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Jeunes joueurs recherchent profs de tactique particuliers

Par Clément Teraha
9 minutes
Jeunes joueurs recherchent profs de tactique particuliers

Alors que la tactique est omniprésente sur les réseaux sociaux, les plateaux télé et les discussions, de plus en plus de joueurs professionnels et en formation prennent ce sujet à bras-le-corps. Pour combler certaines carences et progresser, certains se tournent vers des structures privées pour progresser tactiquement, comme Tacompo. Cette agence de conseil et d'optimisation de la performance a saisi un marché en plein essor. Son but est d’accompagner joueurs, coachs et dirigeants du football, à travers l’analyse vidéo individuelle.

Lucas*, 16 ans, évolue en U17 nationaux dans le centre de formation de l’un des plus grands – et des plus riches – clubs français. Tout porte à croire que ce jeune latéral droit qui se définit comme « un joueur plutôt technique, vif et rapide, qui aime porter le ballon, mais qui a encore un déficit de gabarit sur le plan athlétique », est parfaitement accompagné dans sa progression par le club dont il porte les couleurs depuis l’été 2020. En réalité, pas totalement. Arrivé en tant que joueur de couloir à vocation offensive, Lucas a été replacé défenseur droit en début de saison. C’est le besoin d’adaptation à son nouveau poste qui l’a poussé, avec son agent, Mikel-Ange Ehueni, à se tourner vers Tacompo, une nouvelle agence de conseil en performance sportive. « Il a un gros potentiel, mais ça se voyait qu’il n’acceptait pas son nouveau poste. Il a toujours évolué haut sur le terrain et là, on lui dit qu’il doit jouer derrière. Donc inconsciemment, il n’exploitait plus toutes ses qualités et il subissait une perte de confiance en lui, explique l’agent de Lucas. Avec Tacompo, l’objectif est de lui montrer qu’il a les qualités pour ce poste, qu’il peut prendre du plaisir et ce sur quoi il doit s’améliorer pour performer. »

Ça m’a déjà aidé à progresser, surtout au niveau du placement sur le terrain. En fait, Benjamin identifie mes erreurs, et avec l’image et le texte où c’est expliqué, je comprends mieux.

Un moyen de passer un cap individuellement

Début octobre, Benjamin Charier, le fondateur de l’agence, fournit alors un premier audit au joueur, via les vidéos des matchs qu’il récupère – difficilement dans les catégories jeunes – et décèle ses points forts et points faibles. « On fait une cartographie du joueur, on analyse ses comportements et on donne des pistes de remédiation. Avec Lucas, l’accompagnement est d’autant plus précieux qu’on lui apporte des fondations sur ce poste qu’il découvre et sur lequel il a moins de repères », glisse le Nantais de 32 ans. Sur les analyses vidéo, montées et fournies par Benjamin à Lucas, on voit une sélection de phases de jeu dans lesquelles le jeune footballeur a le ballon ou participe de près à l’action. À un instant T, l’image se fixe, et la vidéo passe en format « palette tactique » . Des zones libres coloriées, des flèches indiquant différents appels possibles et quelques phrases de décryptage apparaissent. « C’est très imagé, ludique et intuitif. De ce point de vue-là, on reçoit de très bons retours, commente l’analyste vidéo. Le joueur doit comprendre comment mieux se déplacer, améliorer son scan et sa technique défensive. »

Le latéral droit a reçu trois vidéos démonstratives. « Ça m’a déjà aidé à progresser, surtout au niveau du placement sur le terrain. En fait, il identifie mes erreurs et avec l’image et le texte où c’est expliqué, je comprends mieux », avance Lucas. En championnat, son équipe évolue à quatre défenseurs et celui qui apprivoise encore sa nouvelle position aspire à « apporter le surnombre ». Sur son côté droit, son poste plus défensif lui « convient », car il a « plus d’espace pour attaquer ». « J’apprends à aimer ce poste parce que j’ai le jeu devant moi, je pars de plus bas. » C’est aussi sur ça que la collaboration avec Tacompo repose. « Si j’ai fait le bon appel, le bon dédoublement, Benjamin le met en avant sur l’analyse vidéo. S’il valait mieux prendre un autre espace ou rentrer intérieur, il montre le mauvais choix et les autres solutions que j’avais pour y penser la prochaine fois », décrit-il. À travers son travail, Benjamin Charier « essaie de fixer la mémoire du joueur sur certaines situations de jeu qu’il rencontre régulièrement ». Selon l’analyste, « plus le footballeur a été mis dans des situations reconnaissables, plus il va prendre de bonnes décisions rapidement ».

Marre de la lecture de comptoir

Qu’ils soient professionnels ou en centre de formation, les joueurs ont des acquis techniques certes à améliorer et à entretenir au quotidien, mais « la question la plus perfectible d’un footballeur est la tactique », estime Mikel-Ange Ehueni. C’est pourquoi, juge-t-il, « individualiser l’analyse vidéo est nécessaire chez certains joueurs ». En tout cas, c’est le leitmotiv de Benjamin Charier. Cet autodidacte,« passionné de foot depuis toujours », a changé sa façon de consommer le football depuis le début de la crise de la Covid-19 : « J’étais vidéaste et photographe pour une boîte dans l’immobilier. J’ai été mis au chômage technique, alors j’ai beaucoup navigué sur YouTube et Twitter et je suis tombé sur des analystes vidéo notamment anglophones. » De là, il commence à se plonger dans la tactique du football, à lire des bouquins et ouvre un compte Twitter à la rentrée 2020 sur lequel il poste ses premières analyses du jeu en vidéo.

