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Jean-Michel Cavalli : « J’aurais pu avoir deux poulains en finale de la CAN »

Propos recueillis par Maxime Brigand
Jean-Michel Cavalli : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>J&rsquo;aurais pu avoir deux poulains en finale de la CAN<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Il a été l'un des premiers entraîneurs en France d'Aliou Cissé, l'a retrouvé à la fin des années 2000, aurait pu le faire jouer avec Djamel Belmadi et a été, un temps, sélectionneur de l'Algérie. Autant dire que Jean-Michel Cavalli est bien placé pour évoquer la finale de cette CAN 2019.

Quand vous arrivez à Lille, en 1995, vous rencontrez Aliou Cissé, qui n’a alors même pas vingt ans. Quel souvenir gardez-vous de cette époque ?Personnellement, c’était ma troisième expérience en tant qu’entraîneur après des débuts au Gazélec et une saison en Arabie saoudite. Aliou était au centre de formation, il s’entraînait avec le groupe pro, mais c’était déjà un garçon très mûr dans son jeu, sur le plan de la confiance, de l’engagement… En fait, on pouvait déjà sentir qu’il savait ce qu’il voulait, même s’il avait toujours ce regard assez singulier : un regard à la fois concentré, mais aussi un peu dans le vide, ce qui donnait une impression de ne pas toujours savoir ce qu’il pensait vraiment. Mais Aliou, c’est surtout quelqu’un de très intelligent et on pouvait déjà le sentir. Dans sa tête, c’était tracé.

Comment ça ?Il était déjà très responsable, en fait. En tout : il était responsable dans son jeu, responsable dans son attitude, responsable dans son comportement dans un groupe… C’est un joueur qui ne renonçait jamais, mais quand tu décidais de le mettre sur le banc, il acceptait et ne revendiquait rien. En revanche, derrière, tu le voyais redoubler d’efforts à l’entraînement, il avait à cœur de montrer qu’il était là. Mais on a rapidement eu un problème avec Aliou parce que d’un côté, il n’avait plus rien à faire avec la réserve, et de l’autre, je ne pouvais pas sortir de mon onze certains mecs : Jakob Friis-Hansen, Jérôme Foulon… J’étais désolé de le laisser sur le banc. À cette époque, Lille devait aussi faire face à de gros problèmes financiers, le club avait une grosse dette et si on descendait en D2 à cette époque, le club aurait probablement disparu. La porte de sortie, pour Aliou, ça a finalement été un certain Bruno Metsu, qui était un ami de mon adjoint, et qui voulait se faire prêter un central. C’est comme ça qu’il s’est retrouvé à Sedan, que le PSG l’a repéré ensuite… Tout était lancé. Et ironie du sort, c’est aussi lui qui a aidé à la nomination de Bruno sur le banc du Sénégal en 2000.

Aliou, c’était un garçon engagé, travailleur, besogneux, passionné, il se remettait en question… Il était tout le temps à la recherche de ce qu’il avait au fond de lui-même et je suppose qu’au fond de lui-même, il cherchait à repousser au maximum ses limites.

Qu’est-ce qu’il apportait en plus dans un groupe ? Beaucoup de joueurs de l’époque parlent surtout d’un homme très discret…Oui, c’est vrai, mais moi, chez le footballeur, ce qui m’intéresse, c’est avant tout ce qu’il me donne lors des entraînements et pendant les matchs. En dehors de mon travail, je ne cherche pas à comprendre, je ne rentre pas dans la vie des gens. Et dans le travail, il avait beaucoup de qualités : c’était un garçon engagé, travailleur, besogneux, passionné, il se remettait en question… Il était tout le temps à la recherche de ce qu’il avait au fond de lui-même et je suppose qu’au fond de lui-même, il cherchait à repousser au maximum ses limites. C’est aussi comme ça que je l’ai retrouvé à Nîmes à la fin des années 2000.

