truc peut être stable ? » J’étais un peu effrayé avant que l’on décolle, mais une fois dans les airs, ça allait. Ça m’a quand même peut-être pris dix ou quinze minutes pour me maîtriser et pouvoir passer par-dessus le bord. Je l’ai fait pas à pas. Mais ma peur la plus grande était que la corde rompe. On était au-dessus des Alpes autrichiennes, quand même.


Le ballon n’est jamais tombé ? Parce que ça peut être dangereux.Non. On avait fait un essai la veille, en nous suspendant au-dessus d’un trou de quinze mètres. C’était haut, mais ça allait, c’était un parfait terrain d’entraînement. On savait qu’une fois que l’on serait là-haut, ce serait très dangereux de rater notre coup. On avait prévu le coup : on y est allés à 5h du matin. Mais bon, on ne voulait pas… provoquer le moindre dommage.

Tuer quelqu’un par chute de ballon, par exemple.(Rires.) Oui, ça aurait été de ma faute.

L’été dernier, tu as entrepris de monter l’Everest en jonglant, en mémoire de ton grand-père disparu. Pourquoi cette folie ?On a soulevé des fonds pour une association, la Alzheimer Society. C’était une opération de charité, parce que mon grand-père a souffert de démence à la fin de sa vie.

Monter l’Everest, c’était mon idée !

Je voulais faire quelque chose pour aider d’autres personnes qui étaient dans la même situation. Monter l’Everest, c’était mon idée ! Quand j’ai perdu mon grand-père, je voulais accomplir quelque chose qui repousserait mes limites à leur maximum. J’ai pris un papier, un crayon, et j’ai commencé à écrire quelques idées. Elles étaient pas mal, mais pas assez folles. Je voulais trouver quelque chose de vraiment dingue. Puis sont venues les montagnes, la hauteur… Alors, quelle est la montagne la plus haute du monde ? Tout le monde sait que c’est l’Everest. « Think big » , c’est ce ce que je me suis dit. Un an plus tard, on l’a fait. (Rires.)

Tu as dit dans une interview que lors des deux derniers jours avant l’ascension, tu ne faisais qu’accumuler les peurs. De quoi étais-tu effrayé ?Je pense vraiment que c’était la peur de rater. J’avais beaucoup de confiance technique en moi, parce que je m’étais entraîné pendant tellement longtemps… Mais j’étais terrorisé à l’idée de laisser tomber les gens qui avaient donné de l’argent. On a récolté beaucoup en Grande-Bretagne, un peu plus de 10 000 euros, on a eu beaucoup d’exposition à la télé, sur internet, les réseaux sociaux. Rater, ça aurait été terrible. J’avais aussi une peur bleue de me blesser. Finalement, j’ai beaucoup appris sur moi-même.


C’était quoi le plus dur ? Le froid ? Le sol ? La raréfaction de l’air ? Les gens qui te croisent et te disent que l’enfer t’attend plus haut ?La chose qui m’effrayait le plus, c’était le mal des montagnes. On est quand même monté à 6000m en dix jours, au-dessus du camp de base. Je devais m’y habituer du mieux que possible, j’ai donc passé beaucoup de temps dans une chambre d’entraînement qui simulait les conditions présentes sur l’Everest. L’autre difficulté, c’est que le terrain n’est pas plat. Des petites côtes, des virages en épingle… On a une très haute montagne au pays de Galles, le Mont Snowdon (qui culmine à 1085m d’altitude, N.D.L.R.), qui m’a permis de m’habituer à la pente, au vent et au climat. Le froid, mec… La nuit, c’était un enfer. On a eu du -20 degrés la dernière nuit. Horrible. J’étais en plus obligé de prendre des bains glacés pour soigner mes douleurs aux talons et aux jambes. Les deux dernières nuits ? Un cauchemar. Je n’arrivais plus à dormir parce que j’avais trop mal à la tête, à cause du manque d’oxygène. Donc je jonglais douze heures par jour, et quand j’avais besoin de dormir une dizaine d’heures, je ne pouvais juste pas ! Mon cerveau fonctionnait au ralenti. J’avais des vertiges, les choses les plus faciles devenaient une horreur, mais je devais continuer d’avancer.

Question fatidique, est-ce que tu as fait tomber le ballon ?Deux fois le premier jour. Je me suis tordu les deux chevilles à cause du terrain, c’était non seulement douloureux, mais très dur psychologiquement. J’avais travaillé mes chevilles en sachant très bien que je risquais l’entorse. Mais c’était très glissant à cause de la pluie.

Il y a un vrai côté abrutissant, à passer douze heures par jour la tête penchée sur ses pieds alors qu’on traverse des paysages magnifiques…Quand je suis redescendu – avec le ballon dans mon sac –, je ne pouvais pas croire ce que je voyais. Des montagnes partout, de la neige… J’ai passé mon temps la tête levée, parce que j’avais loupé tellement de choses ! J’étais d’ailleurs plutôt agacé sur le chemin du retour, c’était tellement dommage d’avoir loupé ça.

En 2011, tu as couvert les 42,195km du marathon de Londres en jonglant. Tu avais déjà « couru » un marathon avant ?Non, jamais !

Le marathon de Londres est vraiment très populaire, alors beaucoup de gens m’encourageaient sur le bord de la route. Ça m’a pris douze heures.

