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« Je me suis toujours regardé dans la glace »

Propos recueillis par Maxime Brigand
13 minutes
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Cette fois, c'est terminé : on ne reverra plus François Modesto sur un terrain de foot. Suspendu pour le déplacement du Sporting à Rennes, le défenseur corse a fait ses adieux au championnat de France la semaine dernière lors de la victoire bastiaise face à Angers (1-0). Entretien musclé entre la voiture de Frédéric Antonetti, le vestiaire de Didier Deschamps et le Pirée.

Samedi dernier, face à Angers, tu faisais tes adieux à Furiani. On t’a vu rester de longues minutes sur la pelouse. Qu’est-ce que tu as ressenti à ce moment-là ?De la fierté parce qu’en étant corse, finir devant son public, devant sa famille, ses enfants, avec une telle fête… En réalité, jamais je n’aurais pensé après mon premier match professionnel à Bastia finir comme ça. Ça veut dire que ça a été long, mais aussi que j’ai été apprécié pour ce que j’ai fait. Je ne pourrai jamais oublier tous ces gens-là.

Tu ne t’attendais vraiment pas à un tel accueil ?Honnêtement, non. Je pense que c’est vraiment une des premières fois qu’un joueur est salué comme ça à Bastia, avec autant d’amour, d’émotions. Je m’attendais à un petit truc, mais pas à quelque chose d’aussi émouvant.

Quand tu étais à Monaco, certains supporters te surnommaient « Dieu » . Comment as-tu réussi au fil de ta carrière à développer une relation aussi particulière avec le public dans tes différents clubs ? Tout simplement parce que je suis resté le plus naturel possible. Je n’ai jamais menti aux gens, j’ai toujours essayé de donner le maximum sur le terrain, même si je n’avais pas d’énormes qualités. Je pense que les supporters m’ont toujours apprécié avec le temps, car je n’ai jamais été le genre de joueurs qui, à peine arrivé dans un club, embrasse le maillot au bout de trois matchs. Moi, j’ai toujours dit qu’on n’a qu’un club de cœur et que les autres, il faut du temps pour les aimer, pour qu’un nouveau club te rentre vraiment dans la peau.

Quand on regarde ta carrière, tu es passé par Bastia, Cagliari, l’Olympiakos, que des clubs avec une forte identité et une grosse passion. C’est quelque chose qui te fait avancer ?J’ai eu la chance de jouer dans des clubs qui ont une grande histoire. Cagliari, la Sardaigne, et Bastia, ça se ressemble beaucoup. Après, Olympiakos, c’est quand même le premier club en Grèce dans une ville où tu as douze millions d’habitants et six millions de supporters. C’est une institution qui te rentre vraiment dans les veines, tu apprends là-bas ce qu’est vraiment un grand club et cette passion particulière, je l’ai vraiment appris à ce moment-là. Le foot est comme une religion.

Ma mère et ma grand-mère étaient assises sur le divan, et Antonetti leur a dit qu’un jour, il me ferait débuter en Ligue 1, ce qu’il s’est passé six ans après.

Toi, ton club de cœur, c’est le Sporting. Gamin, Frédéric Antonetti venait même te chercher chez toi.J’ai toujours grandi avec les images des épopées de Bastia, de 78 à 81, c’est quelque chose que mon père m’a toujours transmis, il m’a toujours emmené au stade. Après le décès de mon père, Fred est venu me chercher à la maison à l’âge de 14 ans. Je ne voulais pas rejoindre le Sporting, je voulais rester jouer avec mes amis d’enfance, mais il a su me convaincre parce qu’il a toujours été important pour moi. Ma mère et ma grand-mère étaient assises sur le divan, et il leur a dit qu’un jour, il me ferait débuter en Ligue 1, ce qu’il s’est passé six ans après. C’est quelqu’un qui a toujours eu un œil sur moi.

