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Jean-Guy Wallemme : « J’aurais dû être plus con, plus tordu, plus vicieux »

Propos recueillis par Julien Duez et Mathieu Rollinger, à Saint-Raphaël
18 minutes
Jean-Guy Wallemme : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>J’aurais dû être plus con, plus tordu, plus vicieux<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Débarqué à l'Étoile FC Fréjus-Saint-Raphaël en début de saison, Jean-Guy Wallemme est toujours un infatigable capitaine de navire. Actuellement dans l'attente de la reprise du championnat de N2, le vieux loup de mer des bancs de touche hexagonaux en a profité, entre deux séances de travail, pour ressortir la boîte à souvenirs. De son titre de champion de France 1998 avec Lens à sa découverte du monde amateur, en passant par son éphémère collaboration avec Rudi Garcia et les visites qu'il organisait à la prison d'Auxerre, l'ex-Casque d'or de Bollaert a des choses à raconter. Pour cela, il lui fallait simplement une table, une chaise et un petit café. Entretien bourré de soleil.

Le couloir du stade Louis-Hon de l’Étoile FC Fréjus-Saint-Raphaël sonne creux. Le vestiaire, vide. La salle de soins, vide. Les tribunes, vides. La pelouse du terrain d’honneur, vide. Il n’y a bien que ce jardinier qui ramasse quelques mauvaises herbes. Et Jean-Guy Wallemme, seul, dans son bureau. Cette semaine, tous ses joueurs sont exceptionnellement au repos. De toute façon, ce week-end, il n’y a pas de match au programme. Si la saison blanche a été actée la veille par la FFF, le National 2 est encore en suspens et il faut se tenir prêt à toute éventualité de reprise. Alors Jean-Guy bûche.


Quel est, en ces temps de coronavirus, le quotidien d’un coach de National 2 ?Mon métier continue. Les joueurs sont à disposition, et normalement, on s’entraîne tous les jours. Cette pandémie nous rappelle qu’on a la chance d’être à l’air libre, de sortir, contrairement à certains. Pour un footballeur, la pire frustration n’est pas de perdre, mais de ne pas jouer. Après, je pars toujours du principe que toute contrainte peut devenir une opportunité. Ce contexte nous permet d’être encore plus ensemble et, le jour où ça va reprendre, ça va taper. J’espère qu’on sera prêts.

L’Étoile est toujours en lice pour monter en National 1. Comment, dans ces conditions, arrive-t-on à rester focus sur les objectifs ?On est dans un groupe où il n’y a qu’un élu. Ça se joue sur des petits détails parce que tout le monde veut aussi en être. Vous avez entendu que des gens issus du monde professionnel ont débarqué dans ce championnat, comme Anelka et Boudjellal à Hyères, Tigana à Toulon ou Cris à GOAL, donc ça lui donne une exposition sans précédent.

Le projet du voisin hyérois marche-t-il sur vos plates-bandes ?Non, ça pousse à se surpasser. Quand j’étais joueur et qu’on recrutait un défenseur, je n’allais pas dire au président : « Eh, tu fais quoi ? » J’allais lui marcher sur la gueule pour garder ma place, et c’est tout ! Cette concurrence, ça empêche de s’endormir. Et ça oblige à adopter la même attitude et le même comportement que dans le monde professionnel, même en ayant un statut amateur.

La concurrence, ça empêche de s’endormir. Et ça oblige à adopter la même attitude et le même comportement que dans le monde professionnel, même en ayant un statut amateur.