Il avait alors plus de trente ans et se rapprochait de la fin de sa carrière. Vous l’avez trouvé comment à ce moment-là ?Quand je suis arrivé à Nîmes, il est directement venu me voir. Il m’a dit : « Coach, je sais que le club est en difficulté et je sais que vous allez chercher des nouveaux joueurs. Moi, je ne vous demande qu’une seule chose : je voudrais continuer à jouer ici parce que mes enfants sont en bas âge, mais je voudrais que vous vous appuyez sur moi en ce qui concerne l’équipe réserve, que je devienne un peu votre relais dans la gestion de cette équipe et que je l’encadre. Si vous avez besoin de moi en équipe pro, je serai aussi disponible, mais voilà ce que je propose. » Moi, ça me convenait très bien ! Mais, je n’avais pas pris assez de recul sur la réflexion. Sur le moment, c’était surtout très intéressant, car dans ma carrière, j’ai toujours sorti des jeunes, et avoir Aliou dans ce rôle, c’était précieux. On faisait un point de temps en temps ensemble. Il a joué en réserve, il s’entraînait avec nous… Mais l’entraîneur de l’équipe réserve me disait surtout qu’Aliou était actif, qu’il se donnait à 1000%, qu’il prenait part à toutes les réflexions… Et j’ai compris qu’il était déjà dans un nouveau rôle.

Il est venu vous voir au moment de cette reconversion ?Je me souviens en avoir discuté avec lui, oui. Je l’ai prévenu que c’était un métier difficile, que ne pouvaient survivre dans ce métier-là que des gens solides, prêts à se sacrifier et qui ont déjà un certain vécu. Bien entendu, Aliou avait ce profil-là. Je ne suis pas loin de penser qu’il avait déjà envie de s’investir pour son pays.

Aujourd’hui, on sent chez lui ce côté missionnaire : il sait que son rôle dépasse le cadre du simple sélectionneur, qu’il lui faut prendre sur les épaules une pression assez délirante…Il a ça en lui depuis qu’il est devenu capitaine de la sélection, c’est un leader né. Si je n’étais pas parti de Lille, j’aurais essayé de le garder dans l’effectif. Il manquait simplement de compétition. C’était du gâchis de l’envoyer avec la réserve, mais il était trop jeune pour bouger certains cadres. Je ne suis pas surpris de ce qu’il est devenu, car il avait ce truc en plus.

Un truc qui vous rappelait aussi votre enfance au Sénégal ?J’ai eu cette sensibilité, oui. Je voulais l’aider et rendre au Sénégal ce qu’il m’avait offert quand j’étais gosse. J’étais à l’école là-bas, j’ai grandi là-bas, mon père avait trois affaires là-bas, il avait ramené des Sénégalais pour venir travailler en Corse… J’ai baigné dans cette culture, donc j’ai toujours voulu l’aider.

La finale va être contre l’Algérie, que vous connaissez bien et dont vous avez eu la responsabilité il y a treize ans, à une tout autre époque, quand la sélection était 123e nation mondiale. Quand vous regardez dans le rétro, vous vous dites quoi ? Je suis fier, en fait. Très fier, même si on ne récolte pas les fruits… Après 800 matchs sur le banc, on sait qu’on n’est que de passage. L’époque Guy Roux, c’est terminé. En revanche, il est évident que derrière moi, il y a eu une qualification en Coupe du monde, que j’avais préparée. Il est aussi évident que d’avoir été un maillon de cette chaîne-là, c’est une fierté. Il y a encore des personnes à l’intérieur de cette sélection que je connais. C’est comme si demain, on posait la question au président Raouraoua, qui n’a jamais récolté les fruits d’un titre, alors ce titre va peut-être arriver dans les mains du premier qui a pris sa suite. Cette finalité, c’est aussi le fruit du travail commencé en 2006.

C’était comment d’être sélectionneur de l’Algérie en 2006 ?Je me souviens de ma première réunion à la Fédération : il nous manquait des chaises, certaines étaient bancales, je n’avais même pas de paperboard.