Qu’est-ce qu’il y a de si particulier avec lui ?C’est une chose qui est née comme ça. J’ai beaucoup de respect envers l’homme. Après, on est corses, donc on sait ce que ça veut dire. On sait pourquoi on aime le Sporting, on sait ce qu’est le travail. Si Fred en est là où il est aujourd’hui, ce n’est pas un miracle, c’est simplement parce qu’il a cette culture du travail. Ce lien est à jamais, il m’a toujours donné les bons conseils pour aller jusqu’au plus haut niveau.

Quel souvenir gardes-tu de tes matchs en tribunes à Furiani ?Ah des matchs, j’en ai vu beaucoup ! En Ligue 2 à l’époque, puis il y a eu la montée en 1993, ces déplacements à Mezzavia après la catastrophe de Furiani, ces voyages sur le continent. Il y a eu aussi ces épopées en Coupe, j’ai toujours suivi mon club.

Quitter le Sporting pour aller jouer en Italie, c’est quelque chose qui a été difficile à l’époque ?Je vais te dire la vérité : non. C’est la vie d’un footballeur. J’avais déjà réalisé mon premier rêve qui était de porter les couleurs du Sporting. Après, les dirigeants de l’époque ne comptaient pas sur moi, donc j’ai pris mes responsabilités. J’avais fait pas mal de matchs en Ligue 1 quand j’étais jeune, donc j’avais des propositions.

En Sardaigne, tu as vraiment trouvé la même atmosphère ?C’est pareil en plus impressionnant. Au niveau de l’identité, c’est pareil, parce que jouer pour Cagliari, c’est représenter la Sardaigne. C’est aussi là-bas que je me suis construit en tant qu’homme et en tant que joueur professionnel. C’est là que j’ai vraiment appris mon métier. L’Italie, à ce moment-là, c’était la référence avec des stades pleins. J’ai vu vraiment ce qu’était le football de haut niveau.

Didier Deschamps a fait la plus belle causerie que j’ai connue dans le football. Il nous avait pris un par un, devant tout le groupe, pour nous dire la vérité en face. Après ça, on a fait une série de dix rencontres avec huit victoires, on a terminé premiers de notre poule en C1 en gagnant 5-0 à La Corogne.

C’était quoi, justement, l’Italie du début du siècle ?Tous les samedis, c’était des matchs de Ligue des champions. Il y avait tous les meilleurs joueurs au monde. Pendant plusieurs années, je les regardais à L’Équipe du dimanche, c’était un rêve pour moi. Et là, mon premier match, fin août, je me retrouve au stade Olympique de Rome contre la Lazio qui venait de remporter la Coupe des coupes (face à Majorque, 2-1, ndlr) et de battre Manchester United en Supercoupe d’Europe. En face de moi, il y avait Salas, Verón, Almeyda, Nesta, Conceição… Il n’y a pas eu de souci, mais bon, jouer Baggio et Ronaldo, tu ne peux pas l’oublier.

Comment vivait le groupe à Cagliari ? Tu étais quand même entouré de gros morceaux, toi aussi.Il y avait pas mal de joueurs qui parlaient français déjà, Patrick Mboma, Zebina, Jason Mayele. On était très proches parce que ce n’était pas évident de s’intégrer au départ par rapport à la langue. Après, jouer avec Zola qui a trente-neuf ans, c’est forcément des bons souvenirs.

Justement, tu as vu Zola venir terminer sa carrière à Cagliari comme une dernière mission. C’est quelque chose qui t’a servi toi aussi lors de ces dernières semaines ?Oui, forcément, surtout qu’avec Gianfranco, on est vraiment proches, on a une culture similaire, on a toujours aimé notre culture et notre île. À l’époque, il aurait pu rester à Chelsea où il venait d’être élu meilleur joueur de l’histoire du club, mais il a préféré venir aider son club de cœur à remonter en Serie A. Il a fini chez lui. Quand vous faites partie d’une île, vous êtes sentimental. Je m’étais toujours fait la promesse de venir finir chez moi, je n’en avais pas fait une question financière. J’ai toujours voulu ça, c’était dans un coin de ma tête. Après chaque match que je faisais, le premier résultat que je regardais était celui de Bastia.