Qu’est-ce que les anciens pros viennent chercher dans cette division ?Du travail, tout simplement. Pour nous, les portes du monde professionnel sont fermées pour X raisons. Donc soit tu attends chez toi que le téléphone sonne, soit tu prends les choses en main, tu bosses et tu essayes de t’exprimer. À Fréjus-Saint-Raphaël, il y a un projet, et c’est un milieu exigeant, puisqu’il n’y a qu’une seule promotion au bout. À ce niveau, on sait que c’est du gagnant-gagnant. Si je performe ici, un jour, je pourrai retrouver le niveau professionnel.
Vous estimez avoir fait des mauvais choix au long de votre carrière d’entraîneur ?Je ne suis pas Madame Soleil, ce n’est qu’après coup qu’on s’en rend compte. Aller au Congo en 2011, par exemple, c’était un bon choix. Mais derrière, j’ai cumulé avec Auxerre en cours de saison parce que Gérard Bourgoin me l’a demandé. Il était très lié au président congolais qui vivait une situation politique compliquée et lui avait demandé de gérer le football national, « l’opium du peuple » comme il disait, pour que les choses se calment dans le pays. Sur le moment, le cumul des postes ne posait visiblement de problème à personne. Mais quand j’étais au Congo, Guy Roux me cassait la tête, il faisait sa tambouille en interne. Donc j’ai dit à Bourgoin et Hamel (le président historique de l’AJA, NDLR) : « Vous n’aviez qu’à mettre votre veto, mais c’est vous qui vouliez que je vienne. » Finalement, Auxerre se retrouve en Ligue 2, mais ce n’est pas moi qui étais aux commandes depuis dix ans. J’aurais peut-être dû choisir. Et je pense que Guy Roux m’a fermé quelques portes après coup.

À quoi se joue la réputation d’un coach ?Aux matchs gagnés. Regardez Zidane : trois matchs sans victoire avec le Real et il est déjà sur la sellette. Mais il a quand même gagné trois Ligues des champions, ne l’oublions pas ! On peut s’être emmerdé devant France-Ukraine, mais jamais je ne me permettrais de critiquer les choix de Didier Deschamps. Parce que c’est un collègue et que je sais par quoi il passe. Jacquet, idem. Et pourtant, quand j’étais joueur, j’aurais pu en faire partie, de cette équipe de France 1998. Je pense qu’entre Lebœuf et moi, il n’y avait pas 50 mecs. Mais voilà, il a été champion du monde, donc c’est Aimé qui a eu raison ! C’est souvent le résultat qui donne raison de toute façon.

Avec votre nom et votre cursus, comment votre arrivée est-elle accueillie par des joueurs amateurs ?C’est la différence entre la légitimité et la crédibilité. La légitimité : il y a un CV, un parcours, une expérience factuelle. En revanche, la crédibilité, vous pouvez la perdre très vite. Si le mec voit au bout d’une semaine que le légitime Jean-Guy Wallemme propose des séances qui ne plaisent pas, le nom n’existe plus. L’image, elle s’étiole. Quand Didier Deschamps arrive sur le banc de Monaco, il a beau avoir l’un des plus beaux palmarès du pays en tant que joueur, comme entraîneur, il doit encore tout prouver. Pendant l’un de ses premiers matchs, il fait sortir Rothen, et Jérôme lui balance son maillot dans la tronche. À ce moment-là, Didier a dû comprendre qu’il n’était plus le Deschamps de 1998, mais juste un entraîneur débutant.

Arrivez-vous à comprendre les jeunes générations que vous entraînez aujourd’hui ?Je pense bien m’être adapté, oui. Il faut être un peu plus proche, tout en gardant une barrière.

Il y a 15 ans, vous pouviez diriger vos anciens coéquipiers, aujourd’hui, ils pourraient être vos fils.Forcément. Tout le monde ne sait pas qui je suis. Quand j’étais à Chartres, pour rire, mes adjoints avaient accroché une photo de moi avec Rai au PSG dans mon bureau. J’ai changé depuis ce temps, j’avais les cheveux longs…

[On toque à la porte : Jean-Guy doit renseigner un papa pour l’inscription de son fils et l’oriente vers le siège du club.]

Vous voyez, il faut aussi faire le guide ici.

