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Jaffredo : « Quand je suis dans ma bulle, rien ne peut m’arriver »

Propos recueillis par Flavien Bories
8 minutes
Jaffredo : «<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>Quand je suis dans ma bulle, rien ne peut m’arriver<span style="font-size:50%">&nbsp;</span>»

Après onze années de bons et loyaux services rendus au championnat de France, Lionel Jaffredo a arbitré son dernier match de Ligue 1 lors d’un Angers-Montpellier le 20 mai dernier. L'occasion de découvrir un peu mieux un homme pudique, réservé et plus que tout attaché au respect des règles.

Comment va le jeune retraité ?Je me sens très bien. Je m’y étais préparé psychologiquement dès le mois de juin dernier. Pour Angers-Montpellier, lorsque je suis entré sur la pelouse avec mes collègues, il fallait profiter. C’était le dernier. J’ai eu un petit regard pour ma famille présente. C’est très rare qu’elle soit là et en si grand nombre. Les joueurs savaient eux aussi que c’était mon dernier match. Peut-être que leur respect à mon égard était plus prononcé. Les voir venir vers moi, me féliciter pour ma carrière m’a fait chaud au cœur. Je suis satisfait du devoir accompli, content de mes 31 ans de carrière et des onze années passées en Ligue 1. Je suis toujours resté moi-même, simple et je pense que ça se voyait. Tout le monde était content de tourner avec moi, que ce soit des assistants, quatrièmes arbitres ou collègues du groupe. Ces attentions, tous les messages que j’ai reçus m’ont fait vraiment du bien. J’ai laissé une petite trace plutôt sympathique.

Que vous a apporté votre famille durant votre carrière ?Un gros soutien. Dans les bons moments, c’est assez facile, mais lorsqu’on prend une mauvaise décision, on ne peut pas se laver les mains le lundi matin et dire que tout va bien. On est malheureux d’avoir fait quelque chose d’injuste. La famille est là aussi pour nous faire penser à autre chose, nous remonter le moral par moments. Mais je voulais aussi les protéger de tout ça.

Mes enfants ont dix et seize ans. Ils peuvent subir des regards ou des petites réflexions à l’école. (…) Ils font partie intégrante de la personne arbitre.

Que faisiez-vous pour cela ?Mes enfants ont dix et seize ans. Ils peuvent subir des regards ou des petites réflexions à l’école. Quand il s’était passé quelque chose de bien, je leur en parlais, mais dans le cas contraire, je devais aussi le leur expliquer. Un arbitre est très exposé, comme les joueurs. On peut parfois en prendre plein la figure. Eux voient tout ça, sont quotidiennement avec moi, savent si leur papa est bien ou non. Ils font partie intégrante de la personne arbitre. Enfin, ils n’ont pas subi beaucoup de remarques, ça veut quand même dire que j’avais quelques qualités.

Avez-vous déjà cauchemardé après une mauvaise rencontre ?Après un match, qu’il soit bon ou mauvais, j’avais souvent du mal à trouver le sommeil. Je regardais un peu la télé, les chaînes d’infos, les émissions de foot, parfois je lisais pour trouver le sommeil. Lorsqu’on prend une décision qui peut avoir de lourdes conséquences, le début de semaine est difficile. On veut vite retourner sur le terrain.

Votre papa était lui aussi arbitre.Il a officié une quinzaine d’années en district dans le Morbihan. Il le faisait par plaisir. Il m’a donné envie de devenir arbitre. J’ai participé à quelques-uns de ses entraînements. À l’époque, j’étais joueur et j’aimais connaître les règles. Mon père était très sérieux. On n’a pas exercé à la même époque, donc je pense qu’il avait un peu moins le sens de la communication, il était plus sévère. En district, ce n’est pas évident, mais à force d’arbitrer tout le temps les mêmes clubs, la sévérité s’atténue. C’est comme lorsque nous arbitrons des joueurs pour la première fois. On est peut-être un peu plus sévères, les footballeurs nous testent aussi, donc nous essayons d’appliquer le règlement le plus correctement possible.

Comme beaucoup d’arbitres, votre père a dû subir des insultes, ça ne vous a pas fait peur ?Je voyais, j’entendais. J’ai eu la chance aussi de pouvoir faire un ou deux matchs avec lui. On se forge un caractère en se disant : « Ce sera probablement pareil pour moi. » J’ai mon côté réservé dans la vie, je le garde un peu sur le terrain, mais quand je suis dans ma bulle, rien ne peut m’arriver.

Suivre les traces de votre papa, c’était un moyen de le rendre fier ?Oui ! Il n’est plus là, mais je pense que s’il avait été jusqu’au bout avec moi… il serait de toute façon très fier de son fils. Il n’avait peut-être pas les compétences pour être arbitre au plus haut niveau, mais il m’a suivi dès que je suis entré à la Fédération. Il m’accompagnait à chaque déplacement. Il essayait de m’apporter quelque chose avec sa façon de voir l’arbitrage, et même si j’avais la mienne, on se rejoignait à la fin. On avait beaucoup de respect l’un pour l’autre.