En 2004, Didier Deschamps était venu te chercher pour reconstruire son équipe post-finale de C1. Comment ça s’est passé ces premiers contacts ?Les contacts avaient commencé un an avant. J’avais passé quelques jours à Monaco avec Deschamps l’été avant l’épopée en Ligue des champions, mais je n’avais pas pu signer à cause des problèmes du club avec la DNCG à l’époque. Le club ne pouvait faire que des prêts, mais Deschamps est revenu me chercher naturellement un an après. Il a tout fait pour me faire venir à Monaco et quand on vient de remporter en championnat de Serie B, que l’un des meilleurs entraîneurs français vient vous chercher, vous en êtes fier. Il a toujours été honnête avec moi, m’a toujours expliqué que j’étais un second choix, mais qu’il comptait sur moi.

Avec le recul, c’était quoi le secret du Monaco de Deschamps ?C’est quelqu’un de très proche de ses joueurs, mais aussi très sérieux, énormément respecté, et correct avec tout le monde. Sa force est de toujours s’occuper des joueurs qui ne jouent pas. Il accorde une grosse importance à l’équilibre de groupe : même s’il te dit que tu es un second choix, il te considère comme un titulaire et te le fait comprendre. Il te fait entrer dans le projet. Après, il suffit de vivre une causerie de Deschamps pour comprendre sa réussite.


Tu as un souvenir en particulier ?Je pense qu’il a fait la plus belle causerie que j’ai connue dans le football. C’était à une époque où on n’avait pas eu de bons résultats avant Noël. Il nous avait pris un par un, cas par cas, en citant notre nom devant tout le groupe et il nous avait chacun dit la vérité en face. Après ce match-là, on a fait une série de dix rencontres avec huit victoires, on a terminé premiers de notre poule en C1 en gagnant 5-0 à La Corogne. Il avait mis tous les compteurs à zéro, et chacun avait pris sa responsabilité.

Sur quels points il avait insisté particulièrement avec toi ?Il m’a dit que j’avais intérêt à me bouger un peu parce qu’il était venu me chercher en Serie B, que je devais prouver que je méritais ma place et que j’allais avoir ma chance. C’était à moi de ne pas oublier d’où j’arrivais et il avait eu raison. C’est le genre de moments qui restent gravés à vie. Ce jour-là, il a vraiment été énorme.

Tu es quelqu’un qui marche à l’affectif ?Non, je me suis toujours regardé dans la glace et je me suis toujours dit que si je ne jouais pas, c’était de ma faute et pas celle du coach. Je sais que des joueurs comme ça, il n’y en a pas beaucoup, mais à chaque fois que je n’étais pas titulaire, je me disais que je ne travaillais pas assez. J’ai toujours fait mon autocritique avant de m’en prendre à un entraîneur.

Quand tu étais parti à l’Olympiakos en 2010, tu avais 32 ans. Tu avais alors expliqué penser ne plus avoir rien à apprendre dans le foot, et finalement c’est peut-être là que tu as le plus appris.En Grèce, c’était un contexte particulier parce j’arrive dans un très grand club, à tous les niveaux, où tout est super bien organisé, où tout le monde reste à sa place. Il faut vraiment toucher la réalité de l’Olympiakos pour s’en rendre compte. Je pensais qu’à trente-deux ans, j’avais fait le tour de la question. Et là, en arrivant, je me retrouve avec un coach comme Valverde qui, malgré des premiers mois difficiles, me fait confiance, me parle beaucoup et commence à me faire évoluer à un nouveau poste, devant la défense. Il me dit que j’ai toutes les capacités pour évoluer dans ce rôle-là. J’ai connu les trois plus belles années de ma vie au haut niveau, car je ne m’attendais pas à découvrir un nouveau poste à cet âge. Avec Valverde, on avait une relation particulière, il m’a beaucoup apporté et on a beaucoup discuté sur la vie après le foot.

J’ai décidé de m’arrêter, car je voulais finir dans mon club, en haut, et non dans une saison galère. Là, se sauver trois saisons d’affilée, c’est un petit miracle.