Il n’a pas l’air de vous avoir reconnu non plus, le monsieur…Non. (Rires.) Mais cette photo, avec Rai, je m’en suis servie. L’an dernier, je discutais avec un joueur qu’on voulait faire venir, et à la fin, il me demande : « Mais vous avez joué au football, monsieur ? » Je lui dis : « Nan, nan, mais je connais un peu le ballon quand même. Regarde, c’est mon frère, là. » Il s’est dit : « Merde, j’ai fait une connerie. » Je l’ai rassuré : « Ce n’est pas grave, garçon, tout va bien, mais la prochaine fois que tu passes un entretien, renseigne-toi un peu quand même avant sur la personne que tu as en face de toi. » Et derrière, ça s’est super bien passé avec lui.

Votre première expérience sur le banc a été assez particulière, puisque vous avez été nommé entraîneur de Saint-Étienne en cours de saison, alors que vous étiez encore joueur. Comment ça s’est fait ?Robert Nouzaret qui se fait virer après une défaite à Strasbourg, alors qu’on était 5es ou 6es. Dans les vestiaires, ça chauffe un peu entre le président Alain Bompard et lui. Des petits malins sont même allés inventer qu’ils en étaient venus aux mains. Après, John Toshack est arrivé.

Qu’avez-vous pensé de ce choix ?C’était certainement un bon entraîneur parce qu’il venait du Real Madrid, mais il ne connaissait pas le championnat de France. À mon avis, c’est aussi parce qu’il était l’avant-centre du Liverpool qui avait joué contre Saint-Étienne. Bref, on change de tactique, on fait beaucoup de matchs nuls, on avance moyennement. À la trêve, on tire l’AC Ajaccio en Coupe de la Ligue et le Gazélec en Coupe de France, à dix jours d’intervalle. À la veille du départ, on voit deux voitures immatriculées en Espagne garées devant Geoffroy-Guichard, et on se dit : « Il s’en va Callaghan… » Les joueurs savaient qu’à 33 ans, j’avais une reconversion possible, et arrive la discussion pour que je prenne des prérogatives, au moins le temps des matchs à Ajaccio. Dans le bus, je passe des coups de fil, on me dit de faire gaffe, mais je suis dans une machine à laver. Je veux avoir le soutien du comité directeur, mais je sais aussi que Rudi Garcia est là et qu’il peut être frustré.

Pourquoi ?Parce qu’il a été l’adjoint de Nouzaret, puis celui de Toshack, et qu’on ne lui propose pas de reprendre l’équipe. Alors je vais le voir et je lui dis : « Écoute, est-ce qu’on ne pourrait pas faire quelque chose ensemble ? » Même si on savait qu’on n’allait pas manger ensemble tous les jours et qu’on avait un caractère différent, je lui faisais confiance. Il avait plus d’expérience que moi parce qu’il avait arrêté de jouer à 28 ans. Et il a accepté de me suivre. À Ajaccio, on passe les deux tours. À chaque fois après prolongation, en serrant les miches, avec la tribune qui tangue, le bus caillassé en repartant. Quand on rentre, les supporters présents à l’aéroport ont déjà oublié que c’était le tandem Wallemme-Garcia sur le banc. Ce qu’ils retiennent, ce sont les Verts qui gagnent.

Rudi, c’est un sacré communicant. On aime ou on n’aime pas, mais derrière, il fait Lille, la Roma, Marseille, Lyon… et moi aujourd’hui, je suis à Saint-Raph’ !

C’est donc vous qui avez lancé la carrière d’entraîneur-principal de Rudi Garcia ?Si on veut, mais il n’a pas eu besoin de moi après. Rudi, c’est un sacré communicant. On aime ou on n’aime pas, mais derrière, il fait Lille, la Roma, Marseille, Lyon… et moi aujourd’hui, je suis à Saint-Raph’ ! (Rires.) C’est comme quand on me dit que c’est moi qui ai lancé Raphaël Varane. J’ai eu l’opportunité de le mettre sur le terrain un jour, mais il avait déjà quelque chose dans les pieds, je ne lui ai pas appris à jouer au football. Comme Serge Aurier à 17 ans. Et pourtant, il y avait des vents contre moi.

