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Irréductibles ultras philippins

Par Pierre Boisson, à Manille
6 minutes
Irréductibles ultras philippins

Dans un pays qui n'a ni football ni ultras, ils ont choisi l'un et l'autre. Les Ultras Kaya tentent, dans l'indifférence, de vivre pour les potes et la liberté à Manille. Infiltré avec la bande pour le Clasico philippin, qui n'en est pas un. En noir et jaune.

Bien sûr que le rendez-vous a été donné devant un 7-Eleven. Assis devant la superette de l’avenue Taft à Manille, Philippines, ils sont une vingtaine, éclairés par les reflets verts et rouges de l’enseigne américaine. Eux sont en jaune, sacs dans le dos ou uniformes de l’université sur les épaules. Certains s’enroulent dans des tifos, d’autres sont en cagoules. « On se donne toujours rendez-vous ici avant les matchs, explique Daniel, 21 ans, l’appareil dentaire proéminent, en sortant un drapeau de son sac. Tout ce que tu vois, les écharpes, les banderoles, les maillots, c’est nous qui les avons fait nous-mêmes, à la main. Tu ne peux trouver ça nulle part, même le staff du club aimerait bien en avoir. » Daniel et les autres sont les rares membres des Ultras Kaya, le seul groupe ultra des Philippines, un pays de mall et de basket qui ne sait rien des choses du football et des apaches. Des extraterrestres, que les clients du 7-Eleven observent d’un regard intrigué en commandant du poulet frit. « Go Kaya » , lance Daniel, entraînant la troupe à travers la circulation de la capitale, en direction du stade Rizal.

Una KA-YA

Le 23 octobre dernier, le Kaya FC affrontait Global FC pour le dernier match de la phase de poules de la Coupe nationale. C’est ce que certains considèrent ici comme le Clasico des Philippines. « Global, c’est l’équipe des riches, atteste Xerxes, l’un des capos des Ultras Kaya, venu en look casual : manches de chemise remontées sur les bras, pantalon de costard. En réalité, le football aux Philippines est peu connu, en plein développement, mais traditionnellement c’est le sport des élites. Nous, on vient de tous les milieux, mais on est plutôt classe moyenne. Tu as des étudiants, des ouvriers, des travailleurs. » L’entrée à 100 pesos (environ 1,8 euros, ndlr) se négocie gratuitement sur présentation d’une carte d’étudiant ou en prouvant avoir partagé sur Facebook la photo de la Fédération annonçant l’affiche du jour. Les Ultras Kaya prennent place sur l’aile droite de la tribune présidentielle, la seule ouverte au public. Sur les gradins en béton, des familles, des groupes de filles, et ce qui semble être la totalité de la communauté black de Manille.

« C’est les joueurs des autres équipes, sourit l’un des Kaya. Il y a beaucoup d’Africains dans la ligue, il y a pas grand-chose à faire à Manille, alors ils viennent voir les matchs. » Xerxes, lui, est en colère. De l’autre côté de la tribune, les supporters de Global sont venus avec d’énormes tambours qui font trembler la structure anachronique du stade Rizal, bâti dans les années 30. « Voilà c’est ça, Global, fulmine-t-il. Ils ont pas de fans, mais ils ont de l’argent : les mecs que tu voies là, c’est des fanfares professionnelles qui sont payées par le club pour venir aux matchs, mais ils en ont rien à foutre du foot, encore moins du club. Mais on va leur montrer qui on est à ces enculés, nous aussi on peut faire du bruit. » Anton, tout juste diplômé en informatique, au chômage pour le moment, sort de son sac des baguettes et un tambour et bat les premières mesures de l’hymne des Ultras Kaya. « Voilà notre club / voilà notre club le puissant Kaya / Né au cours de l’année 96 / Nous ne sommes qu’un, uni par la fraternité / Il y a un cri dans la ville / « UNA KAYA » / C’est notre fierté, c’est notre amour, c’est notre vie. »