Ça m’a pris douze heures. Le marathon de Londres est vraiment très populaire, alors beaucoup de gens m’encourageaient sur le bord de la route. L’énergie qui s’en dégageait était incroyable. C’était de plus en plus dur à mesure que j’avançais, avec un vrai mur au 34e kilomètre. Mais je suis incapable de dire si c’est plus dur de courir un marathon ou de jongler à une allure de marche. J’aimerais bien en faire un normal un jour.

Il paraît que ta vocation est née de la lecture de Learn to play the Brazilian Way, un bouquin de Simon Clifford. À sa lecture, tu as commencé à faire des gestes techniques montrés en dessin dans le livre. Oui, quand j’avais 14 ans à peu près, j’ai ouvert ce livre. Simon Clifford était allé au Brésil pour découvrir les techniques d’entraînement des Brésiliens et comprendre comment ils faisaient pour être les meilleurs balle au pied. Je n’avais pas vraiment de coach à l’époque, j’avais joué jusqu’à mes 14 ans dans le club de Preston North End, ma ville natale, mais le foot classique m’ennuyait. J’étais ailier, trop petit, pas très bon. J’emmenais le livre sur le terrain avec ma balle, je lisais le descriptif des gestes techniques, et j’essayais de reproduire ce que je voyais sur les dessins. Puis je m’entraînais jusqu’à réussir le geste, ça pouvait durer des heures, et je tournais la page.

Tu te souviens du premier geste que tu as réussi ?Je pense que le premier est de réceptionner la balle sur ma nuque. Le bouquin expliquait qu’au football, on pouvait contrôler la balle avec plein de parties du corps : l’intérieur du pied, l’extérieur, et un jour j’ai essayé avec le cou.

Tu as huit records du monde. Tu es capable de tous les citer ?Okay, je vais y aller dans l’ordre chronologique. Le premier record que j’ai décroché, c’est celui du nombre de tours du monde en une minute : 85. Le deuxième, c’est celui du plus grand nombre de jongles sur mon menton en une minute, qui est de 109. Le troisième, le record de jongles sur mon gros orteil : 111, je crois. Oh, je devrais tous les écrire, j’oublie tout le temps !

Mon septième record du monde, c’était réussir une volée sur un ballon lâché d’un hélicoptère perché à 45 mètres.

Bref, le quatrième, c’est le plus grand nombre de volées réussies. Celui-là est un peu bizarre, c’est davantage un record de football que de freestyle. En trente secondes, il me semble que j’en ai fait soixante. Le cinquième, c’était un record de contrôles : on a lâché un ballon depuis une grue à 42m de hauteur, et je l’ai réceptionné. Oh, celui-là est un peu fou ! Tu connais le slackline ? Je devais jongler pendant trente secondes sur la corde sans tomber. C’était plutôt dur. (Rires.) Le septième, c’était réussir une volée sur un ballon lâché d’un hélicoptère perché à 45m. Et le huitième, c’était le Mont Everest. Le record de la plus longue distance en jonglant une heure en altitude. Elle était de 135m, je l’ai amenée à 200m.

(Record à partir de 3’00)

Vidéo


La montgolfière, le parapente, l’Everest… C’est étrange, la plupart de tes records impliquent d’être en altitude. Tu es attiré par les hauteurs ?Et pourtant, j’ai peur du vide… Beaucoup de mes amis font du parkour, je les accompagnais et j’étais vraiment fasciné par leur approche, leur manière de passer outre leurs peurs à eux, s’y attaquer de front et les briser. J’ai commencé à m’entraîner en ce sens, en amenant ma balle avec moi pour faire de l’escalade. Quand j’ai commencé à grimper avec mes amis, j’avais naturellement une balle avec moi, je ne sais pas pourquoi. Je jonglais en bas pendant qu’ils faisaient leurs trucs et un jour je me suis dit : « Mais pourquoi je ne ferais pas du freestyle sur le toit de cet immeuble ou en haut de ce sommet ? » J’ai vu cela comme un nouveau sport, quelque chose que personne n’avait fait avant moi.

En décembre 2006, tu gagnes les Master of the Game, un tournoi de freestyle, en battant en finale ton maître, Mr. Woo. Ça fait très scénario de Karaté Kid (Rires.) C’était un des premiers championnats du monde de freestyle, à Amsterdam. Mr. Woo, c’est celui qui m’a donné envie de m’entraîner. Une inspiration. Une fois que j’ai lu Learn To Play the Brazilian Way, j’ai pu le rencontrer. C’est un jour qui compte dans mon existence. Alors pouvoir le battre… Il est tellement fort !

Il existe un geste que personne ne sait faire à part toi ?Il y en a plusieurs… C’est plutôt dur à dire, je pense que d’autres personnes savent le faire désormais, mais il y a un move que j’ai été le premier à faire : je fais rouler le ballon depuis mon orteil jusqu’au sommet de mon crâne, entièrement sur mon corps, et je n’ai jamais réellement vu quelqu’un le faire. Je ne lui ai même pas donné de nom.

T’es fort pour jongler avec les mains ? Tu pourrais être au cirque ?Pas tellement. Le maximum que j’ai fait, c’est trois petites balles en même temps, je dois tenir dix secondes.

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Propos recueillis par Théo Denmat

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