L’histoire du mec au bon endroit et au bon moment donc.Oui, mais, il y a plein de choses qu’on ne peut pas anticiper. Prenez l’histoire des faux passeports avec Saint-Étienne. Entre les deux matchs d’Ajaccio, on gagne contre le PSG de Fernandez. 1-0. 40 000 personnes. Les Magic Fans et les Green Angels en effervescence. C’est la folie, quoi. On est en janvier, tu as 31 points, tu respires. Sauf que deux jours plus tard, on te dit : « Non monsieur, vous en avez 24. » Et là, tu prends une tartine. Va annoncer ça aux joueurs un 20 janvier, sous 10 centimètres de neige ! Derrière ça se passe mal : il faut courir derrière les points, Panov, Alex et Aloísio ne peuvent plus jouer, et moi, je redeviens un joueur lambda. Rudi a récupéré l’équipe seul, et moi, je regardais les derniers matchs depuis la tribune. Là, tu as le film de ta vie qui défile dans ta tête.

Tout ça aurait pu vous dégoûter du métier d’entraîneur, non ?Oui, mais je suis rapidement recontacté par Lens. Joël Muller vient d’arriver et il a besoin de joueurs d’expérience et de caractère dans son vestiaire. Je signe donc comme joueur de vestiaire et finalement, je joue 32 matchs et on termine deuxièmes avec une équipe de soldats. Ça m’a fait plaisir de montrer que je n’étais pas fini, même si j’aurais voulu remporter un deuxième titre de champion de France et battre Lyon, surtout en tant qu’ancien Stéphanois. La saison suivante, j’aurais pu garder mon rôle, mais l’épisode de Sainté me revient en tête : si ça se passe mal en début de saison, on me proposera peut-être de reprendre à nouveau les rênes de l’équipe. Sauf que je n’étais pas prêt ! Alors je décide de passer les diplômes, et le Racing Club de Paris me propose de commencer en National. Mais quand on revient en stage, la DNCG est passée par là entre-temps, et on est désormais en CFA.

Vous aviez le sentiment d’être un chat noir, après un tel enchaînement ?Ah ça, passer de Bollaert à Colombes… « Bonjour m’sieur-dames ! » C’est sûr que quand tu vois l’historique de mes débuts, ce n’est pas commun. Mais ça m’a forgé. Ce sont des épreuves, une histoire. Peut-être même un destin.

En vous écoutant, on a surtout l’impression qu’on vous a toujours mis dans des cases.C’est vrai, je pense qu’on me voit comme un besogneux, un mec de devoir, un mec honnête dans un milieu qui l’est peut-être moins aujourd’hui… Des étiquettes, on en a tous une et c’est dur de s’en défaire. Quand je suis parti en Angleterre, à Coventry, je jouais sous les ordres de Gordon Strachan, une certaine idée du football. (Il tape du poing dans sa paume.) J’aurais pu jouer dans d’autres clubs, mais voilà : je reste ce mec qui se bagarre et qui ne veut rien lâcher. Pourtant, j’avais d’autres qualités.

Par exemple ?En Angleterre, après de longs ballons, je faisais une passe courte, au lieu de reprendre de volée. Les mecs ne s’attendaient pas à ça ! (Rires.) Là-bas, je me suis fait bouger, alors qu’en France, on me considérait comme un défenseur rugueux.

Vous avez passé la majorité de votre carrière à penser plus aux autres qu’à vous.C’est ce qu’on exige d’un entraîneur, tandis que quand tu es joueur, tu penses d’abord à toi. Pourtant, quand j’étais capitaine à Lens, j’étais presque tous les jours dans le bureau de Daniel Leclercq pour discuter de l’équipe. Mais à un moment donné, il aurait fallu que je pense plus à moi. J’aurais dû être plus con, plus tordu, plus vicieux, développer mon réseau quand certains agents m’ont appelé… Je le dis en rigolant, mais aujourd’hui, on sait qu’il y a des entraîneurs qui ont été choisis pour leur réseau. Ça, c’est être intelligent dans le métier.