Mon père m’a dit de continuer le plus longtemps possible. Même quand il était malade, il me le répétait. Il était heureux de me voir grimper les échelons.

Quels conseils vous a-t-il prodigué ?Continuer le plus longtemps possible. Même quand il était malade, il me le répétait. Il était heureux de me voir grimper les échelons.

Votre taille d’1m66 a-t-elle été un handicap pour vous affirmer ?Lorsque je suis arrivé en Ligue 1, je n’étais pas le prototype d’un arbitre classique. C’était aussi à moi de travailler là-dessus et c’est ce que j’ai fait. Pour sanctionner un joueur, s’il y avait plusieurs têtes de différence entre nous, je ne pouvais pas me permettre d’aller jusqu’à lui.

C’est-à-dire ?Je ne voulais pas me retrouver face à un joueur qui me prenne de haut et qui puisse en jouer. Je devais prendre une sanction sans rester à côté de lui. J’essayais de me sortir de là assez vite.

Parallèlement à votre carrière d’arbitre, vous travaillez à pôle emploi. En quoi cela vous aidait sur les terrains ?Je suis confronté à la réalité de la vie avec des gens qui sont aussi en difficulté quelques fois. Je suis dans le secteur des indemnisations. Il faut expliquer qu’il y a des règles et il faut les faire respecter comme sur le terrain.

Vous vous mettez beaucoup de pression dans la vie ? Dans mon métier comme dans l’arbitrage, c’était nécessaire à la réussite. J’aime faire les choses bien.

Quel regard votre travail vous donne-t-il sur notre société ?Il y a de la tristesse. On voit des personnes qui, à un certain âge, se retrouvent sans emploi et ont des difficultés à retrouver quelque chose dans le secteur où ils étaient. Ça peut tomber comme un coup de massue. Ils n’y sont pas préparés. Parfois, ils ne sont pas bien du tout et le montrent. Ce n’est pas contre l’agent qui les reçoit, mais ils sont au bout du rouleau. Ils veulent aussi montrer qu’ils font toutes les démarches pour trouver un emploi. Pour certains, c’est une nouvelle vie qui commence et lorsqu’on arrive à les aider, ils nous en sont reconnaissants.

Enfant, des joueurs vous ont fait rêver ?Je n’étais pas gaucher, mais je regardais Alain Giresse. Il était à peu près de ma taille. J’essayais de m’inspirer de lui.

Un stade préféré ?La première fois que j’étais à Geoffroy-Guichard et que j’ai entendu : « Qui c’est les plus forts, évidemment c’est les Verts ! » , ça me rappelait quelques images de 1976, les premiers matchs que j’ai regardés à la télé.

J’ai beaucoup de respect pour Didier Deschamps. Un jour, on s’est croisés et on a pu discuter. (…) On voit qu’ils nous respectent. Il a autre chose à faire que discuter avec Lionel Jaffredo. Ça fait vraiment plaisir.

Un chouchou en équipe de France ?J’ai beaucoup de respect pour Didier Deschamps. Un jour on s’est croisés, on a pu discuter. C’était très sympa. Parfois on se dit : « Ils ne nous connaissent pas » , et puis on s’aperçoit du contraire. On voit qu’ils nous respectent. Parler avec moi comme ça en dehors d’un match… Didier Deschamps a autre chose à faire que discuter avec Lionel Jaffredo. Ça fait vraiment très plaisir.

À l’issue d’un Bordeaux-PSG en 2015, Zlatan Ibrahimović a tenu des propos insultants à votre encontre.Ça fait mal, mais ce n’est pas le souvenir le plus important que je vais garder de ma carrière. Ça a fait beaucoup parler parce que cela concernait un joueur important du championnat. Ce n’était pas vraiment contre moi. Il sortait d’un match, il était fatigué, même si ce n’était pas des mots à dire.

C’était difficile d’arbitrer Ibrahimović ?Non. Ce n’était pas un tricheur. On était très content de l’avoir dans le championnat français. Il était respectueux, avait la classe. C’était un très, très bon joueur.

Un dernier regard sur votre parcours ?Si on m’avait dit que j’allais faire tout ça, je n’y aurais pas vraiment cru. Aujourd’hui, je suis arrivé presque au top. Il ne me manquait pas grand-chose pour continuer à faire un petit bout de chemin. Ma carrière me ressemble beaucoup. Je n’ai jamais négligé mon hygiène de vie, ni mes entraînements. J’espère pouvoir encore donner des coups de mains. D’ailleurs, je vais aller arbitrer la finale des U10-U11 dans mon club, c’est beaucoup de fierté de faire plaisir à des gamins.

Votre plus grand rêve de retraité ?Que tout se passe bien. Pouvoir profiter de la vie et voir un peu plus mes amis.

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Propos recueillis par Flavien Bories

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