Être libre, avec ses frères

Xerxes est l’un des fondateurs des Ultras Kaya, c’est aussi le membre le plus âgé de la bande. Il donne rendez-vous à Century City, un des nombreux quartiers rouges de Manille, devant le bar Heckle & Jeckle qui propose les transmissions nocturnes de la Ligue des champions, là où les autres établissements du coin font dans les Guest Relations Officers, euphémisme pour désigner les prostituées de karaoké, ou dans les combats de boxe entre femmes nues. Xerxes sort de la banque où il est chargé des envois de fonds des travailleurs philippins à l’étranger, qui représentent à eux seuls près de 11% de la population du pays. « Le reste de mon temps, je le consacre aux Ultras Kaya, dit-il en asséchant une San Miguel Light. Le groupe est jeune, on l’a créé le 26 novembre 2011. On a repris le modèle des ultras européens, on discute avec eux par internet sur les forums ultras, ils nous ont aidés, nous ont reconnus. On a pris des dédicaces et quelques vannes ! »

Il faut dire que bâtir un groupe ultra aux Philippines revient à prêcher dans le désert : il a fallu inventer des chants, créer un logo et des tifos et, surtout, recruter des membres. « Ici, personne ne comprend qui on est, poursuit Xerxes. Les gens nous prennent pour des délinquants, nous appellent « squatters », ou je ne sais quoi. L’objectif, c’est de construire un groupe solide, avec des mecs qui viennent toujours au stade, des mecs de confiance. Des filles aussi d’ailleurs, on n’est pas machistes, du moment qu’elles font la même chose que tout le monde, elles sont plus que bienvenues. L’année dernière, il y avait un expat’ allemand d’Union Berlin avec nous, il nous a aidés pour les chants et pour certains slogans, notamment pour protester contre les matchs qui ont lieu la semaine, en plein après-midi. Comment veux-tu que le football se développe ici si les matchs se jouent quand on bosse ? » À Manille, la ville où échangent le plus de SMS au monde et où sont pris le plus de selfies par seconde, la structuration et le recrutement des Ultras Kaya se font essentiellement via Facebook. C’est là que les chants sont créés, là que les nouveaux membres se présentent. Loin des codes ultras. « C’est vrai, c’est différent, reconnaît Xerxes. Mais on défend les mêmes valeurs. Personne ne nous dit ce qu’on doit faire, on est libres. Et, avant tout, il s’agit d’amitié. Depuis que je suis avec les Ultras Kaya, je me suis fait peut-être vingt potes sur lesquels je sais que je peux compter quoi qu’il arrive, des frères. C’est plus que ce que la plupart des gens nouent dans toute une vie. »

Un capo de 11 ans

Au Rizal Stadium, les Ultras Kaya dégoulinent de sueur depuis bien longtemps, frappés par la moiteur de Manille. Leur club domine le Clasico et mène 2-1 au tableau d’affichage après avoir encaissé un but hors-jeu de cinq mètres. L’arbitre ne prend pourtant aucune insulte, pas plus que les supporters adverses. Une spécificité qu’Anton explique par le sens de la réserve philippin : « On a des chants contre Global, on se moque d’eux en disant qu’ils ne nous provoquent que sur Twitter ou qu’ils ne s’intéressent qu’aux joueurs qui sont beaux, parce que beaucoup de leurs supporters sont des femmes. Mais on ne les chante pas pendant le Clasico, pour ne pas blesser leurs sentiments. » Xerxes : « Pour les standards d’ici, dans un pays catholique comme les Philippines, dire que les autres ne font pas de bruit c’est déjà très offensif. » Dans la tribune, l’ultra le plus excité est peut-être Shane Clemente, 11 ans, maillot du Barça sur le dos, star des équipes de jeunes philippines et supervisé par plusieurs clubs européens. Sur les épaules d’un des Kaya, Shane, la gueule de ceux qui grandissent plus vite que les autres, se place face aux ultras et joue au capo en lançant les chants, les mains en porte-voix. À la fin du match, c’est lui qui traîne sur la pelouse, serre la main des joueurs qui, un par un, vont saluer et remercier les Ultras Kaya, seuls à être restés dans le stade, à attendre que les projecteurs s’éteignent. Retour au 7-Eleven, point de séparation des troupes. « Il n’y aura pas de bière ce soir, conclut Xerxes. Demain, la plupart d’entre nous ont école. »

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