Il y a une opportunité que vous estimez avoir manquée ?On parlait du bon endroit et du bon moment, mais il y a aussi les bonnes personnes. Au début des années 1990, j’étais international espoirs, et Artur Jorge me voulait au PSG. Mais Lens était en D2, et Gervais Martel a dit que je ne partirais pas. C’était une époque où l’on ne contestait pas les décisions de son président. Finalement, Paris prend Geraldão qui, soit dit en passant, a réalisé un passage éclair et a juste réussi à faire changer les ballons et la pelouse du Parc.

Qu’est-ce que Paris aurait changé dans votre carrière de joueur ?Avant qu’on soit champion en 1998, aucun Lensois n’était en équipe de France. L’année suivante, Fred Déhu et Tony Vairelles partent et deviennent internationaux. Il n’y a pas de hasard. Avec le recul, il y a donc des choses que je ferais peut-être différemment.

Depuis le début, je ne me situe pas trop dans ce monde-là. Le football, c’est 80% de contraintes et 20% de plaisir. Les 20% de plaisir, c’est quand tu gagnes les matchs et que tu vis super bien avec ton groupe. Sinon, tu n’as que des emmerdes.

Quelle reconversion auriez-vous pu avoir si ce n’était pas celle d’entraîneur ?Je ne sais pas, mais ç’aurait été complètement hors football. Depuis le début, je ne me situe pas trop dans ce monde-là. Le football, c’est 80% de contraintes et 20% de plaisir. Les 20% de plaisir, c’est quand tu gagnes les matchs et que tu vis super bien avec ton groupe. Sinon, tu n’as que des emmerdes. Quand tu es entraîneur, tu passes ton temps à dire « nous ». Mais le joueur, c’est « je » avec sa femme, « je » avec son père, « je » avec l’entraîneur qui ne l’aime pas. Moi ce qui me plaît, ce sont les relations humaines, l’aspect psychologique.

Faut-il en déduire que vous auriez fait un bon psy ?Je me suis déjà posé la question.

Du moins, vous auriez pu faire un bon éducateur. Quand vous étiez à Auxerre, vous aviez organisé une visite de la maison d’arrêt avec vos joueurs.Ça me vient de mes années lensoises. Comme les prisonniers avaient été sages, ils pouvaient choisir entre la visite d’un chanteur et celle de l’équipe de foot. Bah, ils ont choisi de faire un entraînement avec le RC Lens. En prison, quand une porte s’ouvre, une autre se referme immédiatement derrière : clac ! Clac ! Même si tu sais que tu vas ressortir un peu plus tard, c’est un sentiment bizarre. C’est aussi l’occasion de rencontrer des profils inhabituels : lui il s’est sauvé trois fois, lui il a fait quatre braquages… Dans notre métier, tu perds la conception de la liberté. Quand tu fais un mauvais résultat, le lendemain, tu vas quand même pouvoir prendre ta voiture et aller à l’entraînement. Ça veut dire que c’est acquis au quotidien : on est libres. Et les prisonniers – même s’ils ont fait les cons, hein ! – ils ne le sont pas. Alors quand tu es sur le terrain, profite et donne le meilleur de toi-même. À Auxerre, j’ai aussi été visiter l’usine de Gérard Bourgoin : il y avait 1000 salariés qui coupaient des têtes de poulets à la chaîne. Le mec, il fait ça toute la journée. (Il mime le geste du hachoir.) Ça fait réfléchir de voir ça.