Les retours sont positifs, à tel point qu’il a le sentiment que son boulot comble un certain manque. « Les gens s’intéressaient à ce que je faisais. J’ai commencé à échanger avec des coachs, des scouts. Ça m’a donné confiance et j’ai quitté mon job de vidéaste pour me lancer à fond là-dedans, replace-t-il. Je ne voulais plus avoir une lecture de comptoir. » Au fil des mois, son nombre d’abonnés grimpe sur le réseau social à l’oiseau bleu. « Un an plus tard et après une rupture conventionnelle, j’ai ouvert l’agence Tacompo et ça a marché tout de suite. Je n’ai même pas eu besoin d’ouvrir mes droits au chômage ! » ironise-t-il.

Tout ce que j’ai à dire aux joueurs que je suis, il le dit et avec un support de qualité. Avant, il m’arrivait de filmer des actions avec mon téléphone et de les commenter pour expliquer un truc ou deux.

Aujourd’hui, l’agence grossit tranquillement : « On suit deux entraîneurs, six joueurs professionnels et cinq en centre de formation ». Parmi ses premiers clients, Mikel-Ange Ehueni a connu Benjamin Charier sur Twitter. « Son travail m’aide beaucoup, il me fait gagner du temps : tout ce que j’ai à dire aux joueurs que je suis, il le dit et avec un support de qualité, développe l’agent. Avant, il m’arrivait de filmer des actions avec mon téléphone et de les commenter pour expliquer un truc ou deux. » Le fait de pouvoir visionner le décryptage n’importe quand et en illimité est apprécié par Lucas. Il peut « regarder plein de fois la vidéo, mettre pause et analyser » à son rythme. Tandis que le travail vidéo effectué dans son club, « une fois par semaine », concerne uniquement « les séances collectives » et le système de jeu global de l’équipe. Pour le jeune défenseur français, « ce serait bien que ce soit plus individuel au centre de formation, car personnellement, ça (l)’aide ». L’accompagnement tactique individuel en plus des séances collectives, « les clubs devront forcément s’y mettre », considère Benjamin Charier, qui a sauté sur un marché en pleine expansion. Cela montre certaines carences dans les clubs professionnels,« car on sait que c’est utile et on observe des résultats à court terme ». Toutefois, ce travail demande beaucoup de moyens humains et a fortiori financiers. « C’est sûr que ça dépend des ressources du club et de ses priorités. Mais pour un club riche, quelle est l’excuse ? », se demande Mikel-Ange Ehueni.

La France, en retard sur le travail vidéo ?

Emmanuel Boudine, ancien analyste vidéo au sein du club Reading FC, dresse le même constat. L’entraîneur du modeste club girondin Saint-André de Cubzac (R2) a démarré le coaching à 25 ans en région parisienne avant de traverser la Manche pour officier dans des académies de football. En Angleterre, il poursuit son chemin au centre de formation de Reading, jusqu’à ce qu’on lui propose de prendre les rênes de l’analyse vidéo de l’équipe féminine qui évolue en Women’s Super League. « Au total dans le club, on était cinq à se consacrer uniquement à l’analyse vidéo, glisse-t-il. En France, il y a encore trop de clubs professionnels où une seule personne est dédiée à ce domaine. » Pendant ces cinq années passées à 70 kilomètres à l’ouest de Londres, Emmanuel Boudine travaille ses analyses vidéo « dans l’idée du jeu global de l’équipe, sans s’attarder chaque semaine à évaluer la progression de chacun : cela demanderait en effet beaucoup plus de moyens humains. On essaie de faire progresser l’équipe, d’intégrer les joueurs au collectif et quand même de faire un rendu individuel, mais ce n’est pas aussi poussé que ce fait Benjamin (Charier) avec Tacompo aujourd’hui ». Ce qui le pousse à comprendre que même des joueurs professionnels, dans un bon cadre, « se tournent vers quelqu’un de l’extérieur ».

À Reading, on était cinq à se consacrer uniquement à l’analyse vidéo. En France, il y a encore trop de clubs professionnels où une seule personne est dédiée à ce domaine.

Parmi ceux qui se sont récemment attachés les services de Tacompo, mais qui n’ont pas souhaité intervenir, « après avoir pesé le pour et le contre », Benjamin Charier note surtout des joueurs « en quête de temps de jeu, d’une place de titulaire ou tout simplement voulant progresser pour aller plus haut ». Il décrit des jeunes qui ont soif de performer, et dont « la frustration de ne pas être davantage aidés dans leur club » existe bel et bien. Bien que certains clubs, comme le MHSC en France qui emploie trois analystes, proposent à leurs joueurs des suivis par poste : des séances vidéo dédiées aux attaquants, aux milieux, aux défenseurs. Dans le but de les intégrer au mieux au système mis en place et par la suite au groupe professionnel. S’ajoute à ces facteurs « l’effet de mode du joueur qui s’entoure de plus en plus : un nutritionniste, un préparateur physique, un coach mental, etc. » énumère Emmanuel Boudine. Il s’agit de répondre aux exigences du football moderne et de ses systèmes de jeu modulables, à la concurrence féroce et à l’importance des datas, du nombre de courses, des statistiques. « Le bon joueur d’avant est le joueur moyen aujourd’hui, donc il a besoin de mettre toutes les chances de son côté », tranche Mikel-Ange Ehueni. Les clubs aussi.

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Par Clément Teraha

* Le prénom a été modifié, le joueur préférant intervenir anonymement, sans mention de son club.

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