La tactique, c’est quelque chose qui te parle ?Quand vous avez joué cinq ans en Italie, que vous avez mangé des vidéos, des vidéos, que vous avez connu des entraînements tactiques sans ballon, oui, tu commences à aimer ça.

Donc le coaching peut t’intéresser ?Oui, ça commence à me passer par la tête. J’ai eu la chance d’évoluer avec des grands joueurs et de connaître des grands coachs. Avec du calme, de la patience, je vais commencer à y réfléchir, mais pour l’instant, c’est trop tôt.

Quand tu es revenu à Bastia en 2013, avais-tu déjà cette volonté ? Dans l’approche, la relation avec les jeunes…Pendant toute ma carrière, j’ai toujours beaucoup partagé. Je suis comme ça, je donne des conseils, sans jalousie et sans penser à la concurrence. Quand le titulaire faisait un bon match, j’étais content. J’ai toujours voulu partager mes expériences.

Le foot, pour toi, c’était une évidence ou simplement une passion ?C’est devenu un métier, mais ça a toujours été une grande passion. Mon objectif numéro un, au-delà de l’argent, était de jouer au ballon. C’est aussi pour ça que dans certains clubs où je suis resté longtemps, je n’ai pas voulu changer par moments. On me proposait de meilleurs contrats, mais quand tu es bien quelque part, tu peux mettre de côté l’aspect économique.

Si tu arrêtes, c’est que tu prenais moins de plaisir ?Non, j’ai décidé de m’arrêter, car je voulais finir dans mon club, en haut, et non dans une saison galère. On ne sait jamais quand on joue dans un club comme Bastia. Là, se sauver trois saisons d’affilée, c’est un petit miracle. Le football a beaucoup changé et, même si je suis bien physiquement, je ne voulais pas faire la saison de trop. Jouer jusqu’à 38 ans, déjà, je pense que j’ai beaucoup de chance.

Lors de ton retour, on t’a senti dans un rôle de porte-voix, aussi, comme lors de la polémique avec Frédéric Thiriez autour de la finale de la Coupe de la Ligue 2015.Le truc, c’est qu’à Bastia, dès qu’on fait un truc un peu moins bien, on nous massacre et c’est à la une des journaux. On a fait des erreurs, mais on a également su apprendre de nos erreurs. Quand on se comporte mal avec nous, on ne dit rien et ils n’ont pas les mêmes sanctions. Vous savez, quand le président de la Ligue ne descend pas nous saluer et se trouve des excuses… Nous, on est montés sans lui serrer la main, car il nous a manqué de respect, d’éducation. C’est contre une région et c’est à l’image de toute la mandature de Frédéric Thiriez. Mais je suis fier de ce qu’il s’est passé autour du 5 mai.

Justement, ce 5 mai 1992, à quel point cela t’a servi dans ta carrière, dans ton attachement au Sporting ?J’avais quatorze ans, j’y étais. Je crois qu’à 12h30, on était déjà au stade avec des amis d’enfance. Jamais je ne pourrai oublier cette journée, des gens sont morts pour ce club et c’est ce que doit comprendre un joueur quand il arrive ici : on ne joue pas pour le Sporting comme on joue pour un autre club. On joue pour un peuple, une région. Il y a eu des morts pour ce maillot.

Tu penses que c’est difficile de s’imprégner d’une telle histoire ?Ce que je peux vous dire, c’est que quand les gens arrivent au club, ils se rendent compte à quel point le Sporting est attachant. C’est une identité et, après, ils prennent plaisir à défendre ses couleurs. Vu du continent, l’avis est différent.

Après toi, Yannick Cahuzac devient l’un des seuls garants de cette histoire.Yannick est un exemple pour tous les jeunes Corses. Son grand-père a écrit l’histoire du club et aujourd’hui, il est le capitaine du club. On peut s’apercevoir que le club a toujours fonctionné lorsqu’il avait une ossature corse, comme dans toutes les grandes équipes, à l’image du Barça. Ça doit être une force et ça a toujours été la nôtre.

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