Ils sont réceptifs à ça, vos joueurs ?Ça a un impact. C’est l’inverse qui est plus compliqué. Ces gens gagnent 1200 balles, toi 20 000… Après oui, c’est vrai que la carrière d’un joueur peut être très courte, et parfois, il vaut mieux avoir été 40 ans ingénieur que 5 ans footballeur. Mais ça, je ne peux pas l’expliquer à quelqu’un qui gagne le SMIC. D’un autre côté, quand la France a gagné le Mondial en 2018, il y a des gens dans les campings qui ont complètement oublié leur quotidien. On est bien, on se rassemble, on est dans un échange, dans un partage… Combien d’argent ça vaut, ça ? Le bonheur n’est pas transmissible financièrement. À Lens, on nous disait : « Vous êtes des marchands de bonheur. » Le foot est un exutoire. Au stade, au lieu de s’engueuler entre eux, les gens gueulent sur Wallemme, et c’est pas plus mal. Quand j’entends des joueurs qui disent : « Ouin ouin, ils m’ont sifflé », ça me rend dingue. Si tu me donnes 200 000 balles par mois, tu peux me mettre deux claques dans la gueule, pas de souci, je prends.

Vous semblez ne pas avoir de tabou vis-à-vis de l’argent.Je ne suis pas un fou. J’ai 53 ans, je viens d’un patelin de 1500 habitants, mes parents étaient ouvriers. Si je peux me permettre d’avoir une vie plus tranquille, je ne vais pas m’en priver. J’ai revu Bruno Bellone récemment. Il a fait des placements après avoir fait confiance à des mauvaises personnes et il s’est retrouvé dans la merde. Ça peut aller très vite.

Ça vous est arrivé à vous aussi, ces investissements foireux ?Bien sûr. On est nombreux dans ce cas-là chez les footeux, parfois à être encore en procès. On est une cible facile, donc il y a forcément des escroqueries qui en découlent. Je sais que Cédric Hengbart a été en difficulté lui aussi. Idem pour Hoarau et Ospina.

Elle est où votre maison aujourd’hui ?Je n’en ai plus.

À Auxerre, j’ai été visiter l’usine de Gérard Bourgoin : il y avait 1000 salariés qui coupaient des têtes de poulets à la chaîne. Le mec, il fait ça toute la journée. Ça fait réfléchir de voir ça.

Vous n’avez plus de maison ?Non. Bon, j’ai mon logement à Saint-Raphaël. Je joins l’utile à l’agréable. (Sourire.)

Vous vivez seul ?Oui. Mes enfants sont grands, mon fils est à Paris et ma fille est dans le Nord.

Vos meilleurs amis sont dans le foot ou en dehors ?Je n’en ai pas beaucoup.

Des meilleurs amis ou des amis tout court ?Des amis tout court. Ce sont plus des potes que des amis. On peut se croiser sur un banc de touche, mais sans jamais se poser davantage ensemble. C’est tellement éphémère dans ce milieu-là… En plus, on ne sait jamais si les relations se créent par intérêt ou pour l’aspect humain.

Voir Lens rejouer les premiers rôles en Ligue 1, ça ne vous a pas donné envie de rappeler vos copains d’il y a 20 ans ?La dernière fois que j’y suis allé, c’était malheureusement pour l’enterrement de Daniel (Leclercq, le 22 novembre 2019, NDLR), paix à son âme. Et c’est ce qu’on disait avec les anciens de 1998 : on voulait fêter les 20 ans du titre, mais on n’a pas pu pour X raisons. On est tous partis vers différents horizons. Des gars comme Vladimir (Šmicer) et Anto (Drobnjak), il faut aller les chercher.

Quelle est la morale de cette histoire ?Il ne faut jamais remettre au lendemain ce qu’on peut faire le jour même. Sinon, tu ne revois les gens que quand il arrive une merde. Le décès de Daniel par exemple. C’est aussi la problématique du football : la vie passe super vite. Que tu gagnes un match ou que tu le perdes, tu passes immédiatement au suivant. Tu arrives en fin de contrat, tu te projettes immédiatement sur le suivant. Et là, tu arrives à 50 balais et tu te dis : « Ça fait 20 ans que je n’ai pas vu mes potes. »

Dans cet article :
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Propos recueillis par Julien Duez et Mathieu Rollinger, à Saint-Raphaël

Photos : Icon Sport // JD, MR

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