Je me souviens de ma première réunion à la Fédération : il nous manquait des chaises, certaines étaient bancales, je n’avais même pas de paperboard… Le premier match, en Guinée, on y est allé en avion militaire. On avait fait deux aéroports pour savoir comment on allait partir. Je me rappelle d’autres soirées où les gars discutaient des primes à 4h du matin, leur billet d’avion ne leur avait pas encore été remboursé… Alors aujourd’hui, quand je vois cette sélection, c’est assez fou.

… Le premier match, en Guinée, on y est allé en avion militaire. On avait fait deux aéroports pour savoir comment on allait partir. Je me rappelle d’autres soirées où les gars discutaient des primes à 4h du matin, leur billet d’avion ne leur avait pas encore été remboursé… Alors aujourd’hui, quand je vois cette sélection, c’est assez fou. Je suis revenu en 2017, le président Raouraoua m’avait accueilli dans son bureau… J’en avais les larmes aux yeux. C’est surtout pour lui que je suis content. Personne n’est éternel, il faut se contenter de ce qu’on apporte, mais je suis fier d’avoir fait partie de cette aventure, d’avoir réussi à poser certaines fondations importantes pour cette sélection.

Malgré tout, elle cavale toujours après un titre…Oui, cette sélection est mystérieuse : comment est-ce possible, avec autant de qualités, de telles infrastructures, de telles conditions, de ne rien avoir gagné depuis 2006 ? Pour moi, le déclic, c’est peut-être quand on avait joué le Brésil (0-2) et l’Argentine (3-4) à l’été 2007. Tout le monde était réticent avant ces matchs-là, tout le monde pensait qu’on allait prendre des casquettes… Et non. Pourtant, on m’avait fait comprendre que si on en prenait six ou sept contre l’Argentine, je pouvais prendre un direct Barcelone-Ajaccio. Je savais que cette équipe était prête et ce sont ces matchs qui te font grandir, les gars en avaient marre de jouer des rencontres bidon. J’étais prêt à assumer un échec, mais au contraire, ça a réveillé l’intérêt : de suite, on a vu des joueurs venir aux portes de la Fédération, tout le monde voulait venir… On a mis les mains dans le cambouis, mais ça valait le coup.

Est-ce que la présence d’un sélectionneur comme Djamel Belmadi, Algérien, qui connaît les joueurs, auquel ils s’identifient, ça peut avoir un impact ?Vous résumez ma pensée… (Rires.) Oui, ça peut jouer, évidemment, parce que c’est un garçon d’une nouvelle génération, qui n’a aucune rancœur, qui est juste là pour faire son boulot, sans fierté… C’est peut-être le meilleur lien finalement, et il arrive au très bon moment, car avant lui, c’était des conflits permanents. Être du pays, ça a ses avantages. Mais cette finale, c’est surtout une drôle d’anecdote pour moi et il n’y a que moi qui le sais : Djamel et Aliou auraient pu jouer ensemble. C’était à Lille. J’étais en contact avec l’agent de Belmadi à l’époque. C’est un regret, parce que c’était un super joueur, mais l’OM nous l’a soufflé… Aujourd’hui, j’aurais pu avoir deux poulains en finale de la CAN, tu imagines ?

Et vous la sentez comment cette finale ?Je suis partagé, forcément, mais mon sentiment le plus fort va vers l’Algérie, parce que j’y ai travaillé. C’est un pays qui est cher à mon cœur. Le Sénégal, c’est Aliou, c’est aussi un pays où j’ai grandi… Y a du sentiment, beaucoup de valeurs des deux côtés, mais je pense que le match de l’Algérie contre la Côte d’Ivoire a été un révélateur et a montré la force de cette équipe. Quoi qu’il en soit, je souhaite bon courage à l’Algérie et à Aliou.

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« Je sentais que ça posait problème à mon club de me voir partir à la CAN »
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Propos recueillis par Maxime Brigand

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